Crédit Suisse : la faillite évitée par le suicide
Dommages collatéraux
La faillite de Crédit Suisse a été évitée. Par le
suicide de Crédit Suisse. La banque fondée il y a 167 ans par
l'un des pères de la Suisse moderne, et de sa révolution
industrielle, Alfred Escher, est morte, bouffée par sa
concurrente et par l'incompétence de ses propres dirigeants, qui en resteront impunis. Qui
y gagne ? sa concurrente, UBS, qui a fait l'affaire du siècle en la
rachetant pour trois petits milliards, avec à la clef des garanties de
la Banque Nationale et de la Confédération -qui n'ont certes pas été
utilisées par UBS, qui y a renoncé "volontairement", mais qui ont eu
l'effet qu'on en attendait : "rassurer les marchés". Parce qu'ils sont
sensibles, les "marchés". Bipolaires, même : euphoriques ou désespérés.
Le Conseil fédéral, collectivement, la Conseillère fédérale
Keller-Sutter, individuellement, peuvent pousser un gros soupir de
soulagement. : leur plan a fonctionné, Pour le plus grand bien d'UBS (et
un petit gain de quelques dizaines de millions de francs au passage pour la Confédération et la BNS).
Evidemment, les détenteurs des obligations convertibles de Crédit Suisse y ont,
eux, tous ensemble, perdus seize milliards -mais on ne vas pas pleurer
sur leur sort. Restent, évidemment, dans un paysage bancaire suisse
écrasé par une superbanque incontrôlable, des milliers d'employés de
Crédit Suisse, mais aussi d'UBS, surnuméraires, qui ont déjà perdu ou
vont encore perdre leur emploi. Des dommages collatéraux, quoi.
Le "aie confiance, crois en moi" de la place bancaire
Le rachat de Crédit Suisse par UBS est finalisé,
ses actions ont été radiées de la cote mercredi, UBS va intégrer
son ancienne rivale et un mammouth bancaire pesant 5000
milliards de dollars, de francs suisses ou d'euros est né, après
une gestation de moins de trois mois. Mais il va en falloir
encore des mois pour qu'UBS digère sa proie. Les deux banques
comptaient ensemble 123'000 collaboratrices et collaborateurs
dans le monde à la fin de l'année dernière, dont 37'000 en
Suisse, dont 17'000 pour Crédit Suisse. 10 % des effectifs de la
banque défunte l'ont quittée avant la fusion, des milliers
d'employés (10 à 12'000 selon l'institut BAK de Bâle, dont 7000
à Zurich selon Reuters) vont les suivre, contraints ou
volontaires, du fait de "doublons" dans les succursales de ce
qui n'est plus qu'une seule banque. A ces licenciements, la
Convention collective en vigueur dans le secteur bancaire impose
des règles, notamment celle d'avertir assez tôt, avec les
personnes concernées, leurs représentants au sein de
l'entreprise et les syndicats (avec qui l'employeur est tenu de
discuter), et de leur présenter le déroulement dans le temps des
mesures prises. Le personnel licencié après dix ans
d'ancienneté, ou âgé de plus de 54 ans, aura une année, avec
salaire intégral, pour retrouver du travail, même si leur poste
est supprimé. Les personnes avec moins d'ancienneté auront entre
huit et douze mois de garantie de salaire sans obligation de
travail. A celles et ceux qui vont rester, UBS va
vraisemblablement imposer des "lignes rouges" à ne pas franchir
dans les affaires qu'ils pourraient conclure : UBS veut
concentrer ses forces sur la gestion de fortune, les clients
privés, les entrepreneurs, les sociétés. Les deux banques vont
encore continuer un moment à fonctionner séparément, avec deux
sociétés mères indépendantes, leurs filiales, leurs succursales
et leurs clientèle. jusqu'à intégration complète de la seconde
dans la première, ce qui devrait prendre encore des mois. Et la
FINMA promet de "surveiller de très près la grande banque
fusionnée pendant le processus d'intégration". De plus près,
donc, qu'elle a surveillé CS pendant son processus de
désintégration ?
Il y a bientôt un demi-siècle, rappelle l'ancien Procureur tessinois Paolo Bernasconi (dans la "Tribune de Genève" de jeudi), la Suisse sortait d'une succession de scandales bancaires (le scandale de Chiasso et les 2,2 milliards de pertes de Crédit Suisse, les faillites des banques Leclerc à Genève et Weisscredit à Chiasso), scandales dont la Suisse, ses instances politiques et ses banques, auraient dû, et pu, tirer quelques enseignements. La Commission fédérale des banques, l'ancêtre de l'autorité de surveillance bancaire actuelle, la FINMA, les proposait, ces enseignements, dans son rapport de gestion pour 1977 : "Les pertes que subit une grande banque ont montré aux responsables des banques qu'on ne peut se permettre aucun relâchement dans l'organisation de la direction et du contrôle. L'adaptation des banques suisses aux nouvelles conditions et le développement énorme de la place financière suisse doivent trouver leur équivalent dans le renforcement des secteurs du contrôle et de la révision (...). Les épargnants et les déposants appartiennent aussi à cette économie et on ne peut pas sérieusement contester qu'ils peuvent prétendre à une adaptation et une amélioration de leur protection lorsque la surveillance n'a pas pu atteindre son but". Et Paolo Bernasconi de rappeler que les faillites Leclerc et Weisscredit, aboutirent à des procédures pénales, alors qu'aucune poursuite n'a été envisagée contre les responsables du naufrage de Crédit Suisse...
Après la crise de 2008, la Suisse s'était dotée
d'une loi "too big too fail". Les banques devaient garder plus de
fonds propres, des procédures étaient prévues pour stabiliser,
assainir ou liquider des établissements en péril. Pourquoi ces
dispositions précautionneuses n'ont-elles pas été mises en
oeuvre quand il était encore temps pour Crédit Suisse ? Parce
qu'il est non seulement "too big too fail", mais aussi "too old
too guarded" ? Pour tenter de garder un minimum de contrôle sur
la superbanque née de l’absorption de CS par UBS, il reste certes deux
leviers utilisables : la législation sur les banques "systémiques" et celle sur la concurrence, deux
leviers qu'il devient de plus en plus urgent de renforcer, de rendre
plus efficaces. Plus pregnants sur le paysage bancaire helvétique. Mais
pour cela, il faudrait une majorité parlementaire : celle dont on va
sortir dans quelques mois a certes été capable de créer une commission
d'enquête, présidée par la centriste fribourgeoise Isabelle Chassot,
mais on n'en attend pas grand chose, juste, peut-être, si tout va bien,
un peu de lumière sur les conditions du
naufrage de Crédit
Suisse. Pour le reste, ce sera au nouveau parlement fédéral
sorti des urnes des élections de cet automne de faire le travail législatif qui s'impose -si une majorité s'y
dessine pour cela. Et elle ne s'y dessinera pas s'y restent majoritaires les forces politiques de droite qui, bercées par le "aie confiance, crois-en moi..." de la "place bancaire", n'ont pour elle que des yeux énamourés.
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