Rentrée des classes politiques

Elire à droite, voter à gauche ?

Dans ce pays, ce canton, cette ville, la rentrée des classes sonne toujours aussi une rentrée politique. A peine d'ailleurs est-on sortis d'une élection, celle du Grand Conseil genevois, qu'on va rentrer dans une autre, celle du Parlement fédéral. Avec aussi au programme des élections complémentaires (dont une à Onex) et des votations cantonales, fédérales -sans oublier des votations municipales. On vote beaucoup, et souvent, plus souvent qu'ailleurs, en Suisse. Et on élit aussi souvent. Et souvent aussi les votes et les élections se font en sens politiques contraires. Une rentrée politique, c'est l'occasion de rappeler ainsi quelques évidences : qu'en Suisse, politiquement, la droite est majoritaire au sein de la population (même si dans les principales villes c'est la gauche qui y est majoritaire), que le parlement, logiquement, est lui aussi à majorité de droite, et le gouvernement de même puisqu'il est élu par ce parlement de droite. Et que pourtant, ce pays qui élit à droite vote souvent à gauche et fait gérer ses plus grandes villes par la gauche. C'est là question de rapport de forces, Et de mobilisation. Et de cohérence politique... C'est à quoi on va s'atteler...

La Suisse est à droite, la Suisse est de droite ? la belle affaire...

Donc, la Suisse est à droite, la Suisse est de droite... la belle affaire... l'ignorons-nous ? Dans ce pays, nationalement, la gauche ne pèse jamais qu'entre un quart et un tiers des suffrages. Un quart quand elle est au plus mal, un tiers quand elle est au mieux. Le Conseil fédéral est à majorité de droite, à cinq contre deux. Les deux Chambres du Parlement fédéral sont à majorité de droite. Tous les gouvernements cantonaux, sauf celui du Jura, sont à majorité de droite depuis que la gauche a perdu à Genève le siège qui la rendait majoritaire. Tous les parlements cantonaux sont également à majorité de droite, qui y occupe nationalement 70 % des sièges. Certes, les plus grandes villes sont à majorité de gauche, et la grande majorité de la population du pays vit dans des villes, mais les décisions les plus importantes, et le cadre légal de toutes les autres, sont de compétence cantonale ou fédérale. La gauche fait ce qu'elle peut dans les villes qu'elle contrôle, mais elle ne les contrôle pas toutes (les villes moyennes et les petits villes sont le plus souvent à majorité de droite) et ce qu'elle peut faire est moins une alternative aux politiques de droite qu'une compensation de leurs effets. Quant aux représentants et représentantes de gauche dans les gouvernements cantonaux, ils peuvent certes y atténuer, y amender, y orienter les choix politiques de la droite, mais pas les inverser. En revanche, les instruments de la démocratie directe lui donnent la possibilité de faire appel au peuple, qui, souvent, ratifie les référendums et parfois les initiatives qu'elle a lancé. On se retrouve alors dans ce paradoxe d'un peuple qui élit à droite et vote à gauche quand il s'agit de défendre ses droits sociaux, et de forces politiques qui, à gauche de la gauche, même après s'être exclues elles-mêmes des parlements pèsent assez sur les votes populaires pour arriver parfois à les remporter.

Les enjeux que les électrices et les électeurs considèrent comme prioritaires sont tous ceux de confrontations entre des programmes de gauche et des programmes de droite, et que sur la plupart d'entre eux, ce sont les politiques de gauche qui sont soutenues, ou peuvent l'être, par une majorité de l'électorat actif -et donc par une partie de l'électorat de droite. En juillet, un sondage (Tamedia) sur les préoccupations principales des Suisses signale qu'elles sont les mêmes que celles exprimées en février : dans l'ordre, les coûts de la santé, évoqués par 70 % des personnes interrogées et en tête de liste dans les électorats du PS, du Centre et du PLR, les retraites (53 %), l'immigration (48 %, en tête chez les udécistes), l'approvisionnement énergétique (43 %) et le changement climatique (42 %, en tête des préoccupations des Verts et des Verts libéraux). Dans le même temps, selon le même sondage, portant aussi  sur les intentions de vote pour les élections,  l'UDC obtiendrait 27,9 % des suffrages, en progression de deux points, le PS 17,3 %, en progression de 0,8 point, le PLR 14,3 %, en recul de 0,8 point, le Centre 13,9 %, les Verts 10,3 %, en recul de deux points et demi, les Verts libéraux 8,2 %.... toujours un rapport des forces de deux contre un en faveur de la droite. Et alors ? Que la Suisse soit à droite, est-ce une raison pour renoncer à renforcer la gauche au parlement fédéral ? Certainement pas -et même, au contraire, ce sont autant de raisons pour l'y renforcer. D'abord parce que les élections fédérales, ce sont 26 élections cantonales.

L'élection, comme mode de décision politique,  obéit aux mêmes règles que tous les autres modes de décision politiques, démocratiques ou non, pacifiques ou non : c'est le résultat d'un rapport de force. Et un rapport de force, cela se construit. Et cela se construit par la mobilisation des électorats. A ce jeu -qui n'en est pas un, même s'il en prend souvent la forme, les minoritaires peuvent devenir majoritaires. Et les majoritaires se perdre dans des calculs politiquement sordides. Ainsi de ceux du "Centre" genevois : Au moment où il concluait une alliance électorale, pour l'élection du Conseil d'Etat genevois, avec l'UDC et le MCG (en sus de son alliance traditionnelle avec le PLR), ce "Centre" affirmait que cette alliance prendrait fin le 30 avril, au terme de cette élection. Sur quoi, la dite alliance était reconduite pour les élections fédérales... On mesure ce ce que valent les assurances du "Centre", et le "Centre" lui-même... Après tout, n'est-ce pas cette portion incertaine du paysage politique que, dans les assemblées révolutionnaires françaises, quand s'inventait la structuration de ce paysage entre une gauche et une droite, on désignait comme le "marais" ?


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