Célébrer la Constitution fédérale de 1848 ? Pourquoi pas ?... mais pas sans celle de 1798, et pas sans la Grève Générale de 1918

1798, 1848, 1918...

C'était un débat printanier, cette année : faut-il faire du 12 septembre un jour férié fédéral ? Le 12 septembre ? La date de la validation par les cantons (mais pas -encore- le peuple) d'une nouvelle Constitution fédérale, se substituant à celle de la Restauration de 1815, elle-même se substituant à l'Acte de Médiation bonapartiste de 1803, qui lui-même abrogeait la Constitution de la République Helvétique -et cette République elle-même. Ce sont des élus du Centre qui ont fait cette proposition -et c'est d'ailleurs assez paradoxal, puisque le Centre est l'héritier lointain des vaincus de la Révolution radicale -et donc des opposants à la Constitution qui en est résultée, et qu'ils proposent aujourd'hui de célébrer. Une majorité d'élus du Conseil national a soutenu leur motion, le Conseil fédéral devra donc y répondre. On pourrait trouver l'idée inutile, même absurde, ou superfétatoire. Mais au moins ouvre-t-elle un débat historique utile, et peut-être même indispensable, tant il est vrai que se poser la question "d'où venons.-nous" (en tant qu'Etat), et tenter d'y répondre, c'est la première des conditions pour savoir où l'on est veut aller. La politique, c'est toujours de l'histoire : l'histoire dont on hérite, même quand on la méconnaît, et l'histoire qu'on fait, même sans le savoir. Et l'histoire, ce n'est jamaisun conte de fée, mais toujours une succession de conflits violents. L'histoire de la Confédération ne naît-elle pas de deux révolutions (l'helvétique de 1798 et la radicale de 1848), d'un début de guerre civile (le Sonderbund) et d'une Grève générale (celle de 1918) ?

Les trois naissances de la Suisse moderne

La Constitution de 1848, dont il est proposé de faire de sa validation la date d'une nouvelle fête nationale (et fériée), supplémentaire à celle du 1er août, n'est pas la première constitution suisse, si c'est sa première constitution fédérale. La première Constitution suisse, celle qui fonde le premier Etat suisse (avant, il n'y a qu'une alliance entre cantons souverains), c'est la Constitution de la République Helvétique. Son échec aboutit à l'Acte de Médiation de 1803, imposé par Bonaparte, et qui est la première constitution de la Confédération (la République Helvétique était unitaire), sans d'ailleurs user de ce terme. La Restauration des Anciens Régimes après la défaite de Napoléon aboutit à une nouvelle constitution, confédérale elle-aussi, la première à user du terme de Confédération, et qui remplace l'Acte de Médiation tout en en reprenant des éléments essentiels. La Constitution de 1848, la quatrième constitution suisse, est celle qui institue un Etat non plus confédéral mais fédéral (tout en l'appelant encore Confédération). Une cinquième constitution est adoptée en 1874, une sixième en 1999, celle sous l'empire bienveillant de laquelle nous vivons, politiquement. Depuis 1874, d'une constitution à l'autre, chacune de ces chartes fondamentales a en outre été modifiée par le peuple, par référendum obligatoire puis, dès lors qu'elle fut introduite, initiative populaire.

L'histoire de la Suisse, non comme idée, comme mythe ou comme espace géographique, mais comme Etat est ainsi scandée par ces trois dates : 1798, la naissance de l'Etat suisse (la République Helvétique); 1848, la naissance de l'Etat démocratique suisse (la révolution radicale); 1918, la naissance de l'Etat social (la Grève générale). Avant 1798, il n'y a pas d'Etat suisse. Pas de gouvernement suisse, pas de parlement suisse, pas d'armée suisse, pas d'administration suisse. Il y a des cantons suisses, alliés les uns aux autres, mais souverains, chacun pour soi -et parfois contre le autres cantons.  La Constitution de 1848, elle naît de la "guerre du Sonderbund" -de la révolte armée des conservateurs catholiques contre les révolutions radicales cantonales successives, qui aboutissent à un changement de régime politique.  Cette révolution suisse de 1848 est  la seule de toutes les révolutions "quarante-huitardes" européennes qui ait vaincu. La révolution française de 1848 aboutit au coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, toutes les révolutions européennes contemporaines sont écrasées -seule la révolution en Suisse tient. Et pendant presque un quart de siècle, la Suisse est la seule république démocratique en Europe. Et devient une terre d'asile pour tous les révolutionnaires -y compris les plus radicaux, au sens étymologique du terme. Y compris, donc, les anarchistes.

Certes, une fois la révolution faite, et le changement de régime acquis, le parti révolutionnaire devient, en une génération, le parti de l'instauration du capitalisme industriel mais de cette mutation naît une nouvelle force sociale, le mouvement ouvrier, et une nouvelle force politique, le parti socialiste. Mais puisqu'ils en naissent, ils en héritent : pas plus qu'il n'y aurait eu de révolution radicale s'il n'y avait pas eu avant elle une révolution helvétique (pour prendre un pouvoir d'Etat, il faut bien que l'Etat existe, et c'est l'Helvétique qui le fait exister), il n'y aurait de mouvement ouvrier sans la révolution industrielle (autrement dit : sans le capitalisme...), ni de mouvement socialiste sans le mouvement ouvrier -ce sont les syndicats qui créent le parti socialiste, comme on se dote d'un instrument pour agir dans les institutions politiques.

La Suisse d'aujourd'hui. et la gauche suisse d'aujourd'hui sont héritières de la Constitution de 1848. Mais elle le sont aussi de la Grève Générale de 1918 : l'élection du Conseil national à la proportionnelle, le suffrage féminin, l'AVS, ne sont pas dans la Constitution radicale -mais sont dans le calendrier de revendication de la Grève Générale. Il ne faudra qu'un an pour instaurer la proportionnelle (les partis de droite minoritaires y avaient autant intérêt que les socialistes), mais une génération pour instaurer l'AVS après en avoir accepté le principe, deux générations pour accorder les droits politiques aux femmes (la Conseillère nationale verte bernoise Aline Trede proposait de faire du 16 mars, date de l'octroi mâle du suffrage féminin, un jour de célébration officielle).... mais il fallut aussi deux générations pour passer de la République Helvétique à la Suisse radicale... et deux générations encore pour passer de la Suisse radicale à la Grève Générale.

L'histoire prend son temps -mais ce qu'elle y met, c'est toujours ce qu'y veulent mettre les femmes et les hommes qui la font : "L'universalité des citoyens est le souverain. Aucune partie ou aucun droit de la souveraineté ne peut être détaché de l'ensemble pour devenir une propriété particulière" (Art. 2 §1 de la Constitution de la République Helvétique)



Commentaires

  1. Merci de votre petit panorama sur la constitution suisse. Votre article m'a donné l'envie de me replonger dans l'histoire suisse si bien que je me trouve à relire le Tome III de l'Histoire Suisse de Maxime Reymond. L'Histoire de notre pays n'est vraiment pas un fleuve tranquille.
    Vos articles sont toujours très intéressants.

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