La mort de l'Artsakh

 


Epuration ethnique du Haut-Karabakh

Jeudi dernier, 21 septembre, l'Arménie aurait dû célébrer sa fête nationale. Elle n'en avait guère le coeur : la veille, après une offensive éclair lancée le 19, l'armée azérie avait contraint les forces de défense de l'Artsakh (Haut-Karabakh), l'enclave arménienne en Azerbaïdjan, qui avait proclamé son indépendance en 1991 mais était depuis neuf mois  coupée du monde par la fermeture de l'unique route la reliant encore à l'Arménie, à déposer les armes et à accepter un cessez-le-feu ressemblant plutôt à une capitulation. La reprise des combats, trois mois après une précédente offensive azérie, a fait au moins 200 morts (dont des soldats russes chargés du maintien de la paix), 500 blessés, un millier de disparus et déjà plusieurs milliers d'exilés. Vainqueur sur le terrain, l'Azerbaïdjan peut maintenant reprendre l'entier du Haut-Karabakh, dont elle avait déjà repris les trois quarts du territoire lors de l'offensive de 2020. Bakou assure vouloir mettre en œuvre une "réintégration pacifique" du territoire arménien et de sa population, personne en réalité n'y croit. Et ce qui menace, c'est bien un nettoyage ethnique, avec le départ forcé de la majorité des 120'000 habitants de l'enclave, et un sort dont on peut tout craindre pour la minorité de cette population acceptant de rester dans ce qui est son pays, ou s'y résignant. Le Premier ministre arménien, dénoncé par des manifestants à Erevan comme un "traître", un "capitulard" et un "collabo", a beau demander des garanties sur les droits et la sécurité des Arméniens de l'Artsakh, il sait sans doute que même si l'Azerbaïdjan garantit ces droits, ces garanties ne valent rien, et que les Arméniens n'auront guère que le choix de se soumettre ou partir pour survivre (l'Arménie a déjà accepté de recevoir 40'000 personnes -elle aura besoin d'un soutien important pour assumer cet accueil.

"Une nouvelle étape de l'épuration ethnique, une élimination physique de la population arménienne"

La capitulation de l'Artsakh, lâché par l'Arménie dont le gouvernement avait déjà  a reconnu, il y a trois ans, que l'Artsakh fait partie du territoire azéri, est évidemment une victoire pour la dictature d'Ilham Akiev, successeur de son père (déjà potentat soviétique). Elle est aussi l'illustration d'une double impuissance : celle de la Russie, protectrice historique des Arméniens qui se voulait garante de la paix entre eux et les Azéris et n'est plus que garante de leur capitulation Artsakh, et celle de l'Europe, absente de la région. La France est à peu près seule à se préoccuper du sort des Arméniens, les autres "Occidentaux" cachant à peine leur espoir de voir les Russes quitter la région, même si 120'000 personnes doivent en payer le prix.  L'azérification du Haut-Karabakh est enfin une victoire de la Turquie, alliée, protectrice et fournisseuse en matériel militaire de l'Azerbaïdjan. Les Arméniens sont seuls, les Azéris sont libres d'agir. Ils avaient déjà isolé l'Artsakh, y provoquant une crise humanitaire sans précédent dans la région : la population manquait e pain, de médicaments, d'électricité, le seul point de passage vers l'Arménie était bloqué par les forces azéries et l'aide humanitaire ne passait plus. Il ne restait plus au régime azéri d'Aliev qu'à lancer ses forces militaires contre les Arméniens, sachant que la Russie ne ferait rien pour l'en empêcher ("le Karabakh est une affaire intérieure de l'Azerbaïdjan", a déclaré le porte-parole du Kremlin), et rien non plus pour défendre les Arméniens -tout au plus organisera-t-elle leur évacuation vers l'Arménie. La guerre d'Ukraine mobilise toutes les forces russes disponibles, comme s'il n'y avait plus aucun autre enjeu, et tant pis pour les Arméniens. Surtout quand c'est par l'Azerbaïdjan que passent les hydrocarbures russes contournant les sanctions "occidentales".

Samedi, devant la cathédrale de Berne, des centaines de personnes ont dénoncé à la fois l'agression azérie, la complicité turque, l'impuissance russe et l'hypocrisie "occidentale"... La mort de l'Artsakh est "une nouvelle étape de l'épuration ethnique, une élimination physique de la population chrétienne et arménienne", dénonce le Conseiller aux Etats socialiste Carlo-Sommaruga, co-président du Groupe parlementaire d'amitié Suisse-Arménie : la communauté internationale a laissé "l'Azerbaïdjan mettre à genoux la résistance du peuple arménien du Haut-Karabakh", et la Suisse est "aujourd'hui plus solidaire avec les producteurs de gaz et de pétrole azéris qu'avec le peuple arménien", ajoute le socialiste genevois. C'est en effet bien en Suisse que s'est installée la filiale de Trading de la société pétrolière SOCAR, une entreprise d'Etat azérie, et c'est bien depuis la Suisse qu'elle commercialise l'essentiel du pétrole brut azéri. Et finance donc la guerre d'Aliev contre les Arméniens de l'Artskakh.

"Pourquoi arrêteraient-ils lorsque personne ne les arrête ? La Planète a vendu le sort des Arméniens du Haut-Karabakh !" a résumé samedi à Berne la présidente de l'Union arménienne de Suisse, Miganouche Baghramian... Si l'Arménie était productrice de pétrole ou de gaz, si son sous-sol regorgeait de métaux rares, ou si les Chinois y montraient le bout de leur nez, sans doute se préoccuperait-on plus, en Suisse, en Europe, aux Etats-Unis, du sort des Arméniens, mais l'Arménie est pauvre (sa "seule richesse,c'est sa diaspora", résume André Manoukian) et ses alliés (comme la France) sont loin d'elles, quand l'Azerbaïdjan est riche et peut compter sur la Turquie pour l'épauler et l'impuissance de la Russie pour la laisser faire.
"Où est-elle cette Suisse du début du XXème siècle qui soutenait la cause arménienne et qui permettait de sauver des centaines voire milliers d’Arméniens ?" s'interroge Miganouche Baghramian. Où est-elle, la Suisse ? Elle fait le plein à une station-service Migrol, cliente de SOCAR...

Commentaires

Articles les plus consultés