La ville en temps de réchauffement climatique : Réconcilier urbanisme et démocratie
Dans une tribune au "Courrier", parue le 23 juin, le Conseiller d'Etat Antonio Hodgers rompt une lance contre un discours politique de décroissance "sans analyse" de la réalité sociale, qui sert de "support à un conservatisme social préservant la situation actuelle au profit des biens logés (en) laissant les mal-logés (étrangers, jeunes, revenus modestes) en marge de notre canton" et qui risque à tout moment de sombrer dans le malthusianisme (néo ou paléo). Pour Hodgers (et pour nous) "personne n'est en trop à Genève. (...) Tout le monde a le droit de voir ses droits fondamentaux respectés, dont (celui de) bénéficier d'un logement de qualité n'est pas le moindre". Or quand on s'oppose à "des centaines de logements au nom de la lutte contre la "surdensification", (on condamne) des milliers de ménages à vivre dans des appartements trop exigus, trop chers ou trop éloignés". Plutôt que cette lutte contre une "surdensification" souvent fantasmatique, Hodgers plaide pour réduire "drastiquement la place de la voiture et végétaliser les espaces publics". Et rappelle aux défenseurs des quartiers de villas qu'y habiter "émet quatre à cinq fois plus de CO2 que dans un écoquartier" et qu'en "exportant sa construction de logement en France voisine", Genève a endommagé la biodiversité et l'agriculture chez ses voisins... et multiplié les déplacements pendulaires entre le lieu de domicile et le lieu de travail. Et du même coup, multiplié les charges pesant sur l'environnement régional. On en est encore à réparer les dommages de ces choix, ou de ses absences de choix. Avant de passer à autre chose : la réconciliation de l'urbanisme et de la démocratie.
Faire remonter en haut des projets venus d'en bas
Les villes étant les espaces où les effets du
réchauffement sur la population humaine sont les plus
dramatiques, puisqu'elles concentrent la population dans un
espace artificialisé, elles se dotent les unes après les autres
de plans d'urbanismes "bioclimatiques". Et celles qui sont
gérées par des équipes politiques progressistes tentent de les
conjuguer à un développement de l'offre de logements sociaux. Il
s'agit à la fois de loger correctement leur population et de
s'adapter au réchauffement climatique, notamment par la
végétalisation, partout où elle est possible : dans les cours,
sur les toits, dans les écoles, le long des façades... et sur
les terrains de sports, où il convient de renoncer aux pelouses
artificielles... Il faut également désimperméabiliser les sols,
préserver partout, et accroître autant que possible, la pleine
terre. Il faut enfin renoncer au béton chaque fois qu'on le
peut, mais aussi au métal et aux grandes parois de verre, et à
la climatisation. Et finalement, adopter dans les villes de
l'Europe continentale, comme Genève, les modes d'urbanité des
villes méditerranéennes : la Ville de Marseille veut, au nom
d'un "double impératif de justice sociale et de transition
écologique", mettre en oeuvre une architecture "bioclimatique",
utiliser des "matériaux durables", relancer la "machine de la
construction" de logements sociaux -bref, "construire plus, pour
toutes et tous, mais construire mieux". Et de lister dix enjeux
:
1. S'inscrire dans un processus de dialogue;
2. Respecter le contexte : prendre en compte les
singularités géographiques du site, préserver les points de vue
sur le grand paysage, s'insérer dans les gabarits bâtis et les
continuités paysagères;
3. Faire avec le déjà-là : transformer,
réhabiliter plutôt que démolir, justifier toute démolition jugée
inévitable et remployer les matériaux sur site, favoriser le
développement du végétal, de la faune et de la biodiversité
existante;
4. Développer la mixité : intégrer une part
importante de logement social das chaque opération, favoriser
les programmes mixtes au sein des opérations de grande taille
(tertiaire, résidentiel, hôtellerie), diversifier les typologies
de logements au sein d'une même opération, développer des
rez-de-chaussée actifs (commerces, services, artisanat);
5. Fabriquer une densité adaptée :
diversifier la silhouette des constructions sans chercher à
"remplir" l'enveloppe du plan local d'urbanisme, aérer les
coeurs d'îlots, préserver l'intimité des logements (vues,
isolations phoniques), dégager des vues depuis l'intérieur des
constructions;
6. Favoriser la végétalisation et la
biodiversité : préserver le patrimoine végétal, contribuer à
l'épaississement des continuités vertes, désimperméabiliser les
sols, préserver l'intégrité des végétaux existants et la qualité
des sols, faire de l'eau une ressource;
7. Proposer des espaces communs à partager :
dimensionner généreusement les halls d'entrée d'immeuble et les
espaces de distribution, prévoir des espaces communs
polyvalents, proposer des usages pour les toitures terrasses et
jardins collectifs;
8. Concevoir un urbanisme et une
architecture bio-climatiques méditerranéens : créer les îlots de
fraîcheur, privilégier le recours à la ventilation naturelle à
la climatisation et aux dispositifs de rafraîchissement
mécaniques, utiliser des matériaux de qualité pérenne, naturels
ou biosourcés, privilégier les circuits courts et le réemploi
des matériaux, développer des dispositifs architecturaux tels
que des façades épaisses, des loggias, des galeries;
9. Promouvoir une haute qualité du logement
: logements traversants ou bi-orientés, qualité équivalente des
différents types de logements, prévoir des espaces de rangement
et des caves pour chaque logement et des cuisines éclairées et
ventilées naturellement, favoriser l'éclairage naturel et les
usages multiples des espaces, prévoir des espaces extérieurs
suffisamment larges;
10. Construire des projets évolutifs et
flexibles : proposer une adaptation de l'agencement des
logements pour répondre aux changements de mode de vie, prévoir
la possibilité de transformer les programmes de bureaux ou de
parkings en programmes de logements.
(Ville de Marseille, Charte de la
construction durable, octobre 2021)
Il n'y a aucune raison raisonnable pour que
de tels engagements pris à Marseille ne soient pas, en remontant
le Rhône en même temps que le climat méditerranéen, tenus, et
même radicalisés (on préférera ainsi la concertation, et donc la
négociation, au simple "dialogue"), à Genève.
La ville, c'est le lieu du pouvoir -mais aussi
celui de l'opposition au pouvoir, celui de sa négation. Elle est
certes, comme le résume l'archéologue Jean Guilaine, "un
concentré de pouvoirs", "la tête d'où partent les décisions, les
règles, les lois", mais elle est aussi un concentré de révoltes,
la "tête d'où partent" les révolutions, l'espace où se dressent
les barricades et où s'installent les Cours des Miracles. C'est
en ville qu'agissent les gouvernants, même quand ils habitent
ailleurs, mais c'est en ville qu'agissent aussi les oppositions,
les régicides, les truands et les terroristes. La ville
concentre tout : les activités, les gestions et les crises, le
droit et les droits, les servitudes et les libertés.
Pour nous, ici et maintenant, la question politique reste celle-ci, qui se pose notamment, l'actualité aidant, à propos de l'aménagement du quartier "Praille-Acacias-Vernets" (PAV) et des velléités de la droite d'y accroître la proportion de propriété par étage au détriment des logements sociaux (un référendum a été lancé contre cette modification d'une loi approuvée par le peuple, il a abouti, et on votera...) : Peut-on conjuguer urbanisme et démocratie -du moins, ambitions urbanistiques et procédures démocratiques ? L'histoire suggère que non, et l'actualité ne la dément que faiblement : derrière, au-dessus des grandes réalisations urbanistiques, il y a souvent un pouvoir politique pour le moins autoritaire : Versailles naît de la volonté de Louis XIV, St-Petersbourg de celle de Pierre le Grand, le Paris de Haussmann de celle de Napoléon III, et même la démocratique Genève moderne naît de la mise à bas par le régime fazyste de ses vieux remparts. Et le Lignon (prix du patrimoine culturel Europa Nostra) des choix des autorités genevoises des années cinquante et soixante.
On n'inversera pas totalement ce processus. Mais on peut le confronter à une démocratie agissante, qui ne soit pas seulement une possibilité de s'opposer aux projets tombés d'en haut, mais aussi une possibilité de faire remonter en haut des projets venus d'en bas. De la ville elle-même, en somme.
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