Musée d'Art et d'Histoire : Après le contenant, le contenu

 

Musée d''Art et d'Histoire : Après le contenant, le contenu ?

Sauvera-t-on un projet de rénovation et d'extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève au prix d'un compromis politique, ou politicien, "sortant" la butte de l'Observatoire du périmètre des travaux (et, avant eux, du crédit d'étude de 20 millions, correspondant à moins d'un dixième du coût total du projet) ? C'était la position des commissions des travaux et de la culture du Conseil municipal. Les interventions sur la butte de l'Observatoire devraient être limitées au "strict nécessaire" pour assurer l'accès au musée des personnes à mobilité réduite et des oeuvres, en limitant les abattages d'arbres et les atteintes à leur système racinaire. Pourquoi cette attention portée à la butte de l'Observatoire, désormais sans observatoire ? Parce qu'elle est devenue le motif possible d'un référendum contre le crédit d'étude du projet dans son ensemble.  Le crédit a été accepté mardi soir par le Conseil municipal, à une majorité écrasante et beaucoup d'arrière-pensées écrasées pour un temps -celui, précisément, de l'étude. On va pouvoir étudier le contenant, et il faudra bien, enfin, débattre du contenu -le projet muséal, le rôle culturel du musée.

Poser les questions qui fâchent -les seuls qui valent...

Le crédit d'étude de la rénovation et de l'extension du Musée d'Art et d'Histoire a donc été voté. Ce qui s'ouvre désormais, sous réserve d'un possible référendum, au-delà du projet matériel de réhabilitation du bâtiment historique, plus que centenaire (et qui porte bien son âge) de Camoletti, c'est le débat essentiel sur le rôle d'un musée au XXIe siècle, ses relations avec la Cité qui l'abrite, avec le public qui le justifie.

Nous sommes partisans d'un musée au coeur de la ville, ce que n'était pas, au moment de sa construction, le MAH genevois, et ce qu'à la vérité elle n'est toujours pas, cette forteresse bâtie au-delà des anciens remparts, et qui, au moment de son inauguration, faisait symboliquement face à l'ancienne prison de St-Antoine. Et nous sommes partisans d'un musée physique, pas virtuel. D'un musée qui donne à voir, matériellement, ses collections. Qui permet l'émotion qui peut nous saisir devant une oeuvre ou un objet... et ne nous saisira jamais devant son image sur un écran.

"Personne ne sait exactement ce qu'est, conceptuellement, un musée", reconnaît le directeur de celui d'Art et d'Histoire de Genève, Marc-Olivier Wahler, qui en appelle, dans la publication du MAH ("Magmah") à "tenter de penser non pas le musée du futur mais, plus radicalement et plus cavalièrement peut-être, le post-musée : un autre type d'espace aux contours encore incertains que le Musée d'art et d'histoire de Genève et l'entreprise de réinvention dans laquelle il s'est engagé permettent ans doute d'imaginer". Ce "post-musée", toutefois, restera un musée. Interrogé dans l'hebdo de la Migros, Marc-Olivier Wahler, annonçait une "révolution muséographique", une "vision transversale" dépassant les différents départements. Il prévoyait de montrer "sans hiérarchie", et dans leur totalité, le million d'objets des collections : "un silex de la préhistoire côtoiera une icône orthodoxe, un instrument de musique, une gravure de Vallotton". Le processus de refonte du musée va, annonce-t-il, durer dix ans, avec fermeture du musée (sauf le Rath et Tavel) les quatre dernières années : "c'est tout le musée qui va changer", pour qu'y soit développé "un sentiment d'appartenance", pour que la culture n'y vienne pas "d'en haut" et que"l'expérience physique et sociale" de la rencontre avec les oeuvres réelles, matérielles, et non leur reproduction virtuelle, reste "importante" : "ce qui importe, c'est que le visiteur devienne un acteur à part entière dans l'espace physique de l'exposition", et prenne "possession du lieu", y compris de ses cimaises, de son éclairage, de l'air qu'on y respire... On s'éloignerait alors de la conception dix-neuvièmiste (mais héritée de la Révolution française) du Musée encyclopédique, exposition aux peuples des collections aristocratiques remises à la Nation, accès donné à toutes et tous aux arts et aux savoirs existants, mais aussi de celle du bâtiment muséal constituant lui-même la première pièce du Musée, ce que sont Beaubourg ou le Guggenheim de Bilbao. 

La question toutefois demeure sans réponse, de "comment amener au musée celles et ceux qui n'y vont pas ?", ou n'y vont que pour son restaurant ou ses "afters", ce "non public" que le musée n'attire pas, et parfois même repousse, et que le directeur du MAH veut faire venir en le rendant "moins intimidant", En faisant d'un musée autre chose qu'un musée ? une Agora ? C'était le vieux projet des situationnistes... qui néanmoins ne renonçaient pas à conquérir un pouvoir culturel, y compris sur les musées : "(...) la culture est le centre de signification d'une société sans signification. Cette culture vide est au coeur d'une existence vide,  et la réinvention d'une entreprise de transformation générale du monde doit aussi, et d'abord,. être posée sur ce terrain. Renoncer à revendiquer le pouvoir dans la culture serait laisser ce pouvoir à ceux qui l'ont"
(Internationale Situationniste, décembre 1960). 
Réponse de Matteo Campagnolo dans "Le Courrier" : "on ne peut pas transformer un musée destiné à conserver, étudier et présenter des objets (en) un théâtre de commedia dell'arte, un local de happening, sans le dénaturer", sans qu'il devienne "tout... sauf un musée, au détriment de ce qu'il conserve et de sa vocation". Mais qui la lui assigne, sa vocation, sinon la Cité qui le construit et le finance ?

"Le Musée du futur se caractérise par une grande évidence : comme les pompiers, la station d'épuration, la bibliothèque ou l'hôpital : il fait partie intégrante de l'équipement urbain de base d'une société vivante. (...) Sachant qu'une majorité de la société ne s'intéressera peut-être jamais à l'art, le Musée du futur crée des offres accessibles, raconte des histoires et cultive des formats hybrides afin d'atteindre précisément ceux qui sont jusqu'à présent restés à l'écart. Il évite la polarisation "SOIT/OU". Il cultive le "ET". Il est à la fois numérique et analogique, complexe et accessible, intense et économe en ressources" (Fanni Fetzer, directrice du Kunstmuseum Luzern). Soit, mais que dit-il ce musée, que montre-t-il ? Ce qu'est la société qui l'institue, ou ce qu'elle voudrait qu'on croie qu'elle est ?

"il est indispensable de savoir ce qu'on va (dire dans une institution culturelle), avec quelles ressources, avec l'aide de qui, en s'adressant à quels publics, à travers quelles activités, et pour atteindre quels objectifs"  rappelait il y a quinze ans Marie-Hélène Joly  dans la "lettre de l'OCIM" : "Quel est le sens du musée dans un environnement précis à un moment précis, la vocation de l'établissement par rapport à ses destinataires d'aujourd'hui et de demain ? Quel est son rôle dans la cité ? Quel mandat lui a donné sa tutelle et quel bénéfice en termes d'image lui procure-t-il ? Que représente-t-il pour ses publics et que leur apporte-t-il ? Quelle relecture des collections faudrait-il opérer pour les rendre accessibles au plus grand nombre et par quels moyens ? En intervenant lourdement (sur le bâtiment, sur la muséographie) ou légèrement (à travers les activités) ? Quelle image du musée veut-on exprimer ? Quel rayonnement vise-t-on, au plan local, national, voire international ? Quelles sont les forces et les faiblesses du musée en interne, les menaces et les opportunités en externe, et comment se positionner ? Dans quel sens souhaite-t-on développer le musée ? Où doivent se situer les continuités et les ruptures, et selon les domaines d'activité, que faut-il rétablir, développer, améliorer, transformer, créer ? Quelles décisions stratégiques en découlent ?"

Le crédit d'étude accepté par le Conseil municipal va, sous réserve d'un toujours possible référendum qui fermerait tout débat, aboutir à une proposition de contenant d'une politique muséale qui, forcément, va revenir en débat. Alors pourront être posées les questions qui fâchent -et donc, qui valent, pour un projet qui coûtera (pas seulement à la Ville, mais tout de même principalement à elle) des centaines de millions de francs...

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