Politique des transports : Réduire le trafic ou le débat ?

Désormais à la tête du département de tutelle de la politique des transports à Genève, Pierre Maudet lance une consultation qu'il veut la plus large possible, et qui ouverte par des ateliers thématiques doit aboutir à des "Etats généraux des mobilités". On se souvient du procès en trahison intenté à son prédécesseur centriste, Serge Dal Busco, par la droite de la droite (l'UDC, le MCG), le PLR et GHI, l'accusant d'une seule voix de mener une politique "verte" contraire à celle voulue par l'électorat l'ayant élu et réélu. C'était beaucoup trop lui reprocher (on était plutôt de ceux qui lui reprochaient une prudence excessive), et le procès en "trahison permanente" (en Décaillet dans le texte) tenait franchement du délire paranoïaque, mais cela avait un auditoire, même au sein du parti de Dal Busco, le PDC. Bon, Judas ayant été quelque peu poussé à ne pas se représenter, à défaut de se prendre douze balles dans la peau, place à Pierre. Et à la recherche d'un consensus entre défenseurs de la mobilité douce et fétichistes de la bagnole. A l'impossible Maudet est-il tenu ? C'est beau, de se donner des objectifs ambitieux. "C'est bien d'aborder ce thème de manière non politique" se félicite le président du TCS-Genève. C'est "bien" surtout si on espère qu'il ne sortira rien d'un débat auquel les experts en mobilité n'ont pas été conviés...

Qui "engorge les réseaux" ? les piétons ? les cyclistes ?

Le site des "Etats généraux des mobilités" décrit ainsi la situation genevoise : "l'engorgement des réseaux est tel qu'il affecte l'activité économique comme la santé de certains riverains, qui souffrent des nuisances liées au bruit et aux émissions aériennes produites directement par les déplacements". "L'engorgement des réseaux", donc. Mais qui les engorge ? les piétons ? les cyclistes ? Evidemment non : "à Genève,l'omniprésence des transports individuels motorisés empêche un usage optimal de l'espace public et impacte fortement l'empreinte carbone", écrit le Conseil administratif de la Ville de Genève dans sa "stratégie climat". Rappelant que la mobilité pèse pour plus du quart (27 %) des émissions de gaz à effet de serre à Genève, il résume : le "modèle de mobilité basé sur le "tout voiture" génère non seulement un volume important d'émissions de gaz à effet de serre (GES) mais aussi une détérioration de la qualité de l'air et une augmentation des nuisances sonores impactant ainsi la qualité de vie et la santé de la population". Actif-trafiC complète : "la voiture occupe encore deux tiers de l'espace public  aujourd'hui (...) Pour réduire le trafic de moitié d'ici dix ans, il faudra rééquilibrer l'espace". C'est possible -mais il va falloir s'en donner les moyens et en donner aux communes les compétences légales -et là, ce ne sont pas seulement le TCS, l'ACS et les bagnolards du MCG, de l'UDC et du PLR... en face de qui on risque de se retrouver, "Etats généraux des mobilités" ou pas , mais du canton...

A Genève, où le débat sur la politique des transports est calé sur le clivage gauche-droite, font encore débat des questions (la place à donner au vélo et aux piétons en la prenant à la voiture) qui ne le sont plus depuis un quart de siècle en Alémanie. La droite genevoise s'oppose systématiquement à toute entrave au trafic individuel motorisé, alors que la droite zurichoise, bâloise ou bernoise (du moins dans les villes) a admis que de telles entraves étaient indispensables au développement de la mobilité "douce", l indispensable à la qualité de vie en ville (et au-delà). La population genevoise elle-même ne fait plus de la défense de la voiture individuelle une priorité, sinon pour les 15 % d'automobilistes contraints, par leurs horaires, leurs activités, leurs lieux de vie et de travail, leur état physique  -en fait,la défense de la liberté absolue de se déplacer en bagnole est devenu un combat d'arrière-garde : "de l'incarnation de la liberté, la voiture est devenue une obligation encombrante. C'est cher et cela fait perdre du temps", résume Vincent Kaufmann. La bagnole, en effet,  coûte cher, et d'autant plus cher qu'on a moins de ressources.

On doit à Genève comme ailleurs, changer radicalement (le jeu de mot n'est pas fortuit quand c'est à Pierre Maudet que revient la responsabilité de proposer un tel changement) de politique des transports. On le doit, mais le veut-on ? C'est affaire de rapport de forces politiques. Or un tel rapport, s'il se cristallise forcément, au final,  dans les institutions politiques, parlements, gouvernements, se construit en amont, au sein du peuple, de l'"opinion publique". A Genève, dans des votes populaires successifs, il et elle ont montré qu'elles étaient prêtes à ce changement. Il convient donc de faire remonter cet acquiescement jusqu'aux lieux de décisions politiques. Parce que c'est bien, au final, de décisions politiques dont il va s'agir, n'en déplaise au TCS...

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