Aux urnes, citoyens !

 

Dimanche prochain, un nouveau parlement fédéral aura été élu...

Dans une semaine moins un jour, on connaîtra le nouveau visage du Parlement suisse pour les années à venir. Tous les sondages convergent : la majorité de droite devrait se renforcer, grâce à l'UDC, et la minorité de gauche s'affaiblir, à cause des Verts. Mais les sondages ne sont pas des prédictions, juste l'image d'intentions de vote au moment du sondage... Il nous reste donc six jours pour, sinon les faire mentir (puisqu'ils ne prédisent pas les résultats), du moins démentir ceux qui les prennent pour autre chose que ce qu'ils sont . Et faire accoucher ce pays d'un parlement qui ressemble plus à sa réalité sociale. En somme, faire ce qu'on n'a pas réussi à faire lors de nos dernières élections cantonales genevoises. Aux urnes, citoyens et citoyennes !

Le PS sait-il ce que ses électrices et ses électeurs attendent de lui ?

Qui représentent les élus ? Celles et ceux pour qui nous avons voté nous représentent-ils ? Nos choix sont-ils les leurs -et les connaissent-ils, d'ailleurs, nos choix ? Et si nous-mêmes sommes élus, représentons-nous celles et ceux qui nous ont permis de l'être? Une étude de l'Université de Genève, menée dans les cantons de Genève et de Berne auprès de 4677 citoyens et 368 élus fédéraux et cantonaux donne des éléments de réponse, en comparant les préférences et les choix des citoyens avec ce qu'en savent, ou en supposent (ou en ignorent) les élus. Résultat : un parlementaire sur trois ne sait pas ce que pense la majorité de son propre électorat.

On ne demande pas à un élu, une élue, de suivre l'opinion publique (sans quoi la peine de mort n'aurait sas doute pas été abolie en Suisse, et certainement pas en France, comme le reconnaissait François Mitterrand qui la fit abolir, après l'avoir lui même fait prononcer pendant la Guerre d'Algérie) mais on pourrait tout de même attendre de lui ou d'elle qu'il la connaisse...

Certes, les élues et nos élus dans un parlement sont supposés y voter sans mandat impératif. Mais dans le même temps, on dit d'eux, et eux, se le disent, qu'ils sont les représentants du peuple. C'est évidemment contradictoire : un représentant doit représenter, pas faire ce qu'il veut... Et on ajoutera, en bons rousseauistes, que dans une démocratie, le peuple ne se représente pas : il décide lui-même, ou abdique son pouvoir de décision. Et n'est donc plus le souverain que les constitutions disent qu'il est... Mais la question posée, et à laquelle l'étude de l'Université de Genève tente de donner une réponse, en pose une autre : même s'il vote sans mandat impératif, ce "représentant du peuple" est tout de même supposer voter sans ignorance de ce que pensent celles et ceux qui l'ont élu. Car s'ils ne sont pas les représentants du peuple, ils sont tout de même ceux de leurs électeurs et de leurs électrices. Or "même sur les sujets qui sont au cœur de leurs priorités, les élus ne parviennent pas, dans un cas sur trois, à évaluer correctement de quel côté se situe la majorité de leurs électorats", résume le politologue Frédéric Varone. Or, comme le note son collègue Pascal Sciarini, pendant la campagne électorale, "chaque parti reste dans les domaines où il est réputé compétent et où l'on sait qu'il va agir" : le PS dans le social, les Verts dans l'environnemental, le PLR dans le fiscal, l'UDC dans le migratoire... Sans doute les électrices et les électeurs socialistes attendent du PS qu'il agisse dans le domaine de la politique sociale, mais le PS sait-il ce que ses électrices et ces électeurs attendent de lui ?

A l'ignorance relative en laquelle les positions de l'électorat sont tenues par les élus, ignorance que renforce encore les liens entre les élus et les lobbies, s'ajoute un "biais cognitif" : les politiciens prennent leur électorat pour plus droitier qu'il est et, selon le professeur Varone "sont victimes d'un biais de conservatisme systématique", dont on peut supposer qu'il aboutit à ce que les propositions avancées, et les choix faits, par les élus sont moins audacieux qu'ils pourraient l'être... Mais heureusement, le jeu politique suisse a un atout : les instruments de la démocratie directe, le référendum et initiative populaires, qui disent, dans les urnes et non dans les sondages, l'état de l'opinion publique et, pour chaque parti, celui de son électorat. Et qui permettent aux partis, au-delà du prononcement de leurs élus dans les parlements où ils siègent, de faire des propositions et de donner des mots d'ordres moins prudents que ceux que produit le "biais cognitif" conservateur.

L’élection est une délégation d’un pouvoir qui ne devrait pas être délégué : celui du peuple, que les élus sont supposés représenter –alors que le peuple ne se « représente » qu’en étant dépossédé du pouvoir que la démocratie, ne serait-ce qu’étymologiquement, proclame lui accorder. Pour pouvoir être élu, il faut convaincre un électorat suffisant. On y arrive certainement plus facilement par la flatterie que par le reproche, par la promesse du meilleur que par celle du pire, en suivant le courant du « sentiment populaire » qu’en le remontant. L’élection devient ainsi non le moment d’un choix mais celui de la cristallisation d’un sondage d’opinion, non l’occasion de proposer une ligne politique mais celle de donner raison à des préjugés.

Pour autant, nous ne jetterons pas le bébé démocratique avec l’eau du bain étatique. Il nous suffit de nous souvenir de ce que la bourgeoisie fait de la démocratie lorsqu’elle la gêne, pour nous convaincre que cet outil n’est pas sans nécessité pour nous : les formes politiques, les modes de décision, qu’elle contient sont précisément celles et ceux dont se doterait une révolution victorieuse qui ne se résignerait pas à sa trahison. Au fond, ce n’est pas la démocratie qu’une révolution socialiste conteste, mais les limites que le capitalisme impose à la démocratie : nous sommes avec Rosa, contre Lénine. Avec le socialisme qui vient d’en bas, contre sa caricature qui tombe d’en haut. La Première Internationale (la seule, à vrai dire) ne projetait-elle pas la République démocratique et sociale ?  A notre manière, nous sommes rousseauistes. Or le contrat social selon Rousseau n'est pas passé entre les citoyens et l'Etat : il est passé entre les citoyens. L'Etat n'est pas partie du contrat, il est constitué par lui. Il en est l'objet, pas le sujet. Démocratique ou non, l’Etat ne crée pas le contrat social, c’est le contrat qui le créée –ou s’y refuse. Car le contrat social peut refuser l’Etat. Tel n'est pas le cas, ici et maintenant : le contrat social en vigueur a créé l'Etat -et un Etat démocratique... dans une société que nous voudrions socialiste et qui ne l'est pas.

Or la démocratie comme méthode est indispensable à toute transition du capitalisme au socialisme, ne serait-ce que parce que cette transition n’est possible qu’avec l’acquiescement de la société, c’est-à-dire de la majorité des sociétaires –de la majorité du « demos ».
Une telle majorité ne se constitue ni se manifeste dans un processus électoral ou référendaire, qui, si large que soit le corps électoral, exclut toujours du prononcement politique une partie considérable de la population. Hier, seuls les hommes mariés, propriétaires, indigènes, voire de la religion du lieu, pouvaient voter et élire. Aujourd’hui, les femmes ont conquis ce droit, l’âge du vote a été abaissé, en quelques rares espaces politiques les « étrangers » ont obtenu une partie des droits politiques institutionnels, mais le processus électif reste un processus fondamentalement élitaire, voire aristocratique, et épisodique, même là où on vote tous les trois mois, comme en Suisse. La démocratie est un état permanent, l’élection et le vote ne sont que des moments.

A nous de faire en sorte que ces moments ne soient pas ceux d'une victoire des forces qui ne se réclament du peuple et de la démocratie que pour se vautrer dessus.





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