Elections fédérales : à droite, mais pas toute !

Vers quatre ans de luttes

Les sondages nous y préparaient : la droite sort renforcée de l'élection des Chambres fédérales (quoiqu'il faille encore attendre le deuxième tour de celle du Conseil d'Etat pour qu'on sache exactement quel y sera le rapport des forces). La gauche en sort donc affaiblie, malgré la résistance du Parti socialiste, puisqu'il n'a pas pu compenser le recul des Verts (et la disparition de la gauche de la gauche, pour la première fois depuis 80 ans...). Et l'UDC reste de loin le premier parti du pays, même si elle ne retrouve pas tous les sièges qu'elle avait perdus il y a quatre ans, et que dans les principales villes du pays, son résultat reste médiocre et la place derrière le PS, et parfois même, comme à Genève, derrière le PLR et les Verts. Nous voilà donc avec un nouveau parlement fédéral. Il ne sera ni une Chambre d'enregistrement des choix gouvernementaux (il est constitutionnellement l"autorité suprême de la Confédération), ni un pouvoir souverain (ce pouvoir, c'est le peuple). On n'a pas élu des fantômes, on a élu des hommes et des femmes à qui on a donné un réel pouvoir. Mais on n'a pas non plus sacré des princes -seulement des représentants. On a un nouveau parlement (on reviendra demain sur le détail des résultats), et son élection s'est tenue le 1er Brumaire, pas le 18. Il est plus à droite que le précédent, et il faudra faire avec, on en a l'habitude : la gauche n'a jamais été majoritaire au parlement fédéral... Nous aurons aussi à faire le meilleur usage possible de nos droits de référendums et d'initiative pour contourner le rapport des forces au sein du législatif fédéral. Ce sera quatre ans de luttes. On sait le faire -et on le fera.

"Aux urnes, citoyens" n'est pas qu'un slogan, c'est aussi un rythme.

Le nombre de candidates et candidats aux élections de dimanche avait atteint un record, alors qu'un lieu commun semblait s'être imposé (en sus du "de toutes façon ils font ce qu'ils veulent régulièrement asséné par des abstentionnistes) : le parlement est impuissant, pourquoi se mobiliser pour l'élire, ou s'y candidater ? Lieu commun, et idée fausse, comme le rappelaient en septembre les politologues Rahel Freiburghaus, Adrian Vatter et Pascal Sciarini dans la "Tribune de Genève" : le parlement fédéral est, constitutionnellement, l'"autorité suprême de la Confédération" (après le peuple, sans doute, mais le peuple n'est pas une autorité, il est supposé est la source de toute autorité) : Il détient le pouvoir législatif (sous réserve du droit de référendum) modifie la majorité des projets de loi que lui transmet le Conseil fédéral et c'est lui qui élit les membres du gouvernement et les juges fédéraux, et même le général de l'armée en cas de guerre... Pour autant, le constat de faiblesse de ce parlement constitutionnellement puissant n'est pas sans pertinence : les Chambres fédérales ont plus de compétences que de moyens pour les exercer, elles manquent de personnel, leur infrastructure est faible, leurs membres ne disposent que de peu de collaborateurs voués à cette fonction.

Reste à savoir, si on admet l'hypothèse qu'un parlement puisse représenter un peuple, qui le nôtre représente-t-il, quels intérêts, quelles réalités sociales ? Représente-il celles et ceux qui n'ont pas eu le droit de l'élire (parce qu'ils ont moins de 18 ans, ou qu'ils sont étrangers) ? Représente-t-il celles et ceux qui, ayant ce droit, n'en ont pas fait ou pas pu en faire usage, et qui représentent la majorité du corps électoral ? Représente-il les  "secondos", ces Suisses et Suissesses nés de parents étrangers qui ont acquis la nationalité suisse sans perdre celle de leurs parents ? Représente-t-il les couches sociales les plus pauvres ? A en juger par sa composition, tant celle de la dernière législature que celle issue  des urnes d'hier, la réponse ne peut être que négative : les Chambres fédérales vont rester un parlement d'hommes indigènes aisés... et le terrain de jeu de lobbies qui n'ont aucun intérêt à ce que ce parlement prenne des décisions privilégiant d'autres milieux que ceux des classes sociales les plus favorisées.

Enfin, les choix que fait ce parlement sont-ils ceux qui prévalent dans la population, indépendamment des élections ? Rahel Freiburghaus, Adrian Vatter et Pascal Sciarini en doutent (et nous aussi) : "les hommes et les femmes politiques souffrent d'un "biais de conservatisme", qui les amène à voir leur électorat plus à droite et plus conservateur qui ne l'est". Ce qui est d'ailleurs logique : "les parlementaires forment leurs préférences à partir du milieu dont ils sont issus et de leurs propres expériences, et les attribuent ensuite (à tort) à leur électeurs".

Bref, si la Suisse ne sort pas de ces élections avec un parlement qui lui ressemble socialement, elle n'en en sort pas non plus avec le parlement qu'elle mérite : elle mérite mieux que lui. Mais fort heureusement, il se trouve que dans ce pays, s'il est législateur, le parlement ne l'est pas souverainement : toute loi (sauf exceptions rarissimes) peut être soumise à référendum populaire... Nous en avons d'ailleurs plusieurs sur le feu, en ce moment même. Les élections ne sont pas chez nous le sommet de la vie démocratique, et on ne sort de ce dimanche d'élections qu'avec la certitude que dans les quatre ans de législature qui s'ouvrent, nous aurons bien une quinzaine de votations fédérales (sans compter les cantonales et les municipales) qui nous permettront de corriger les choix parlementaires : "aux urnes, citoyens" n'est pas qu'un slogan, c'est aussi un rythme.

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