Il y a 91 ans, le 9 novembre, à Genève...

En mémoire, en hommage

Nous sommes le 18 Brumaire. Sale date historique, et veille d'une autre sale date historique : le 9 novembre 1932, une manifestation  anti-fasciste réunissant socialistes, communistes, anarchistes et syndicalistes avait lieu à Genève pour protester contre un rassemblement fasciste de "mise en accusation" des leaders socialistes Léon Nicole et Jacques Dicker. Appelée au secours par le Conseil d'Etat, alors que la police eût été parfaitement capable de contenir la manifestation sans avoir besoin de la disperser,  l’armée fédérale ouvrait le feu, tuant 13 personnes et en blessant une soixantaine d’autres (dont seules six étaient connues pour leurs engagements politiques), pour, du côté de l'armée, quelques blessés ou contusionnés, sans que les manifestants aient fait usage des armes prises aux soldats contrairement à ce que la presse de droite et d'extrême-droite prétendait et avançait comme preuve d'un "complot révolutionnaire".  Le correspondant à Genève du "Guardian" britannique résumait : "Dans ma longue expérience, je n'ai pas connaissance d'un cas où l'on ait tiré sur la foule avec aussi peu de raison. Bien plus, sans raison aucune". Les responsables militaires et politiques du massacre ne seront jamais inquiétés (en, revanche, Léon Nicole sera arrêté, condamné et emprisonné). Et le "Réveil anarchiste" de Luigi Bertoni dénonce la responsabilité directe du gouvernement, mais aussi l'"esprit d'obéissance" qui amène les soldats à exécuter l'ordre de tirer sur une foule désarmée.

En mémoire de cette fusillade et en hommage à ses victimes, une manifestation aura lieu demain 9 novembre, à 18h, devant Uni-Mail à Genève. et mercredi 15 novembre à 18h30 à la Maison Internationale des Associations (MIA) à Genève la projection du film ”Genève, 9 novembre 1932” de Jacqueline Veuve sera suivie d’une conférence abordant les enjeux antimilitaristes de notre temps et le futur de nos projets. 

Contrairement à ce que prophétisait Hegel, l'histoire ne se répète jamais. Mais il lui arrive tout de même de bégayer.

Ce fut la dernière fois, ce 9 novembre 1932 à Genève,  que l’armée était appelée en Suisse pour faire face à des manifestants. Toutefois, le 10 novembre encore, le Conseil fédéral mettait à disposition du gouvernement genevois trois bataillons de soldats valaisans en plus des troupes déjà présentes à Genève, pour contrer la grève générale proclamée après le massacre de la veille. En 1918, l'armée avait déjà été mobilisée contre la Grève Générale, et avait tiré sur des grévistes, et en avait tués à Granges. Plus tard, les autorités suisses remettront en question le recours à l'armée pour répondre à la contestation sociale, ce qui était (et reste ailleurs qu'en Suisse) une permanence, surtout (mais pas seulement) en temps de crise comme était le temps de 1932, marqué par les conséquences du crach bancaire américain de 1929. En septembre 1932, à Genève, le patronat avait tenté de baisser les salaires de 10 % dans le secteur du bâtiment, en réponse à quoi le syndicat du secteur, la FOBB, emmenée par les anarcho-syndicalistes de Lucien Tronchet, avait lancé une grève générale, limitée au secteur, mais dans laquelle Tronchet voyait "le prélude (à) la grande grève générale insurrectionnelle qui permettra aux travailleurs la reprise des moyens de production".

Un an après le massacre du 9 novembre, la gauche prendra, par le PS, la majorité au Conseil d'Etat, face à une droite coalisée dans une "Entente patriotique", ancêtre de l'"Entente genevoise" et qui bénéficiera du soutien de l'extrême-droite (l'Union Nationale de Georges Oltramare). Furieuse de sa défaite, la droite prépara sa revanche et reprendra le Conseil d'Etat en 1936, avec la totalité des sièges, alors même que le PS restait le premier parti du canton et du Grand Conseil, et qu'il avait  admis en son sein les communistes dont le parti avait été interdit en votation populaire : c'est sur la liste socialiste que les communistes, dont Jean Vincent, firent leur entrée au grand Conseil.

Le massacre genevois de 1932 se commet sur fond de montée de l'extrême-droite, et de droitisation de la droite démocratique, un peu partout en Europe : Mussolini est au pouvoir depuis dix ans en Italie, Salazar a accède au Portugal, Hitler y accédera l'année suivante, Franco déclenchera la Guerre d'Espagne quatre ans plus tard. Où en est-on aujourd'hui ? en se "dédiabolisant", une nouvelle extrême-droite est arrivée au pouvoir en Italie et espère y arriver en France. Et le premier parti de suisse est l'UDC. Et au second tour de l'élection des représentants de Genève au Conseil des Etats, la gauche fait face à une alliance du MCG et de l'UDC, soutenue, même du bout des lèvres, les yeux baissés et le nez pincé, par le PLR et le Centre.

Contrairement à ce que prophétisait Hegel, l'histoire ne se répète jamais. Mais il lui arrive tout de même de bégayer.









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