Retour sur les élections fédérales

Janus vainqueur

Revenons sur le résultat global des élections fédérales (Genève est certes le centre du monde, mais pas le monde , ni même la Suisse à elle seule...) : le virage à droite, et à la droite de la droite, se confirme, le recul des Verts aussi, comme la bonne résistance socialiste à l'un et l'autre. Dans l'ensemble, le rapport des forces parlementaires a changé, au détriment e la gauche. C'est un changement de peu d'ampleur, on reste dans la fourchette historique qui voit la gauche osciller entre un quart et un tiers des suffrages et des sièges, mais c'est un changement tout de même, qui va peser sur les décisions des Chambres fédérales, et contraindre la gauche à recourir plus souvent au référendum populaire. Et devrait la convaincre d'adopter une ligne, un discours, une stratégie plus profilées, plus radicales au sens vrai du terme (allant "à la racine" des maux qu'elle entend combattre). Une gauche plus à gauche, en somme. Il y a enfin un paradoxe dans le résultat des élections fédérales : Janus en est le vainqueur, les deux partis gagnants, l'UDC et le PS, étant des partis à la fois, au bonheur des urnes mais au risque de la schizophrénie, gouvernementaux et d'opposition. Des partis d'opposition siégeant au gouvernement des partis gouvernementaux s'opposant au gouvernement, c'est selon, pour l'UDC comme pour le PS. Et même à Genève, du temps où Mauro Poggia était Conseiller d'Etat, c'était aussi le cas du MCG...

La démocratie est un état permanent, l’élection et le vote ne sont que des moments.

Nous sommes, par principe autant que par l’examen raisonnable et raisonnant de l’histoire, opposés à toute délégation de la souveraineté populaire. Or l’élection est précisément une délégation d’un pouvoir qui ne devrait pas être délégué : celui du peuple, que les élus sont supposés représenter alors que le peuple ne se « représente » qu’en étant dépossédé du pouvoir que la démocratie, ne serait-ce qu’étymologiquement, proclame lui accorder. Il est cependant des situations où nous revendiquons le droit de faire usage de « tous les moyens, même légaux ». Le vote est un instrument : comme l’écrivaient au printemps 2002 des anarchistes français, « ce n’est pas parce qu’on est hors d’état de vaincre le fascisme dans la rue qu’on ne doit pas l’empêcher d’accéder au pouvoir par les urnes ».  Que nous soyons en quête d’une démocratie absolue ne nous empêche pas de préférer une démocratie relative, limitée, tronquée, à une absence totale de démocratie. Certes, si les élections pouvaient permettre un changement de société, elles seraient interdites (au fait, elles le sont, sous les dictatures). Mais si l’abstentionnisme était révolutionnaire, le vote serait obligatoire, et les abstentionnistes seraient pour le moins en prison.

La démocratie reste une revendication, et une revendication révolutionnaire, et si on voit et comprend bien à quoi elle ne ressemble pas (la dictature, l’oligarchie, l’autocratie, la théocratie), on a peine à en trouver une définition qui soit commune à tous ceux qui prétendent la défendre.  Elle ne se confond ni ne se réduit à des processus électoraux ou référendaires, ni à l’Etat, car elle est un principe bien avant que d’être une procédure ou un mode d’organisation. Elle suppose en effet la liberté, l’égalité, la justice, le respect de la dignité bien plus que l’élection ou le référendum : le pouvoir du peuple ne se confond pas avec celui de la majorité du peuple, et lorsque la majorité du peuple acquiesce à la négation des droits de la minorité et à la réduction des libertés individuelles ou collectives, c’est la majorité du peuple qui viole la démocratie.

La démocratie suppose  des citoyennes et des citoyens libres de leurs choix, capables de les exprimer, de se déterminer en fonction d’eux et de prendre collectivement les décisions qui les concernent, y compris celles qui concernent leurs conditions de travail, sa rémunération, son sens et son utilité. En quoi il se confirme que la démocratie n’est pas un état acquis, mais encore, et toujours, une revendication –et une revendication "objectivement" révolutionnaire  -le pouvoir du peuple, cette étymologie de la démocratie, est aussi cet horizon qu’elle n’atteint toujours pas : l’égalité des droits, niée par l’inégalité des situations. Et par le fait même que la démocratie promet plus que ce qu’elle est, elle entretient la volonté de la faire ressembler à ce qu’elle promet –et cette volonté est une volonté révolutionnaire.

Nous ne jetons pas le bébé démocratique avec l’eau du bain électoral. Il nous suffit de nous souvenir de ce que la bourgeoisie fait de la démocratie lorsqu’elle la gêne pour nous convaincre que cet outil n’est pas sans légitimité pour nous : les formes politiques, les modes de décision, qu’elle contient sont précisément celles et ceux dont se doterait une révolution victorieuse qui ne se résignerait pas à sa trahison. Au fond, ce n’est pas la démocratie qu’une révolution socialiste conteste, mais les limites que le capitalisme impose à la démocratie : nous sommes avec Rosa, contre Lénine, avec le socialisme qui vient d’en bas, contre sa caricature qui tombe d’en haut. La Première Internationale  ne projetait-elle pas la République démocratique et sociale ?  

La démocratie comme méthode est indispensable à toute transition du capitalisme au socialisme, ne serait-ce que parce que cette transition n’est possible qu’avec l’acquiescement de la société. Or un processus électoral ou référendaire, si large que soit le corps électoral, exclut toujours du prononcement politique une partie considérable de la population. Hier, seuls les hommes mariés, propriétaires, indigènes, voire de la religion du lieu, pouvaient voter et élire. Aujourd’hui, les femmes ont conquis ce droit, l’âge du vote a été abaissé, en quelques rares espaces politiques les « étrangers » ont obtenu une partie des droits politiques institutionnels, mais le processus électif reste un processus fondamentalement élitaire, voire aristocratique, et épisodique, même là où on vote tous les trois mois, comme en Suisse. La démocratie est un état permanent, l’élection et le vote ne sont que des moments.




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