Visite d'Etat d'Emmanuel Macron en Suisse : La France et la Suisse, amies, clientes, associées

Les présidents suisse et français, Alain Berset et Emmanuel Macron, ont affiché leur connivence lors de la visite d'Etat du second dans le pays du premier, mercredi et jeudi, les deux ont sans doute passé un bon moment. Tant mieux pour eux : l'un est sur le départ, l'autre campe dans un monde politique parallèle :  Alain Berset ne sera plus président de la Confédération le 1er janvier prochain, Emmanuel Macron ne cesse de parler à des gens qui ne l'écoutent pas, et d'user du "en même temps" pour construire une position équilibrée, équidistante sur des conflits où les partisans d'un camp refusent d'entendre parler de l'autre.  Peu importe : "Nous sommes plus que des voisins, nous sommes des amis", a lancé Macron aux Suisses. "L'amitié retrouvée", tirait "Le Courrier" hier... Nous sommes aussi des associés, économiquement parlant, et des alliés. Après tout, les Suisses (et non "la" Suisse, qui n'existait pas comme Etat)  sont les premiers, voire même les seuls (on n'a pas vérifié) à avoir signé une "paix perpétuelle" avec la France en 1526, et la France la dernière à avoir été en guerre contre les Suisses, en 1798. Page tournée, nous sommes depuis deux siècles voisins, amis, clients les uns des autres et associés : "chers amis français, n'en doutez point, vous serez toujours les bienvenus en Helvétie", a assuré Alain Berset. Message transmis, aussi, aux francophobes genevois acoquinés à Berne avec les xénophobes suisses.

La Suisse n'est pas membre de l'Union Européenne, elle est européenne sans union

C'est bien plus sur fond de débat en Suisse sur notre rapport à l'Europe que sur l'état du monde, et bien plus encore que sur la maîtrise du débit du Rhône, de l'achat de F-35 américains putôt que de "Rafale" français et de l'exode des professionnels de la santé français en Suisse que s'est tenue la visite d'Etat du président Macron en Suisse... "Vous ne le savez peut-être pas, mais vous êtes européens", a adressé Macron aux Suisses... Merci, Monsieur le président, on le savait. Et Macron de glisser aux Suisses, européens sans le savoir, "je ne vais pas vous convaincre de faire de la prose, vous en faites déjà".. comme M. Jourdain, le Bourgeois gentilhomme de Molière faisait de la prose -on aurait été Berset, on aurait peut-être eu la présence d'esprit d'aller  chercher dans Molière un autre personnage à qui comparer ("en même temps") les Français : Tartuffe, peut-être ?

Le 6 décembre, le peuple suisse refusait, de justesse, Alémanie et Tessin contre Romandie, banlieues et campagnes contre villes, l'adhésion de la Suisse à l'"Espace économique européen" (EEE), entre les membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE) et la Communauté européenne. L'UDC triomphait. Ce fut en réalité son seul triomphe dans l'ordre de l'europhobie : les Suisses ont ensuite approuvé les accords Schengen-Dublin et la libre-circulation en 2005, le "milliard de cohésion" en faveur des nouveaux membres de l'UE en 2006, l'extension de la libre-circulation à la Bulgarie et la Roumanie en 2009, et refusé en 2020 de la mettre en cause pour mettre en oeuvre l'initiative "contre l'immigration de masse", qu'ils avaient pourtant voté (toujours Alémanie et Tessin contre Romandie et banlieues et campagnes contre villes) en 2014...

Et nous, à gauche, dans tout ça ? le PS a quant à lui pondu un "papier de position" sur l'Europe ("Stratégie du PS pour la politique européenne de la Suisse"), proposant une procédure en quatre étapes pour débloquer les relations entre la Suisse et l'UE et, à terme, poser clairement au peuple la question de l'adhésion de la Suisse à l'Union : "Le PS veut ainsi entrer dans l'ère de l'"association", du "partenariat" et de l'intégration"... et bientôt, espérons-le, de la "participation" et de l'"appartenance"". De l'appartenance à quoi ? à une "Europe sociale, démocratique et écologique, qui renonce aux illusions du marché tout-puissant". Mais cette Europe existe-t-elle seulement ? Et l'Union Européenne constitue-t-elle ce que le PS suisse attend d'elle , "un rempart décisif contre les développements dangereux de la mondialisation et des impérialismes anciens et nouveaux" ? Pour les socialistes suisses, "il est de la responsabilité du socialisme de renforcer, partout sur le continent, le projet politique d'intégration européenne en rompant avec le modèle néolibéral et en imposant un agenda de réformes sociales et environnementales à l'ensemble de l'Europe". Mais on l'impose comment, cet agenda, dans une Europe où les "socialistes", si largement qu'on les définisse, sont minoritaires, même en alliance avec les Verts et la "gauche radicale" ? Et qu'est-ce qu'on fait des droits populaires spécifiques à la Suisse, qui  ne pourraient pas continuer à s'exercer pleinement en cas d'adhésion inconditionnelle à l'Union Européenne ? Le PS le sait, le reconnaît dans son "papier de position", et le liste au nombre des inconvénients d'une adhésion : "le droit européen étant au-dessus du droit national, les décisions populaires contraires au droit européen ne pourraient pas être pleinement mises en oeuvre". C'est le moins que l'on puisse, en effet , dire. Or nous y tenons, aux droits populaires. Nous y tenons tellement que nous en faisons grand usage. Comme lorsque nous avons, en 2002, soutenu le référendum lancé contre la libéralisation du marché de l'électricité : le peuple nous avait alors suivi, et refusé l'alignement de la Suisse sur une directive européenne dégoulinante de "néo"-libéralisme économique. Or il n'a pu le faire que parce que la Suisse n'était ni membre de l'Union Européenne, ni liée par un accord institutionnel avec l'UE...

Sur la place fédérale, pour accueillir Macron, on avait fait flotter les drapeaux suisse, français et européen (lequel drapeau n'est pas celui de l'Union Européenne, mais de toutes les institutions européennes), comme un rappel à la réalité : la Suisse, là où elle est, avec les voisins qu'elle a et les échanges qu'elle a avec eux, est, forcément, européenne (même sans le savoir...). Et le rapport de force entre elle et l'UE est tel qu'il contraint la Suisse a appliquer des normes européennes pour pouvoir exporter en Europe, qu'elle est partie de l'"espace Schengen" de libre-circulation, que nos trois langues officielles sont aussi des langues officielles de l'Union Européenne (seul le romanche n'est qu'à nous langue nationale...), qu'elle est membre du Conseil de l'Europe et partie prenante du projet de Communauté politique européenne porté par Emmanuel Macron -bref, la Suisse n'est pas membre de l'Union Européenne, elle est européenne sans union. Et ne pouvant décider, elle exécute. Et reçoit : "en accueillant la France, c'est aussi l'Europe que nous recevons", comme disait mercredi Alain Berset, pour qui, l'Europe, c'est "des valeurs, une culture, une géographie partagées"...

Mercredi, Macron a invité la Suisse à signer, "après quinze ans de négociations" (neuf ans, en fait), un accord avec l'Union Européenne : Le 26 mai 2021, le Conseil fédéral avait annoncé l'interruption des négociations entamées depuis six ans avec l'Union européenne pour la conclusion d'un accord-cadre institutionnel. Or un tel accord ne pourra se faire que si une majorité des grandes forces politiques et sociale suisses l'acceptent, et qu'il devra en outre certainement être soumis au peuple. Et qu'il faudra plus, au peuple, que les déclamations d'amitié réciproque entre la France et la Suisse pour qu'il l'accepte, s'il rogne si peu que ce soit les droits de référendum et d'initiative. 

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