Cé què l'ainô? Allah Akhbar !

Dans la nuit du 11 au 12 décembre selon l'ancien calendrier julien, sans doute du 20 au 21 décembre selon notre calendrier commun,  les troupes catholiques du duc de Savoie tentèrent de prendre Genève, pour la ramener à la véritable église après y avoir commis quelque joyeuse extermination façon Saint-Barthélémy. Elles furent repoussées par le peuple, protestant (forcément) de Genève, qui y perdit 18 combattants (l'envahisseur y laissant une septantaine de morts). Après quoi, et avant force action de grâce au Temple de Saint-Pierre, on décapita une soixantaine de soldats du duc de Savoie et on en pendit treize, chiffres donnés fièrement par le "Cé què l'ainô",  cantique composé, dans la langue locale du temps (le vieil arpitan savoyard), qu'on chante depuis 421 ans sans y comprendre grand'chose, et dont le titre même ne pourrait être aujourd'hui mieux traduit qu'en arabe :  "Allah Akbar !"...

"Y lou fau to pandré et eitranglia (...)
A to zamai son Sain Non soit begni !
amen, amen, ainsi, ainsi soit-y !"

On devrait pouvoir commémorer, et même célébrer, un moment historique en le débarbouillant des couches de réécriture sous lesquelles il devient illisible.  Genève pourrait célébrer (et même commémorer" l'Escalade avec quelque distance critique, et ne pas oublier qu'en 1602, on y parlait plus savoyard que français, qu'il y avait plus de Savoyards et de Français dans les rangs des défenseurs de Genève et de la Vraie Foi (forcément) qu'il y en avait dans ceux de l'armée du duc de Savoie (composée essentiellement d'Espagnols et d'Italiens, défenseurs de l'autre Vraie Foi). On peut aussi ne pas oublier que Dame Royaume était lyonnaise, Isaac Mercier lorrain, Théodore de Bèze Bourguignon... et qu'en 1815, les frontaliers de l'époque sont devenus d'un coup, d'un seul, seul, de vrais Genevois quand leurs communes passèrent de la France à Genève et à la Suisse en même temps que Genève. 

Que reste-t-il de l'évènement de 1602 dans ses célébrations rituelles d'aujourd'hui ? Un culte au Temple, comme en 1602, un très beau défilé historique (la Vieille Ville n'étant jamais si belle qu'à la lumière des torches et des pots-à-feu), une brassée de discours patriotiques dans la  pure langue du bois dont on fit les gibets où pendre les prisonniers de l'armée défaite, ou les poteaux où ficher leurs têtes, des marmites en chocolat qu'on doit éparpiller en promettant le même sort aux "ennemis de la République"... et un cantique protestant en arpitan savoyard du début du XVIe siècle vouant à l'exécration, à la décapitation, à la pendaison, les ennemis de Dieu et de la vraie religion, cantique  dont quelques allumés voudrait faire  l'hymne officiel de la République laïque et officiellement francophone et francographe de Genève. Ainsi en a décidé la majorité de droite et d'extrême droite du Grand Conseil, sur proposition de l'UDC (on voit mal, en effet, d'où elle pouvait venir sinon de ce trou noir), qui voulait ainsi réagir à la prétention exorbitante d'un député socialiste, qui voulait que Genève "interroge sa propre histoire"... "Interroger sa propre histoire" ? Et puis quoi encore ? Qu'est-ce que c'est que ce wokisme ? Pourquoi pas "interroger"la Bible et le Coran, tant qu'on y est ?

N'empêche : Voir des députés frontaliérophobes vouloir faire d'un chant en savoyard l'hymne officiel de la République, et des démocrates-chrétiens «centristes» faire de même pour un cantique protestant appelant à l'extermination des catholiques, cela relevait déjà de la pataphysique, voire du dadaïsme, ce qui ne pouvait d'ailleurs manquer de nous la rendre sympathique, même si l'érection du Cé què l'ainô en hymne officiel de la République serait contradictoire de deux autres articles (au moins) de la Constitution, celui instaurant le principe de laïcité et celui posant l'officialité de la langue française. Le Conseil d'Etat  proposait d''inscrire dans la loi plutôt que dans la Constitution ? La majorité parlementaire n'en eut cure : elle voulait cette hymne djihadiste dans la Constitution. Le peuple votera donc. Mais on ne sait pas si la campagne de votation se fera en français ou en arpitan.

Comme il devait importer au Conseil municipal de ne pas se laisser dépasser par le Grand Conseil dans la production de Genfereien, et que la Ville doit reprendre le leadership dans cette production et continuer à montrer la voie au canton, comme elle le fait depuis qu'il existe, il nous était apparu opportun, légitime, indispensable même, de proposer au Conseil municipal de modifier son règlement afin de, lui aussi, sacraliser le "Cé qué l'âinô "en faisant ouvrir chacune de ses sessions par le chant de sa version intégrale et originale, en arpitan, entonné debout, a capella et dans son intégralité (68 couplets) par les membres du Conseil municipal. Lequel a refusé cette proposition. Las !

Donc, il ne faut pas que Genève "interroge sa propre histoire". Genève doit la célébrer, inconditionnellement, totalement, sans distance critique. Et ne pas la célébrer telle qu'elle fut réellement, mais telle qu'elle a été réécrite. Genève doit oublier qu'en 1602, on y parlait plus savoyard, qu'il y avait plus de Savoyards et de Français pour la défendre qu'il y en avait pour l'attaquer. Et que si l'Escalade fut la dernière tentative duc Duc de reprendre Genève et de la recatholiciser, c'est moins à cause de l'échec de l'Escalade que de la protection, certes intéressée, accordée à Genève par la France et par Berne (mais pas par la Suisse, qui n'était à l'époque qu'une alliance de cantons tous souverains, et dont une bonne moitié étaient catholiques et eussent célébré la victoire des agresseurs de Genève si cette victoire s'était dessinée...).

Mais foin de ces considérations socialo-wokistes, chantons plutôt en choeur ces mots de l'hymne futur de la République laïque, ville de paix et capitale du droit international humanitaire :

"Y lou fau to pandré et eitranglia (...)
A to zamai son Sain Non soit begni !
amen, amen, ainsi, ainsi soit-y !"

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