Les budgets publics ? des autorisations de dépenses fondées sur des hypothèses de recettes
Gestation pachydermique
C'est quoi, un budget ? C'est une autorisation de
        dépenses fondée sur une hypothèse de recettes. Cette
        autorisation de dépenses est donnée à un Exécutif (un Conseil
        administratif, un Conseil d'Etat, le Conseil fédéral), mais il
        ne s'agit que d'une autorisation, pas d'une obligation. Et cette
        hypothèse de recettes est basée sur une estimation, et à Genève
        cette estimation est faite par le canton, la Ville ne pouvant
        que s'y référer. Or, lorsque les comptes sont rendus, on
        constate que toutes les dépenses autorisées n'ont pas été
        effectuées, et que les recettes ont été sous-estimées. Autant
        dire que, samedi, le Conseil municipal et, la semaine prochaine
        le Grand Conseil, devront se mouvoir dans une double
        incertitude, quelque part dans un espace financier et comptable
        virtuel : les Conseillères et Conseillers municipaux, les
        députées et les députés, ne savent  ni
        ce que la Ville ou le canton vont réellement dépenser, ni ce que
        la Ville et le canton recevront de masse fiscale.  Ils ne le
        sauront que dans un an et demi, au printemps 2025, lorsque
        seront rendus les comptes de l'année budgétaire 2024. Un an et demi : la durée de gestation chez les
        éléphants... 
      
Le berceau du budget dans la crèche parlementaire
        : conte de Noël
      
Le calendrier politique de l'Avent est donc
        scandé par la préparation, la mise en débat et le vote des
        budgets municipaux, cantonaux, fédéral. Une fois répété qu'il ne
        s'agit, dans ce cadre, que d'approuver des autorisations de
        dépenses données aux Exécutifs, fondées sur des hypothèses de
        recettes, on s'autorisera à proférer s'agissant
        des exercices budgétaires quelques
        évidences politiques, et d'abord celle-ci, que la réalité des
        dépenses, comme celle des recettes, ce n'est pas dans les
        budgets qu'on les trouvera, mais dans les comptes. Et ceux du
        canton comme ceux de la Ville, et ceux de la Confédération, sont
        excédentaires depuis des années... 
      
Les collectivités publiques ne peuvent assurer
        les prestations qui les légitiment si elles manquent des moyens
        et du personnel nécessaires. Lorsque les logiques comptables
        prennent le pas sur les besoins, ce sont ces prestations qui
        sont menacées -notamment dans l'éducation et l'action sociale
        -c'est ce que s'apprête à faire le Grand Conseil genevois, en
        supprimant 150 des 356 postes de travail supplémentaires prévus
        par le projet de budget, notamment au sein du personnel
        administratif des écoles et de celui du servie de protection des
        adultes, tous deux déjà sous-dotés.  Le PLR veut bloquer les
        engagements de personnel en cas de déficit budgétaire, et
        calquer l'augmentation des charges sur celle de la population,
        sans considération pour la composition de la population, alors
        qu'on sait pertinemment (et qu'il le sait, lui aussi) que son
        vieillissement, pour n'évoquer que cette réalité  impliquerait
        au contraire des engagements dans tous les secteurs appelés à y
        répondre.  Et cela vaut pour l'éducation, la formation
        professionnelle, l'action sociale, l'accueil préscolaire,
        l'hébergement d'urgence, la prise en charge des précarités, et
        on en passe... 
      
Mais si les débats budgétaires faillissent à
        donner l'autorisation de financer la création de postes, ou le
        maintien, ou le développement, de prestations nécessaires, le
        1er janvier s'ouvrira une année entière de décisions
        réparatrices par le même parlement qui aura failli à sa tâche,
        ou par un autre parlement ayant, lui, assumé ses
        responsabilités. On pourra alors repasser aux choses sérieuses :
        voter des crédits hors budget, pour répondre aux besoins les
        plus urgents ou rétablir des dépenses (des subventions, par
        exemple) qui auraient succombé aux votes budgétaires (y compris
        à des votes du Grand Conseil, la Ville étant maîtresse de ses
        subventions). Ces crédits hors-budget, le Conseil municipal peut
        les accorder sans avoir besoin de les "compenser" par des
        économies ou des recettes nouvelles. Ce n'est plus affaire de
        technique budgétaire, mais uniquement de rapport de forces
        politiques : on a ou non la majorité nécessaire pour accorder à
        la collectivité publique les moyens de son action. Au Grand
        Conseil, la gauche est minoritaire, au Conseil municipal de la
        Ville elle est majoritaire, et peut donc, si besoin est,
        accorder (manière de dire qui, quel camp
        politique, quelle collectivité publique, assume ses
        responsabilités) à des acteurs sociaux
        (l'AVIVO, par exemple...) des ressources qui lui auraient été
        supprimées par le canton pour complaire
        aux aigreurs vindicatives de la droite cantonale. 
      
C'est long, un processus budgétaire. Très long.
        Celui qui s'achèvera samedi (en principe) en Ville de Genève
        aura commencé au printemps, avec les premières discussions au
        Conseil administratif. Un premier projet a été transmis au
        Conseil municipal à la rentrée de fin d'été, qui l'a renvoyé à
        ses commissions, qui ont auditionné les Conseillers administratifs, et donné un préavis à la commission des finances.
        A l'automne, un projet révisé, en fonction, notamment, de
        nouvelles estimations fiscales, a été transmis à la commission
        des finances, qui a elle-même donné son propre préavis. Le
        Conseil administratif a encore procédé à des arbitrages, et on
        en arrive à une séance plénière du Conseil municipal qui se
        prononcera sur le rapport de la Commission des finances, les
        amendements du Conseil administratif, ceux des partis politiques
        (qui, de leur côté, ont examiné le premier projet, le deuxième
        projet, les préavis des commissions, le préavis de la commission
        des finances, les amendements du Conseil administratif). Et tout
        cela pour en arriver à l'adoption d'un budget, cette
        autorisation de dépenses fondée sur une hypothèse de recettes,
        qui est elle-même comme une sorte de plan de parcours qu'on a
        une année pour suivre, mais aussi une années pour interpréter,
        compléter, infirmer... 
      
Ainsi, nos parlements seront, les jours
        prochains, comme des crèches de Noël : réunis autour du berceau
        du budget, persuadés (à tort) qu'ils vivront le moment politique
        le plus important de l'année, les ânes braieront, les boeufs
        meugleront, les bergers bergeront et tous, ne croyant pas au
        Père Noël, n'en attendront pas moins les cadeaux des rois mages.
        En comptabilisant la seule manne certaine : les jetons de
        présence que leur vaudra et vaudra à leurs partis politiques une
        longue journée de présence (physique plus qu'intellectuelle)
        dans la salle du Grand Conseil...  Ce sera long, répétitif,
        ennuyeux, mais comme on s'y attend, on prendra de la lecture. On
        ne sait pas encore laquelle (on hésite entre Marx, Starobinski,
        Peter Weiss, Choderlos de Laclos, Joyce Mansour...), mais grâce
        à elle, quelle qu'elle soit, on n'aura pas perdu demain autre chose que l'illusion d'avoir vécu le moment majeur de
        notre année politique.
      
       



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