L'UDC avale le MCG, et alors ? Bon appétit...

 

D'une benne de recyclage politique à l'autre

On ne savait pas la droite de la droite, genevoise et suisse, friande de recyclage, mais on le découvre à la faveur des errances parlementaires des trois élus du MCG au Conseil national et au Conseil des Etats. Lundi encore, le Conseiller aux Etats Mauro Poggia ne savait pas s'il allait siéger dans un groupe ou en indépendant, privé de commission. Et hier, tombait la confirmation (car ce n'est qu'une confirmation) qu'il allait siéger dans le groupe UDC. Parce qu'aucun autre groupe de droite n'en voulait, de l'élu MCG. On ne s'étonnera donc pas de l'ouverture de la benne de recyclage UDC pour l'accueil de Poggia. Et on s'en étonnera d'autant moins que le MCG lui-même fonctionnait localement comme une benne de recyclage de tous les invendus de tous les partis politiques genevois. Dans cette bouffonnerie, c'est l'UDC qui fait une belle opération : grâce au MCG, elle se se goinfre 35 % de la députation genevoise aux Chambres fédérales en ne pesant que 15 % de l'électorat genevois. Quant aux Genevoises et Genevois qui avaient voté pour le MCG et se retrouvent avec des élus UDC, qu'ils se soient fait cocufier, la droite traditionnelle tenant la bougie,  est sans doute navrant, mais cela va  nous simplifier les choses, les discours, les alliances. Fini, le "ni gauche, ni droite", exeunt les pudeurs de gazelle : on est à droite, toute. Ou plutôt, on admet, publiquement, enfin, qu'on y est alors qu'on y était déjà mais qu'on faisait semblant de n'y pas être. D'être ailleurs. Mais pour ne pas être nulle part, il fallait bien se trouver un havre d'accueil : on peut faire campagne contre les réfugiés et demander l'asile, contre les frontaliers et passer une frontière politique.

Le MCG et l'UDC se méritent sans conteste, l'un et l'autre

L'UDC s'était déjà goinfrée le Parti des Automobilistes et l'Action Nationale, et avait commencé à se découper la Lega tessinoise, qu'elle mette la patte sur le MCG, dont le camarade Eric Bertinat a judicieusement rappelé sur Face de Bouc que son co-fondateur, Eric Stauffer, avait, avant de le cofondé, tenté de créer un "mouvement blochérien genevois", est dans l'ordre des choses politiques. Et dans celui du rassemblement de ces forces, les unes ultraconservatrices, les autres foncièrement réactionnaires, qu'on a pris l'habitude de qualifier de "populistes" (quitte à préciser "populistes de droite"). Un qualificatif qu'elles ne méritent ni historiquement, ni politiquement. Car originellement, le populisme est une pensée de gauche (comme le nationalisme, d'ailleurs, né de la Révolution française). Le "populisme" des origines, c'est l'origine du socialisme russe. En français, on ne parle guère de populistes que depuis le début du XXe siècle -et encore ne désigne-t-il, selon le "Trésor de la langue française", que les membres "d'un parti prônant des thèses de type socialiste en Russie". C'était bien vu : le populisme, comme courant politique, naît en Russie et à l'extrême-gauche : c'est le "narodnichestvo", ce sont les "narodinikis", de "narod" qui en russe désigne à la fois le peuple et la nation. Le populisme russe est révolutionnaire, mais il se réfère tout de même à des structures sociales traditionnelles, paysannes et collectives comme l'obtschina, l'artel ou le mir. Il n'en est pas moins la matrice de groupes "terroristes", comme la Narodnaïa Volia (volonté du peuple), dont le plus haut fait, et en même temps le chant du cygne, sera l'assassinat du Tsar Alexandre II en 1881. La répression réduira l'organisation à néant, mais pas le mouvement : Il en sortira le courant le plus important (mais pas le plus puissant, ni le plus efficace) des courants révolutionnaires russes, le socialisme-révolutionnaire -qui sera écrasé par les bolchévik. On ne saurait donc trop vous recommander de profiter de vos prochaines vacances pour vous plonger dans la somme lumineuse que l'historien italien Franco Venturi a consacré au populisme russe ("il populismo russo", Einaudi, 1952), traduite en français sous le titre "Les intellectuels, le peuple et la révolution" (Gallimard, 1972)...

Il y a loin, cependant, du populisme russe à ses ersatz de droite contemporains. Après la Russie, c'est en Amérique qu'apparaissent des courants et des organisations "populistes" spécifiques, comme le People's Party aux USA, moins radical que le populisme russe, mais tout de même ancré à gauche. Plus tard, en Amérique latine, le populisme se manifestera de manière politiquement plus ambiguë, plus autoritaire, en se teintant de caudillisme, de culte du chef, notamment avec Juan Peròn (et Evita...) : en Argentine Peròn instaure un régime autoritaire et répressif mais introduit des droits pour les travailleurs et les syndicats, et octroie les droits politiques aux femmes.. Aux Etats-Unis, le "People's Party" (on n'aura garde d'oublier que le véritable nom de l'UDC est son nom allemand : Schweizerische Volkspartei...) se fera le défenseur de la démocratie directe, en s'inspirant largement des pratiques suisses. Il disparaîtra au début du XXe siècle, mais inspirera dans un premier temps le "New Deal" de Roosevelt et l'aile gauche du Parti démocrat, avant d'inspirer l'aile droite des Républicains et de se réduire en "Tea Party", puis dans le trumpisme. 

Voir en le populisme une pensée réactionnaire relève donc d'une falsification de l'histoire : là où il a émergé, il était révolutionnaire et socialiste en Russie,  réformiste aux Etats-Unis et en Amérique latine même quand il était autoritaire. Là où il gît désormais, il est au moins conservateur, voire réactionnaire. Que reste-t-il à gauche du populisme originel ? Un héritage : progressivement, les "gauches des gauches" contemporaines, Podemos, Syriza, la France Insoumise, ont cessé de se situer en fonction d'un clivage gauche-droite pour promouvoir un clivage haut-bas. D'un côté, l'oligarchie, la caste, "eux", "ils", et de l'autre le peuple, les gens, "nous". On est alors bien dans le populisme -mais dans le populisme originel, révolutionnaire, d'extrême-gauche : celui des narodniki russes, revisité par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, avec la même faiblesse idéologique : on n'ambitionne plus de renverser un système mais seulement de renverser une caste, plus de changer de régime mais seulement de dirigeants. De mettre Mélenchon à la place de Macron. Et cela, tout en continuant, même sans en faire un ancrage fondamental, à se situer à gauche.

Bref, pour qualifier les nouveaux courants de la droite de la droite apparus à la fin du XXe siècle, on devrait plutôt parler de "démagogie" que de "populisme", la démagogie consistant à caresser un "peuple" qu'on se contente de définir comme "tout le monde sauf les élites au pouvoir" (même quand ceux qui le définissent eux-mêmes ainsi en font partie, de l'"élite au pouvoir"...) dans le sens qu'on croit être celui de son poil. Et qui n'est, finalement, au bout du mécompte, que le poil de ceux dont on se croit adversaire : L'UDC, en Suisse, représentée au Conseil fédéral depuis bientôt un siècle, est un pilier du système. Elle l'était déjà quand elle s'appelait encore en français "Parti des paysans, artisans et bourgeois" et qu'elle était le bras politique des milices anti-ouvrières lors de la Grève Générale de 1918

Le MCG et l'UDC se méritent donc, sans conteste, l'un et l'autre. Que la seconde finisse par digérer le premier aura au moins l'avantage, après le rôt post-digestif,  de le clarifier. Et nous éviter de nous perdre dans des distinguos sans pertinence entre une filiale et sa maison-mère, ou un  sous-traitant genevois et un donneur d'ordre zurichois.

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