Ouverture à Dubaï de la 28ème COP : Cynisme et provocation
Hier s'est ouverte à Dubaï la 28ème Conférence sur le climat de l'ONU (COP 28). Une conférence de deux semaines sur le climat, avec pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais qui se tient dans une pétromonarchie des Emirats Arabes Unis dont 55 % du budget est assuré par les hydrocarbures et qui est le sixième pays le plus émetteur de Co2 par habitant, c'est un peu comme une conférence sur les droits des femmes qui se tiendrait en Afghanistan : quelque chose qui tient à la fois du cynisme, de la schizophrénie et de la provocation. On apprend que le président de la conférence, le sultan Al Jaber lui-même patron de la compagnie pétrolière nationale, a tenté de profiter des réunions préparatoires de la COP 28 pour conclure des contrats pétroliers et gaziers avec 27 pays, on sait que Dubaï accueille quelques unes des plus grandes fortunes mondiales et que ces ultrariches sont ultra-polluants : le 1 % les plus riches des habitants de notre planète en réchauffement a émis en 2019 autant de CO2 que les deux tiers de la population mondiale, la moitié la plus pauvre de la population mondiale n'est responsable (mais pas coupable) que de 8 % de ces émissions, mais elle paie lourdement, de sa santé, de ses conditions de vie, de sa vie même, cette crise climatique dont elle est innocente... "Si aucune décision forte n'est prise, on pourra alors se poser la question de la légitimité de la COP et de son infiltration par les lobbies pétroliers", prévient la climatologue Sonia Seneviratne. Comme le résumait Greta Thunberg à propos de la COP 26 de Glasgow, "une conférence climat, c'est un festival de greenwashing des pays riches, une célébration de deux semaines du business as usual et du blabla". Et une belle production de CO2 par la conférence elle-même. Bienvenue à Dubaï, les conférenciers...
La "transition énergétique" n'est qu'un frein à une course qu'elle transforme en trot, mais toujours vers le même abîme.
L'Accord de Paris de 2015 fut le premier accord
mondial sur le climat, et s'était donné pour objectif de réduire
le réchauffement climatique à moins de 2°. Certes, si
insuffisant que paraisse cet objectif, et si insuffisants aussi
que paraissent aujourd'hui les progrès faits dans la maîtrise de
ce réchauffement, paraisse aujourd'hui, la situation serait sans
doute encore pire que si cet objectif n'avait pas été fixé, mais
on ne peut se contenter de ce satisfecit : les pays les plus
marqués par les inégalités sociales les plus profondes, et
partout les plus pauvres, sont aussi les plus frappés par les
conséquences du réchauffement climatique (inondations, cyclones,
canicules, sécheresse, épidémies, famines) : Plus de 90 % des
décès liés à des catastrophes météorologiques se produisent dans
les pays les plus pauvres, rappelle l'ONG Oxfam.
Une COP est une conférence d'Etats, et les Etats
traînent les pieds quand il s'agit de prendre des mesures
concrètes ébréchant leur "souveraineté" (comme si le
réchauffement climatique en avait quoi que ce soit à foutre, de
leur souveraineté) et leur coûtant un peu plus que le minimum
présentable -il est vrai que leurs entreprises contrôlent plus
de la moitié de la production mondiale de combustibles fossiles,
et que cette production est massivement (plus de 5000 milliards
de dollars par an) subventionnée par les Etats. En 2009, les
pays les plus riches avaient promis cent milliards de dollars
par an dès 2020 pour soutenir l'adaptation des pays du sud à la
dégradation de leur environnement climatique et leurs efforts de
réduction des émissions de gaz à effet de serre -il faudra
attendre 2022 pour que ce montant soit atteint -et se rendre
compte qu'il est vingt fois insuffisant : il en faudrait deux
mille, de milliards, pour soutenir la "transition énergétique"
et 400 pour compenser les effets des catastrophes
météorologiques. Enfin, l'aide, déjà insuffisante, apportée aux
Etats les plus pauvres l'est le plus souvent sous forme de
prêts, et non de dons, ce qui accroît leur endettement
Les villes, plus progressistes que les Etats et
qui concentrent les effets du réchauffement, peuvent faire
mieux, et plus vite. Et souvent le font, en se rapprochant, à
leur échelle, des positions défendues par les activistes
climatiques, réunis à Glasgow en marge de la COP 26, pour qui
l'objectif proclamé de réduire le réchauffement climatique à
1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle, de réduire les
émissions de 45 % d'ici 2030 et d'atteindre la neutralité
carbone d'ici 2050 (la Chine s'y engagée à l'horizon 2060,
l'Inde à l'horizon 2070) est inatteignable si on continue de
cultiver l'illusion qu'on peut continuer à polluer sans dommages
si on compensait les émissions polluantes. Les activistes ont
élaboré un Traité de non-prolifération des énergies fossiles
comme il y en a un sur la non prolifération des armes nucléaires
: il exige la suppression immédiate des nouveaux projets
d'énergie et l'élimination progressive des capacités existantes.
Le contre-sommet de Glasgow a adopté un programme, un "Green New
Deal, et l'ONG Oxfam propose de taxer les ultrariches pour
financer la lutte contre les changements climatiques. Mais ce
sont les Etats qui encaisseraient le produit d'une telle taxe,
et ce seraient donc eux qui en maîtriseraient l'affectation.
Peut-on leur faire confiance? Peut-on se contenter de faire
payer aux plus gros pollueurs une sorte de droit de polluer ?
Le secrétaire du Groupement intergouvernemental
sur l'évolution du climat (GIEC), Abdalah Mokssit, avait remis quelques pendules à l'heure
de la réalité : "nous pouvons affirmer de manière indiscutable
la réalité du changement climatique et le fait qu'il est
principalement causé par l'homme". C'est donc l'homme,
et l'homme seul, qui doit agir :"quand on sait, on a la
responsabilité d'agir, sinon c'est de la non-assistance à
planète en danger" : "si on ne fait rien pour limiter rapidement
la hausse des températures, il ne sera peut être même plus
possible de seulement s'adapter au réchauffement climatique", et
si on se contente des engagements inscrits dans l'Accord de
Paris pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, "nous
irons vers les 2,7°C de réchauffement, avec des conséquences
dramatiques" (déjà plus de 70'000 personnes sont mortes cet été
en Europe du fait de la canicule). Or l'accord de Glasgow, en
novembre au terme de la COP 26, ne demandait aux Etats que de
préciser leurs objectifs à l'horizon 2030. Certes, la réduction
urgente des émissions de gaz à effet de serre figure dans le
texte final, l'objectif d'un réchauffement maximal de 1,5° est
réaffirmé et des engagements spécifiques sont pris (sur les
"permis de polluer", la réduction des émissions de méthane, la
lutte contre la déforestation, la restauration des sols, la fin
des véhicules à propulsion diesel, le soutien des pays riches
aux pays pauvres pour les aider à faire face aux conséquences du
dérèglement climatique), mais les engagements fermes manquent
-surtout s'ils ont des conséquences financières : les pays les
plus fragiles devront se contenter de promesses sans autre
garantie que celle de discussions à venir pour leur mise en
oeuvre. Le Secrétariat des Nations Unies pour le changement
climatique a estimé que l'ensemble des engagements pris à
Glasgow menait vers une augmentation de 13,7 % des émissions de
CO2 en 2030 par rapport à 2010, et de 3 % dans les sept ans à
venir (en un an, de 2021 à 2022, elles ont
augmenté de 1,2 %) alors qu'il faudrait
les réduire de 9 % par an et à une augmentation de la
température moyenne de la planète de 2,7°C, alors qu'elle
devrait être de 1,5°C.
Les COP ont reconnu la nécessité d'une décroissance de l'usage des sources d'énergie non renouvelables. D'une décroissance de l'usage, pas d'y renoncer. On pourra donc continuer à exploiter charbon, gaz et pétrole; ce sont la Chine et l'Inde qui ont forcé à ce recul : le texte initial appelait à l'"élimination progressive de la production d'électricité grâce au charbon et aux subventions inefficaces aux combustibles fossiles", le texte final n'appelle plus qu'à une "diminution du charbon", et la Chine, l'Inde, l'Australie et la Russie n'ont pas rejoint l'engagement d'une centaine de pays de réduire d'au moins 30 % d'ici à 2030 leurs émissions de méthane. La Chine s'est d'ailleurs bien engagée à ne plus construire de centrales à charbon... mais seulement à l'étranger. La Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga avait fait part de sa "profonde déception" d'en n'arriver qu'à un processus "devenu moins inclusif et moins transparent", le président de la conférence, Alok Sharma, finissant par s'excuser, en expliquant qu'il fallait céder pour que "nous protégions cet ensemble de mesure"... mais "la Chine et l'Inde devront s'expliquer sur ce qu'elles ont fait aux pays les plus vulnérables" : on a trouvé les coupables, tous les autres sont innocents. Surtout les pays "occidentaux" et riches, comme la Suisse. A Glasgow, les pays les plus vulnérables avaient plaidé pour la création d'un fonds spécifique, seules l'Ecosse et la Wallonie se sont engagées à y contribuer...
La Suisse s'en tient à
l'engagement, d'ores et déjà insuffisant, d'atteindre la
neutralité carbone en 2050 et d'ici là, à l'horizon 2030, de
réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre -et
encore, en n'opérant en Suisse même que la moitié des
réductions d'émissions, l'autre moitié consistant en des
"compensations" à l'étranger (le projet de loi CO2 ne prévoit
que de les plafonner à un tiers de la réduction) dont le
grand mérite est de permettre moins d'efforts sur le
territoire national. Mais La Banque nationale continue
d'investir dans l'industrie des gaz de schiste, la place
financière suisse est responsable hors de Suisse d'émissions
de gaz à effet de serre autour de vingt fois plus élevées que
celle de toute la uisse, et quand la Suisse prévoit
d'augmenter son soutien financier à la lutte contre les
dérèglements climatiques, c'est en les prélevant en partie sur
le budget de la coopération au développement, et surtout pas
sur sa place financière, qui n'a nullement renoncé à investir
dans les énergies fossiles... ça tue,ça pollue ? oui, mais
ailleurs... La ministre congolaise (de la RDC) du
développement, Eve Bazaiba, résumait: la Suisse a les moyens
financiers mais pas les matières premières, le Congo a les
matières premières mais pas les moyens financiers. Et elle
prend l'exemple de la multinationale anglo-suisse Glencore, à
qui la RDC veut interdire d'exporter les matières premières
qu'elle exploite sur son territoire, dont le cobalt, utilisé
pour les batteries des voitures électriques dont la Suisse
veut promouvoir l'utilisation au nom de la "transition
énergétique". Or sans remise en
cause radicale des fonctionnements économiques et sociaux, et
des comportements individuels et collectifs, la "transition
énergétique" n'est qu'un frein à une course qu'elle transforme
en trot, mais toujours vers le même abîme.
"Ne permettons pas qu'on nous enlève la part de nature que nous renfermons. N'en perdons pas une étamine, n'en cédons pas un gravier d'eau" (René Char)...
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