De quoi Macron est-il le nom ? ou de qui ?

Quoi de neuf, dans la République macronienne ? D'abord, Elisabeth Borne a été démissionnée (contre son gré) par Macron et Gabriel Attal a été nommé Premier ministre. Peut-être le plus jeune Premier ministre de la Ve République, mais pas le plus jeune Chef de gouvernement de la République (à 34 ans, il en a quatre de plus que Bonaparte quand il est devenu Premier Consul de la Première République). ça change quoi ? d'herbage pour réjouir les veaux... Ensuite,Macron et Attal (surtout Macron) ont nommé un gouvernement profondément ancré à droite. Une sorte de gouvernement Sarkozy-4, d'où tous les "macroniste de gauche" (puisqu'il paraît qu'il y en avait, souvent issus du PS -ce qui diagnostique l'état dans lequel se trouvait le PS avant sa débâcle) ont été virés, à commencer par ceux qui ne voulaient pas de l'accord passé avec la droite pour faire adopter une loi sur l'immigration lourdement lestée de xénophobie d'Etat. Et  Rachida Dati (
qui qualifiait de "traîtres" les Républicains qui passaient dans le camp de Macron) a été nommée ministre de la culture (tant qu'à faire, pourquoi pas Hanouna, Bigard ou Sardou ?)... Dati est poursuivie pour "corruption passive", "trafic d'influence passif" et "recel d'abus de pouvoir" depuis  2021, mais pourquoi n'en ferait-on pas une ministre de la Culture, après tout ? au moins ne fera-t-elle pas d'ombre à l'ombre de Malraux, ni à la silhouette de Lang. Et la Maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, de "souhaiter bon courage aux acteurs du monde de la culture compte tenu des épreuves qu'ils vont traverser"... De quoi Macron est-il le nom ? Ou de qui ?

"Français, encore un effort pour être républicains"

Le remaniement du gouvernement français, plus encore que la nomination d'un nouveau Premier ministre, rend  plus évident encore le virage politique vers la droite qu'avait déjà manifesté l'adoption d'une loi sur l'immigration adoubée par le Rassemblement national et les Républicains, puisque contenant nombre de leur exigences. On retrouve donc dans ce nouveau gouvernement, outre les poids lourds de l'aile droite de la macronie (Le Maire, Darmanin...), qui espéraient chacun de leur côté être nommés là où Attal l'a été,  une ancienne ministre de de la Justice de  Sarkozy et leader de l'opposition municipale de droite à Paris, Rachida Dati, une autre ancienne ministre de Sarkozy, Catherine Vautrin, et un ancien conseiller de Sarkozy, Emmanuel Moulin, a été imposé à Attal comme chef de cabinet...

Macron avait été élu en 2017 sur un discours "ni gauche, ni droite" et une promesse de renouveau démocratique. Un discours désormais obsolète (on est dans le "ni gauche, ni gauche") et une promesse sans résultat : les projets de réforme des institutions qu'il avait présentés en 2018 et 2019 (réduction du nombre de parlementaires, introduction de la proportionnelle, limitation du cumul des mandats) se sont heurtées à la majorité de droite du Sénat. Dans le débat du deuxième tour de la présidentielle de 2022, Macron avait reconnu avoir "échoué (...) à faire la réforme constitutionnelle qu'il voulait, mais se disait toujours convaincu de la nécessité de "rénover" la démocratie française, en s'appuyant sur un "Conseil national de la refondation" formé d'élus, de citoyens tirés au sort, de représentants des forces politiques, des grandes organisations et associations économiques et sociales. Il en attend qu'elle définisse les pistes vers l'indépendance industrielle, militaire et alimentaire, le plein emploi, la neutralité carbone et l'égalité des chances, en repensant les services publics. Il comparait ce "Conseil national de la refondation" au "Conseil national de la Résistance" de la Guerre mondiale, pas moins : "nous vivons un temps comparable. Nous sommes dans une ère historique qui impose de changer profondément de modèle, et puis, la guerre est là" (celle d'Ukraine). Mais les partis politiques d'opposition, leurs élus, les syndicats et un grand nombre d'associations avaient, en septembre, refusé de participer aux premières discussions du nouveau Conseil, certains rappelant qu'il existe déjà un Conseil économique et social. Et le choix de Macron, imposé à la Première ministre sortante, de négocier avec la droite une loi d'immigration démagogiquement xénophobe, dont on s'attend à ce que le Conseil constitutionnel censure plusieurs dispositions, qui a provoqué la démission du ministre de la Santé, déchiré le camp présidentiel et suscité une mobilisation de la société civile qui se traduira par des manifestations dimanche et le dimanche suivant, à l'appel de la France Insoumise, des Verts, des collectifs de sans-papiers et des syndicats CFDT et CGT.

La présidence Macron scelle la dévaluation de la fonction de Premier ministre : le chef de l'exécutif, c'est le président de la République, le chef du gouvernement n'est, tout au plus, que celui de la majorité parlementaire. Or la Constitution de la Ve République prescrit le contraire (art. 20) : "Le gouvernement détermine et conduit  la politique de la nation"... une disposition désormais vaine, ce que la coïncidence du mandat présidentiel avec celui du parlement confirme. Formellement, la Ve République n'était pas un régime présidentiel. Réellement, elle l'est devenue -mais ce n'est pas le fait de Macron, s'il en hérite et en profite : "la France a une tradition de culture politique autoritaire", rappelle l'historien Pascal Ory. Elle a même inventé la démocratie autoritaire, "illibérale", avec le bonapartisme, cette conjugaison d'une souveraineté populaire au moins symbolique, passant par les plébiscites, et d'un pouvoir central fort. Napoléon est adoubé par plébiscite, Napoléon III est d'abord élu président de la République au suffrage universel (masculin). Aujourd'hui, Macron ne fait qu'utiliser les institutions créées par De Gaulle, et qui sont en Europe occidentale les seules à donner à un chef de l'Etat plus de pouvoirs qu'à un chef de gouvernement. Sarkozy l'a résumé : le président décide, le Premier ministre exécute, alors qu'ailleurs en Europe, le chef du gouvernement décide et le président ratifie, et qu'en Suisse, où il n'y pas vraiment de chef d'Etat, le gouvernement et le parlement ne font en réalité que proposer, le peuple acceptant tacitement ou se prononçant par référendum, obligatoire ou d'initiative populaire.

Macron attend de la nomination de Gabriel Attal qu'elle régénère son deuxième (et dernier) mandat, et du remaniement droitier du gouvernement qu'il affaiblisse l'opposition de droite, sans renforcer l'opposition de gauche. On y chercherait en vain un souffle démocratique et républicain -juste de petites manoeuvres politiciennes, pour permettre l'adoption de mesures qui sont au programme du nouveau gouvernement de droite de la France : la reprise en lois spécifiques des dispositions censurées de la loi sur l'immigration, des économies de 12 milliards d'euros au nom de la réduction de la dette, l'affaiblissement des dispositions de la loi sur le Travail protégeant les salariés et l'affaiblissement du régime d'indemnisation des chômeurs, et des lois sur les soins palliatifs et la fin de vie qui se heurtent encore à l'opposition de la majorité du Sénat.

"Français, encore un effort pour être républicains", leur intimait Sade -qui ne l'était guère, lui, républicain, sinon dans ce discours... Macron et Attal devraient le relire, plutôt que tenter de parodier la "Philosophie dans le boudoir" (qui contient ce discours) en "Sophismes dans les salons" -ceux de l'Elysée et de Matignon.

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