Ni voeux, ni maîtres !

 


On a donc changé d'année il y a une semaine dans le calendrier grégorien, et hier dans le calendrier julien. Et alors ? alors, rien : il y en a bien d'autres, de calendriers. Et dans le calendrier pataphysique, le 1er janvier mérite bien son nom de jour de décervelage. On ne devrait pas vous souhaiter"bonne année" 2024. On l'avait fait il y a un an, pour 2023... ce fut l'année de la destruction de Gaza... et avant Gaza, d'un pogrom. Et toujours de la guerre en Ukraine. Et  à Genève, il a fait 39,3°en août, et à l'automne la droite démocratique s'est fait tailler des croupières par la droite démagogique. En Allemagne, l'extrême-droite (AFD) a obtenu 45 % des suffrages lors de l'élection municipale à Nordhausen, où avait été installé le camp de concentration de Dora, dépendance de celui de Buchenwald. Il avait fallu que le directeur du Mémorial de Dora, où 20'000 déportés sont morts, en appelle à la "responsabilité historique" de la ville pour qu'elle ne se livre pas à l'amnésie. On ne la regrettera pas, l'année 2023. Et pour 2024, on a quoi au menu ?  Gaza, toujours l'Ukraine, toujours. Et des élections : plus de quatre milliards de personnes, la moitié de la population mondiale, vivent dans des pays qui connaîtront des élections cette année. Avec à l'ordre du jour la réélection assurée de Poutine, la réelection probable de Modi, le retour possible de Trump, une progression annoncée de l'extrême-droite aux élections européennes... Quant au Nouvel-an, nous attendrons le 22 septembre pour le célébrer de quelque manière qui nous convienne : on sera le 1er Vendémiaire, jour du raisin, premier jour de l'année du calendrier républicain. D'ici là, ni voeux, ni maîtres !

Bonne année de luttes, multiples, à rassembler

Pour les droits démocratiques et sociaux, les libertés individuelles et collectives, pour la capacité de proposer une alternative à l'ordre (et aux désordres) du monde, et de donner à cette alternative la force nécessaire pour s'imposer, les temps ne vont pas changer parce qu'on a changé de millésime : ils sont mauvais, et les rapports de force sont durs, et vont le rester.

Dmitri Mouratov, rédacteur en chef de la "Novaia Gazeta" fermée en 2022, Prix Nobel de la Paix en 2021, et qui a choisi le rester en Russie alors même qu'il y a été désigné le 1er septembre comme "agent de l'étranger", ne parle pas seulement de la Russie et de Poutine quand il dit (dans"Le Monde" du 23 octobre) que "Poutine sait attendre. Vos gouvernements changent tout le temps, lui, il est toujours là. Les points forts de la démocratie, il les voit comme des faiblesses. Il compte sur la fatigue des populations occidentales faxe aux taxes et au prix élevé du gaz. (...) Le principal atout de Poutine, c'est le temps". C'est aussi, et plus encore, l'atout de Xi Ji Ping. Mais pas forcément celui de tous les potentats et de tous les démagogues : au moins les Orban, Milei, Meloni, Le Pen, Netanyahou peuvent-ils être renversés, battus ou démocratiquement empêchés d'agir  -pas Poutine, pas Xi, pas les Talibans, pas les Ayatollahs. Mais dans les espaces encore démocratiques, le maintien, le renforcement, la capacité d'usage des espaces qui peuvent être des contre-pouvoirs aux pouvoirs dominants, suppose tout de même qu'on s'en donne les moyens -les droits, on les a. Reste à être capables d'en faire usage...

Ces droits, ce ne sont pas seulement, dans un pays, une République, une commune comme les nôtres, le droit d'élire, les droits de référendum et d'initiative. Et de pétition (celui-là est ouvert à toutes et tous, sans restriction aucune). Ce sont aussi les droits de manifestation, d'expression, de publication. Et encore ce droit, sans doute plus fondamental encore que tous les autres puisqu'il est à leur source : le droit d'insoumission, de désobéissance civile, et civique. Quand règne le consentement général et la résignation commune, la désobéissance est plus qu’un droit : étant l’exception, elle est la panacée. Affaire intime autant qu’enjeu collectif, mais ne déléguant rien de notre responsabilité à d’autres, elle remédie à nos compromissions, nos complicités, nos aplaventrissements et nos routines. Irréductible et irremplaçable, elle renvoie au premier mot par lequel le dernier préhominien est devenu le premier humain : « non ! ».

Toute lutte qui commence, commence par une victoire : son commencement même. Dans un monde qui se donne pour le seul concevable, chaque résistance, chaque conflit, chaque négation de la moindre des parcelles de l’ordre est une défaite de cet ordre, puisqu’une manifestation qu’il n’est pas unanimement admis, et donc qu’il n’est pas inéluctable.  Même les luttes menées contre tel aspect de l’ordre dominant au nom de telle parcelle de son propre discours recèlent la possibilité d’une victoire contre cet ordre, mais aussi contre ce discours : ainsi des combats pour les « droits démocratiques », les « droits de l’homme », la « liberté de circulation ». En certaines situations, rien ne subvertit plus le monde tel qu’il est que le recours au monde tel qu’il dit être.

L'heure ne serait-elle qu'à la résistance, à la défensive, à la constitution de bastions ? Elle l'est, mais ne s'y résume pas. Pas plus que nos choix ne se résument à la vieille alternative : fuir le monde ou le changer. Une alternative qui d'ailleurs ne s'imposerait qu'à ceux à qui ce monde est insupportable, tel qu'il est, et se refusent à la fois à le subir et à s'y adapter. Fuir le monde ou le changer, c'est l'alternative entre l'impossible et l'épuisant. On ne peut fuir le monde que par la mort -vivants, on en est, du monde, qu'on le veuille ou non. Quant à le changer, si ce peut-être épuisant, ce ne le sera jamais autant que le supporter en le détestant.

Bonne année tout de même, mais de luttes, multiples, à rassembler.




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