Que Faire ?

 

« le vieux meurt et le neuf hésite à naître »

« Tous les rapports sociaux traditionnels et figés avec leur cortège de notions et d’idées antiques et vénérables se dissolvent… Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané », écrivait Marx, constatant les effets ravageurs du capitalisme…  Marx n’était pas nihiliste, il observait que la table allait être rase, qu’on pouvait la mettre autrement et y servir autre chose, après que la bourgeoisie ait « noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise, dans les eaux glacées du calcul égoïste », forçant « enfin » les hommes à « envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés ».  Et nous y revoilà, en un temps où, comme Gramsci voyait le sien, « le vieux meurt et le neuf hésite à naître . Et où se pose toujours la question léninienne "Que Faire ?" -à laquelle on peut donner une autre réponse que celle que lui donnait Lénine...

Remettre Smith, Ricardo, Say, Malthus, Marx sur leurs pieds. Et les y laisser.

Aujourd’hui, le « néo-libéralisme », qui n’est après tout que l’expression contemporaine du vieux libéralisme économique, s’attaque à l’Etat national et à l’Etat social comme il s’attaqua il y a deux siècles à l’Etat monarchique et féodal. Ce faisant, et dans les bouleversements même qu’il provoque, le capitalisme contemporain retrouve ses propres racines, sa propre logique, son propre projet, « dénaturé » par les conquêtes démocratiques, le renforcement des capacités d'intervention de l'Etat dans l'économie et la construction des systèmes de protection sociale, toutes évolutions fondamentalement contraires à la logique du capitalisme, et qu'il tente donc d'effacer pour en revenir à son propre « âge d'or » du XIXe siècle. Le  « néo-libéralisme », si peu « néo » qu’il soit,  s’attaque plus durement et plus efficacement au capitalisme (au capitalisme tel qu’il est) que le mouvement  l’a jamais fait depuis 75 ans, et ce ne sont pas les organisations révolutionnaires qui aujourd’hui remettent le plus radicalement, c’est-à-dire le plus fondamentalement, en cause les instruments de la domination politique, sociale et idéologique bourgeoise (l’Etat, le salariat, la propriété privée, la famille, l’idéologie), mais les forces économiques d’avant-garde du capitalisme lui-même.

Ce à quoi nous assistons est bien l’effacement des vieilles structures de domination politique (l’Etat), sociale (le salariat) et culturelle (les églises, l’école, l’université) au profit d’espaces à conquérir, et qui peuvent être des espaces de liberté ou des espaces marchands, selon qui se révélera capable de les investir (ou d’y investir...). Cet effacement n’est pas celui du capitalisme lui-même. Sa crise est évidente, pas sa fin, même si ce système, pas plus qu’un autre, ne peut prétendre à l’éternité.  La question est dès lors de savoir qui, du capital ou de sa négation, de la marchandise ou de sa critique, prendra le contrôle de ces espaces nouveaux, que le capitalisme a lui-même créé –mais comme Frankenstein avait créé sa créature. Cette question, en somme, est toujours celle qui se posait en 1792, et qui se reposa en 1848, en 1871 et en 1917 : un système (qui n'est pas le capitalisme, mais seulement l'un de ses modes) s’effondre -mais à quoi ressemblera ce qui lui succède ? Mirabeau ou Babeuf ? Louis-Napoléon ou Blanqui ? Thiers ou la Commune ? Lénine ou Makhno ? Mussolini ou Gramsci ?

Sommes-nous dans le camp des forces de production ou dans celui des rapports de production ? Nous contentons-nous du camp des autres (quels que soient ces autres), ou constituons-nous notre propre camp ?
Quand la social-démocratie n’est même plus capable d’être social-démocrate, c’est la gauche révolutionnaire qui reprend de ses mains le lumignon du réformisme étatiste. Et ce n’est pas si nouveau qu’on croit : en 1970 déjà, Didier Motchane, idéologue de la gauche de la subclaquante SFIO, considérait que « ramener le socialisme dans la social-démocratie constitue le seul moyen de refuser à la fois le poujado-ouvriérisme et l’exotisme révolutionnaire ». Mais pour cela, il importe d'en finir d'abord
avec une vieille crédulité, celle qu'il puisse exister une « science économique », quels que soient ses prédicats, et des « lois de l’économie ». Il n'y a pas de « science économique », il n'y a que des politiques économiques, c'est-à-dire des discours sur l'économie  (les discours de l'économie classique, ceux de l'économie vulgaire, ceux de la critique de l'économie politique...) et des pratiques dans l'économie. Il n’y pas non plus de « lois de l’économie » comme il y en a de la physique ou de la chimie : les « lois de l’économie » sont celles que telle ou telle économie se donne, arbitraires comme elle et comme le système de production dominant : quand on en change, elles tombent, comme tombèrent les lois de l’esclavagisme lorsque le salariat le remplaça. Ces lois ne sont pas données par la nature, elles sont instituées par des pouvoirs humains –elles peuvent donc être changées ou abolies par d’autres pouvoirs. Elles sont politiques, et ne valent pas plus, ne pèsent pas plus lourd, que toutes les lois du droit positif. Nous pouvons aujourd'hui remettre Smith, Ricardo, Say, Malthus, Marx sur leurs pieds. Et les y laisser.


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