13e rente AVS : on vote déjà beaucoup, mais...

 

La double majorité qu'il nous faut

On connaîtra dans une semaine et demie le sort que le peuple et les cantons auront réservé à l'initiative syndicale pour une 13e rente AVS. On sait déjà que ça vote beaucoup, et qu'on atteint même des records : vendredi, 25 % du corps électoral avait déjà voté à Bâle, 19 % en Ville de Zurich, 13 % en Ville de Berne. Lundi, à Genève, on en était à 19,7 % de participation au plan cantonal. On dépassera donc vraisemblablement les participations  lors des votations fédérales depuis dix ans (entre 42 et 58 %), et on pourrait s'approcher, voire atteindre, et peut-être même dépasser les taux de participation record de 1974 (70 % sur la "surpopulation étrangère"), 1989 (69 % sur la suppression de l'armée) et 1992 (79 % sur l'Espace économique européen). Mais si on vote beaucoup, et que cela peut présager d'une acceptation de l'initiative par le peuple, cela ne dit rien du résultat des cantons. Or il nous faut une double majorité (et les adversaires de la 13e rente le savent bien, qui concentrent leur campagne sur les cantons alémaniques conservateurs : une majorité du peuple au plan fédéral, et du peuple dans une majorité de canton. Et là, le vote d'un Uranais ou d'une Appenzelloise pèse vingt ou trente fois plus lourd que celui d'un Zurichois ou d'une Bernoise... Enfin, bien des retraitées et des retraités qui pourraient bénéficier d'une 13e rente, et en auraient bien besoin, ne pourront la voter : étrangères et étrangers, elles et ils n'ont pas le droit de vote au plan fédéral. Même s'ils ont travaillé et cotisé en Suisse pendant 45 ans.

La 13e rente AVS  : une cause des femmes

Pour renforcer financièrement l'AVS (c'est du moins ce qu'on leur a dit pour les inciter à faire "le bon choix", les Suisses et les Suissesses ont reporté d'un an l'âge de la retraite des femmes et ont augmenté le taux de TVA (puisque la TVA contribue à ce financement). Or les rentes des femmes sont d'un tiers inférieures à celles des hommes -c'est comme si elles ne touchaient que neuf rentes par année quand les hommes en touchent douze, et presqu'une femme sur trois n'a pas de deuxième pilier. Pour elles, c'est le renforcement des rentes AVS qui s'impose, en commençant par l'octroi d'une 13e rente, ne serait-ce que parce que l'AVS prévoit des bonifications  (des augmentations de rente) pour tâches éducatives, assumées essentiellement par des femmes, ce qu’évidemment le 2e pilier, cette épargne forcée, ne prévoit pas. En revanche, l'Etat (Confédération, cantons, communes) économise huit milliards par an grâce à l'apport des retraitées (surtout) et retraités (aussi)à la garde de leurs petits-enfants.

En 2022, 100'000 retraitées et retraités ont perçu une rente AVS d'un montant moyen de 1810 francs, mais avec un écart de 200 francs entre les hommes (1969 francs) et les femmes (1784 francs). Les rentes s'étagent (pour une rente individuelle pleine) entre un minimum de 1225 francs et un maximum de 2450 francs (3675 francs pour un couple). Si on y ajoute la rente moyenne du 2e pilier (LPP), on est dans une moyenne de 3900 francs pour les hommes (avec 2128 francs de rente LPP)  et 3000 francs (avec 1237 francs de rente LPP) pour les femmes. Autrement dit, l'AVS seule ne suffit pas à passer le seuil de pauvreté (2280 francs par mois), alors qu'avec le 2e pilier (quand il y en a un), on le passe, mais en restant dans la précarité. Une 13e rente AVS augmenterait la rente annuelle de 8,33 %, soit de 1125 à 2450 francs par an pour une personne seule, 3675 francs pour un couple marié.

Le système de retraite à trois piliers, dont un seul (l'AVS) est universel, laisse en dessous, ou juste au-dessus, du seuil de pauvreté des centaines de milliers de personnes, surtout des femmes, majoritaires au sein du bas salariat et du salariat à temps partiel. Près du tiers (30 %) des femmes n'ont pas de deuxième pilier, et doivent donc, à la retraite, se contenter de l'AVS. 19 % des hommes sont dans le même cas. Elles et eux peuvent certes obtenir des prestations complémentaires, mais leur part cantonale varie selon les cantons, et nombre de celles et ceux qui y auraient droit ne font pas la demande de les obtenir. Le taux de conversion en rentes du capital accumulé par les cotisations du 2e pilier étant passé en vingt ans de 76,5 % à 5 %, à capital (et donc salaire) égal, les rentes ont diminué : elles ont baissé de 200 francs par mois entre 2015 et 2022, et cette baisse va se poursuivre.

"En tant qu’ancienne Conseillère fédérale, je ne m'autorise que rarement à contester les positions du Conseil fédéral. Mais cette fois, je me sens obligée de le faire", écrit Ruth Dreifuss pour défendre la 13e rente AVS comme une cause sociale. Et une cause des femmes.



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