Course à l'abîme
Gaza : la Cour internationale de Justice alerte sur le risque de génocide, et Natanyahou relance une offensive
C'est le 26 janvier, veille de la journée de la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité que la Cour internationale de Justice, la plus haute juridiction judiciaire mondiale, a pris une première position sur sa saisine le 29 décembre par l'Afrique du Sud, à l'encontre d'Israël, du crime suprême de génocide, pour ses actes à Gaza et dans les territoire palestiniens. Et la CIJ a validé la démarche sud-africaine, sans pour autant y faire pleinement droit, mais en reconnaissant que le risque de génocide est suffisamment plausible pour justifier toute mesure que l'on puisse prendre pour le prévenir. Et pour exclure toute tentative de le justifier : le génocide est un crime en lui-même, sans circonstance atténuante possible -même un pogrom. Une semaine après que la CIJ ait alerté sur le risque de génocide, et alors même que le Secrétaire d'Etat américain reprenait sa tournée proche-orientale pour faire accepter une trêve humanitaire, le Premier ministre israélien a annoncé qu'il demandait à l'armée de lancer une offensive sur Rafah, la ville la plus au sud de la bande de Gaza, et sur deux camps de réfugiés. La coïncidence de l'annonce d'une nouvelle offensive meurtrière d'Israël contre une ville submergée de réfugiés civils cinq fois plus nombreux (1,3million) que la population résidente, et de la tentative américaine d'obtenir une trêve humanitaire, sans pour autant que les USA appellent à un véritable cessez-le-feu, et moins encore envisagent de cesser de soutenir matériellement (financièrement, militairement, politiquement) Israël et donc son gouvernement, et cela une semaine après que la plus haute instance juridique mondiale ait admis qu'à Gaza planait la menace d'un génocide illustre bien ce à quoi on assiste: à une course à l'abîme arbitrée par des aveugles et des sourds volontaires. Autrement dit : des complices.
"Au
moins certains actes" génocidaires
"Génocide" : le mot définitif était lâché à propos de Gaza, par un Etat important, l'Afrique du Sud, devant une juridiction internationale légitime et reconnue, la Cour internationale de Justice, qui ne s'est pas bouché les oreilles. Le mot avait été lâché aussi un et deux mois auparavant par des tribunes publiées par des universitaires, des juristes, des experts de l'ONU. Et il a été en quelque sorte confirmé par les déclarations "déshumanisantes" de ministres israéliens (voir même du président Herzog) proclamant haut et fort le projet de vider Gaza de ses habitants, voire, si possible, la Palestine des Palestiniens : "J'ai levé toutes les limites (...) Nous combattons des animaux humains(...). Nous détruirons tout", avait déclaré le ministre de la Défense, Yoav Gallant. Il ne faisait aucun doute que des crimes de guerre étaient commis à Gaza (et que des crimes contre l'humanité dans le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre), considéré désormais par l'ONU comme un "lieu de mort et de désespoir". Les audiences de la CIJ ont permis de décrire la situation faite aux Gazaouis -et diffusées en direct, ces audiences furent, entant que telle, une reconnaissance de la gravité de leur situation. "Au moins certains actes semblent susceptibles de tomber sous le coup de la convention sur le génocide" a résumé la présidente américaine de la CIJ, Joan Donoghue. Les magistrats de la CIJ ont détaillé les actes qui peuvent être considérés comme "génocidaires", c'est-à-dire commis dans l'intention de détruire un groupe humain : meurtres de civils, atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, soumission à des conditions d'existence pouvant entraîner la mort, mesures visant à entraver les naissances. On y est, pour le moins. Et le principe, reconnu par la Suisse, de compétence universelle dans la punition de crimes de guerre (qui incluent les pillages et destructions de biens civils et les viols) et de crimes contre l'humanité rend possible une inculpation par la justice suisse des coupables de tels crimes à Gaza..
Le 29 décembre, l'Afrique du Sud avait demandé à la CIJ de prendre des mesures d'urgence, et la CIJ a fait droit à cette requête, à une majorité écrasante. Les ordonnances qu'elle a rendues le 26 janvier sont théoriquement contraignantes et sans appel, mais pratiquement impuissantes puisque la CIJ ne dispose d'aucun instrument pour les faire respecter, et qu'il faudrait que le Conseil de Sécurité s'en saisisse pour qu'elles soient appliqués -or le veto des USA serait garanti si la proposition lui en était faite, comme était garanti le veto de la Russie sur toute tentative de faire appliquer la sommation faite par la CIJ de cesser son invasion de l'Ukraine.
Que
demande, ou formellement exige, la CIJ ? Elle ne demande pas à
Israël de cesser les hostilités, mais lui ordonne de "prendre
toutes les mesures en son pouvoir pour "prévenir la
commission" de tout acte entrant dans le champ d'application
de la Convention internationale pour la prévention et la
répression du crime de génocide, et de rendre compte dans un
délai d'un mois des mesures prises. C'est ici le mot
"prévention" qui est essentiel : la répression des actes de
génocide supposerait que la commission de tels actes soit
constatée et reconnue comme telle -ce pas vers la
reconnaissance d'actes de génocide, la CIJ ne l'a pas (encore
?) fait.En revanche, elle reconnaît "un risque réel et
imminent" que de tels actes soient commis, et demande à
Israël de "prendre des mesures immédiates et efficaces pour
permettre la fourniture des services de base et de l'aide
humanitaire dont les Palestiniens ont un besoin urgent pour
faire face aux conditions de vie défavorables auxquelles ils
sont confrontés" (on notera le diplomatique euphémisme de
"défavorable"...). Elle demande également à Israël de punir
les discours génocidaires tenus en Israël à l'endroit des
Palestiniens -et le juge israélien Aharon Barak, siégeant au
sein de la CIJ, et survivant de la Shoah, a soutenu cette
exigence, comme celle d'apporter l'aide humanitaire nécessaire
aux Gazaouis.
"Entendre la justice internationale est un indispensable préalable" à toute tentative d'éviter un "drame sans fin" pour les peuples israélien et palestinien, éditorialise "Le Monde" du 28 janvier. Entendre la justice internationale, en effet, si faillible et impuissante qu'elle soit... et quelque temps qu'il faille (les Palestiniens n'en ont pas) pour que ce qu'elle dit (qu'Israël viole ses obligations au sens de la Convention sur le génocide) soit suivi d'effet : la loi ne dit jamais ce qui est possible ou impossible, elle ne dit toujours que ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. Ce que la CIJ a dit, en reconnaissant la validité de la plainte sud-africaine et en prévenant que le risque que le crime de génocide pourrait être perpétré à Gaza par un Etat né d'un autre génocide, la Shoah, c'est, même si la CIJ ne le dit pas aussi clairement, que la guerre menée par Israël à Gaza est illégitime. Comme le pogrom du 7 octobre : le Hamas ne peut pas plus se prévaloir de la résistance qu'Israël de la légitime défense : ni l'une, ni l'autre n'autorisent à commettre des crimes de guerre tels qu'en commettent l'un et l'autre. L'avoir dit ne les empêche pas, mais les condamne, et condamne leurs auteurs, leurs complices, et leurs promoteurs. Il fallait tout de même que cela soit dit : aucun Etat n'est au-dessus des lois, même, ou surtout, si ce sont les Etats qui font les lois.
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