Xénophobie light ?

 

La loi française sur l'immigration lourdement censurée

Le Conseil Constitutionnel français a rendu sa sentence sur la loi relative à l'immigration votée il y a un mois par le parlement, avec un contenu largement amendé par la droite (les "Républicains", en l’occurrence fort peu républicains sur le fond) au plus grand plaisir de l'extrême-droite, satisfaite de la reprise de nombre de ses obsessions par une droite démocratique en déliquescence. On s'attendait à ce que l'instance constitutionnelle censure nombre des dispositions de la loi issues des amendements de la droite, on n'a pas été déçus : sur 86 articles du texte, une cinquantaine étaient contestés et 32 ont été censurés par le Conseil constitutionnel, tous ajoutés par la droite au texte initial du gouvernement (dont aucun article n'a été censuré, et dont, par conséquent, celui prévoyant la régularisation des sans-papiers dans les métiers "en tension" a été adoubé). Le paradoxe, c'est que le gouvernement et le président Macron, avaient eux-mêmes affirmé que ces dispositions ajoutées par la droite étaient contraires à la constitution -non sur le fond, mais sur la procédure : il s'agirait de "cavaliers législatifs", autrement dit de dispositions n'ayant pas un rapport suffisant, même indirect, avec l'objet de la loi : restrictions au regroupement familial et à l'accès aux prestations sociales, atteinte au droit du sol dans l'accession à la nationalité, création d'un délit de "séjour irrégulier, quotas d'immigration, discrimination des étudiants étrangers...  Le gouvernement avait donc, délibérément et de son propre aveu, laissé passer une loi contenant des dispositions "manifestement et clairement contraires" à la Constitution, et laissé au Conseil constitutionnel le soin de faire le ménage en corrigeant le texte. Ce qu'il a fait. Lourdement. En censurant les dispositions les plus droitières, celles qui avaient fait voter le texte par le Rassemblement National, avaient incité 27 députés de la majorité (relative) macronienne à voter contre et le ministre de la Santé (Aurelien Rousseau) à démissionner du gouvernement, ce Conseil institué par le Général De Gaulle s'est attiré les foudres des héritiers présomptifs (et auto-proclamés) du gaullisme et des héritiers du pétainisme, les uns et les autres dénonçant un "coup d'Etat de droit" et le "gouvernement des juges"... alors que la majorité des neuf membres du Conseil sont eux-mêmes de droite...Reste, après cette censure, la loi originellement proposée par le gouvernement, allégée des dispositions les plus explicitement xénophobes qui y avaient été ajoutées. Une xénophobie light demeure... Et dimanche, contre elle, une nouvelle journée de mobilisation a été annoncée.

Voter des conneries est bien un attribut du pouvoir (kratos) du peuple (demos), autrement dit de la démocratie...

La lourde censure par le Conseil Constitutionnel du texte de loi sur l'immigration votée à l'Assemblée nationale après avoir été amendé par le Sénat a satisfait les opposants de gauche à cette loi, sans les enthousiasmer: eux voulaient le retrait pur et simple du texte, réclamé le 21 janvier par des dizaines de milliers de manifestants. La Constitution, cependant, enjoint au président de le promulguer, sous la forme sortie du Conseil constitutionnel -dont la décision satisfait le gouvernement et le président, qui avait lui-même saisi le Conseil constitutionnel en le transformant en une sorte de juridiction d'appel des décisions parlementaires. A droite, évidemment, l'exercice laisse un goût amer. Elle avait enjoint "le président et le gouvernement de la République de défendre une loi votée à une large majorité au Parlement", et dont ils ne défendaient pas la mouture finale. Et elle se retrouve piégée par la manoeuvre macronienne : laisser voter par l'Assemblée des dispositions imposées par la droite et dont la droite elle-même devait savoir qu'elles succomberaient, comme l'espéraient gouvernement et président, à un examen formaliste du juge constitutionnel, dont la seule mission est de vérifier la constitutionnalité des lois, ce qui l'amène, selon son président actuel, l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, à "juger constitutionnelles des lois qui (lui) paraissent ineptes". Ce qui ne risque pas d'arriver à un Conseil constitutionnel suisse, puisqu'il n'y en a pas (le Tribunal fédéral n'en est pas un, puisqu'il ne statue, après la promulgation d'une loi, que sur saisine par des personnes directement concernées par une disposition), et que des dispositions ineptes (genre interdiction des minarets) se retrouvent dans la Constitution après avoir été votée par le peuple, constituant suprême. Et qu'elles sont donc, par définition, constitutionnelles. Sans cesser d'être aussi ineptes que les lois ineptes adoubées par le Conseil constitutionnel français. En Suisse, le peuple est vraiment souverain. Jusque dans son droit de voter des conneries, ce qui, après tout, est bien un attribut du pouvoir (kratos) du peuple (demos), autrement dit de la démocratie... Mais le parlement n'est pas le peuple  : "La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même ou elle est autre : il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle; ce n'est pas une loi" (Jean-Jacques Rousseau, populiste de gauche).

Reste, évidemment, le débat de fond sur les politiques migratoires, un débat que le Conseil constitutionnel français n'avait ni à mener, ni à trancher : il n'est "ni une chambre d'écho des tendances de l'opinion, ni une chambre d'appel des choix du parlement", avait résumé Laurent Fabius. Le texte final de la loi sur l'immigration, celui qui a été largement censuré par le Conseil constitutionnel, n'avait pu être tiré vers la xénophobie d'Etat que parce que le texte initial, celui qui avait été présenté par le gouvernement sous l'impulsion du président, et qui a été intégralement adoubé par le Conseil constitutionnel, le permettait. 

C'est dans une porte ouverte par Macron que s'était engouffrée la droite parlementaire, sous les applaudissements ironiques de l'extrême-droite...

"Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée", écrivait Ramuz. Celle-là aurait dû rester fermée.



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