Réelection de Poutine par Poutine : Qu'y peuvent les Russes ?

 

Il ne pouvait, il ne devait, il ne saurait en être autrement : Vladimir Vladimirovitch Poutine a été réélu à la majorité absolue (plus qu'absolue, même : 88 % des suffrages, dix points de plus que lors de sa dernière réelection) et sans concurrence président de la Fédération de Russie, pour un sixième mandat, renouvelable jusqu'en 2036. Une quasi-présidence à vie. Il est au pouvoir depuis 25 ans, il peut y rester encore douze ans. Le vote pouvait se faire de toutes les manières possibles, y compris à domicile, sur le lieu de travail et par internet, il était quasiment obligatoire pour les employés de l'Etat, des grandes entreprises et les soldats. De toute façon, une seule voix comptait : la sienne. Qu'y peuvent les Russes (de toute évidence plus nombreux à voter pour lui qu'à ne pas le faire) ? Chanter l'air de l'Innocent dans le Boris Godounov de Moussorgsky ? Faut-il, comme le suggère l'historien Serguei Medvedev dans "Le Monde" d'hier, attendre pour "qu'un changement substantiel se produise" que soient réunies les trois conditions de la mort de Poutine ou son départ du pouvoir, une défaite en Ukraine et la coupure de revenus à l'exportation ?

La fabrication  orwelienne d'une relecture de l'histoire.

L'élection présidentielle russe était jouée d'avance et les résultats officiels sont totalement dépourvus de crédibilité mais il y a eu des incidents (produits chimiques versés dans les urnes, tentatives d'incendie de isoloirs) manifestations symboliques d'opposition devant les locaux de vote, y compris à l'étranger (notamment à Genève) et sur la tombe de Navalny. Que pouvait l'opposition russe (car elle existe) ? Rien. Du moins pour cette fois. Elle ne peut rien non plus face à la guerre de Poutine contre l'Ukraine. "Comment soutenir les mouvements anti-guerre en Russie ?", s'interrogeait le SOLIFONDS, qui rappelait qu'en Russie, les opposants à la guerre sont criminalisés et risquent de longues peines de prison, qu'il est quasiment impossible de protester légalement en public, et totalement impossible d'organiser des activités "à une large échelle". Dès le déclenchement de l'invasion russe de l'Ukraine, des rassemblements ont exprimé une condamnation de cette invasion, dite "opération militaire spéciale", mais les manifestations ont été dispersées, les protestataires arrêtés, inculpés, voire emprisonnés. Mais que l'opposition à la guerre ne puisse s'exprimer en Russie ne signifie nullement qu'elle soit inexistante. Elle est certes minoritaire, le plus souvent exprimée de manière individuelle, inorganisée, mais elle existe toujours, surtout depuis la mobilisation décrétée en septembre 2022. La journaliste Elena Kostioutchenko estime que 15 % des Russes soutiennent la guerre, 15 % la condamnent et 70 % vivent avec le "traumatisme de l'impuissance". Et puis, il y a cette opposition par l'exil : rien qu'en Serbie, des centaines de milliers de russes se sont réfugiés dès le début de l'invasion de l'Ukraine. D'abord des dissidents, puis de "simple travailleurs" qui veulent juste vivre plus "normalement", plus sereinement, qu'en Russie, et sans craindre d'être mobilisés.

 Il y a aussi l'opposition par le refus de combattre : les procédures contre des soldats russes pour désertion, abandon de poste ou refus d'obtempérer : elles se comptent en milliers. Pour autant, l'ambassade d'Ukraine en Suisse a demandé que la Suisse n'accorde pas l'asile politique aux objecteurs de conscience et aux déserteurs russes car ils représenteraient un risque élevé pour la sécurité" de la Suisse.

Pourtant, l'opposition russe, qu'elle soit au pouvoir de Poutine ou à la guerre, reste fort minoritaire. Car règne en Russie quelque chose qui tient d'une fabrication idéologique, ou plutôt, pour reprendre le mot de l'historien Nicolas Werth d'un "bricolage qui essaie de puiser dans le passé soviétique des éléments tout en en rejetant beaucoup d'autre" : "d'un côté, Poutine critique frontalement les bolchéviks en raison, selon lui, de leur trahison supposée à l'idée patriotique qui les a conduit à signer le traité de Brest-Litovsk en mars 1918", qui a amputé l'ex-empire d'un très grand territoire (mais c'était pour assurer leur pouvoir sur ce le territoire qu'ils gardaient -et de toute façon, les bolchéviks n'étaient des "patriotes" russes mais des internationalistes..).. Mais "d'un autre côté, le même Poutine glorifie Staline en allant jusqu'à dire qu'il a racheté la faute originelle de Lénine", alors même qu'il y a "une grande continuité dans les pratiques de Lénine et Staline". Jusque dans leur opportunisme, leur pragmatisme et leur cynisme. Reste donc, de Staline à Poutine, "la nostalgie d'un empire, bien sûr, la nostalgie de l'Union soviétique" du temps où elle occupait la moitié de l'Europe. Et de Lénine à Poutine en passant par Staline et tous ses successeurs, "l'omniprésence de la répression et l'importance essentielle des organes policiers", à commencer par le FSB, digne héritier du KGB (lui même héritier de tous ses prédécesseurs). Il y a aussi la permanence de la "verticale du pouvoir" et d'"une absence de transparence absolue". Tout cela répondant, dans une certaine mesure, à un désir de la majorité de la population, après les années 1990 "qui ont été des années terribles pour les Russes".

"Comment soutenir les mouvements anti-guerre en Russie" ? La question posée par le Solifonds nous reste posée, sachant que l'opposition à la guerre est forcément une opposition à un régime qui tient par la guerre, la répression et la fabrication  orwelienne d'une réécriture de l'histoire. 



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