"Une Suisse à dix millions d'habitants" ? Oui, peut-être, et alors ?
Peur du nombre
"Nous ne voulons pas d'une Suisse à 10 millions d'habitants", proclame le prochain président de l'UDC, le Conseiller national schwytzois Marcel Dettling. Ouais, bon, et alors ? On y arrivera quand même, il n'y peut rien Marcel, l'UDC non plus... Ou alors, qu'elle nous dise clairement que son projet, c'est une Suisse constituée d'un gigantesque EMS, avec des soignantes immigrante ou frontalières. Alors, hein, la crainte d'une "Suisse à dix millions d'habitants", cette peur du nombre, on la laisse à qui a envie d'avoir peur de quelque chose d’inéluctable -à moins, bien entendu, d'une bonne grosse pandémie. Et pas du genre Covid, plutôt du genre peste noire du Moyen-âge...
La clef de la démographie, en fait, c'est la politique
"Qui veut d'une Suisse à 10 millions d'habitants
?", interrogeait déjà l'année dernière l'encore président de
l'UDC, Marco Chiesa, à propos de la "libre-circulation". Sur le
même ton, et sachant que l'équilibre des générations en Suisse
n'est à peu près supportable que grâce à l'immigration, et que
hôpitaux et EMS ne fonctionnent que grâce à leurs salariées et
salariés immigrés, on se demandera "qui veut une Suisse dont
deux millions d'habitants survivraient dans des EMS privés de
personnel" ? Le président de l'UDC, sans doute, qui qu'il
soit... alors même que, reconnaît Marco Chiesa, "si nos voisins
avaient empêché leurs ressortissants de venir en Suisse lors de
la crise du coronavirus, cela aurait été la catastrophe"... De
toute façon, la Suisse à 10 millions d'habitants (et la Genève à
700'000...), on y arrivera sans doute... mais dans quel état ?
En 2050, un.e habitant.e de la Suisse sur quatre sera à la
retraite, un.e sur dix sera au moins octogénaire et en 2040, il
faudra 45'000 soignantes et soignants de plus qu'actuellement.
Qu'on ne pourra trouver qu'en les important : 300 soignantes et
soignants quittent chaque mois leur profession, le domaine le
plus touché est celui des soins stationnaires de longue durée.,
pour lesquels, selon l'Observatoire national de la santé, les
besoins vont augmenter de plus de 50 % dans les quinze ans à
venir : sans changement de politique médico-sociale, il faudra
plus de 54'000 lits supplémentaires, soit l'équivalent de plus
de 900 EMS, pour lesquels on aura besoin de plus de 35'000
employées et employés supplémentaires dans les dix ans, en sus
des plus de 9300 nécessaires au développement des soins à
domicile. Quant aux coûts des soins de longue durée, ils
devraient doubler en vingt ans pour atteindre 3,4 % du PIB en
2045...
Un pseudo-écologisme mâtiné de malthusianisme
proclame que nous sommes trop nombreux" ("nous" étant les
humains -sauf évidemment ceux qui proclament que "nous" sommes
trop nombreux : ce sont toujours les autres qui sont de trop),
que nous allons épuiser les possibilités naturelles de la
planète, que si la population augmente plus vite que les
ressources, à plus forte raison si l'augmentation de la
population épuise les ressources, la catastrophe finale est
programmée. Mais ce raisonnement calamiteux repose sur une
hypothèse contestable et une évidence niée. L'hypothèse
contestable, c'est celle de l'accroissement continu de la
population humaine, au moins jusqu'aux 10 milliards d'habitants
annoncés par l'ONU pour 2050 (soit deux milliards de plus qu'en
2020). Et l'évidence niée, c'est que ce n'est pas d'être trop
nombreuse que la population humaine va souffrir -et faire
souffrir l'éco-système terrien, mais pour une part d'entre elle
d'être trop pauvre et pour l'autre part, de trop et trop mal
consommer de ressources non renouvelables.
L'hypothèse de l'accroissement continu de la population humaine jusqu'en 2050, voire jusqu'à la fin du siècle, est contestée par la baisse générale des taux de natalité, y compris dans les régions (l'Afrique subsaharienne) où ils sont les plus élevés et la réduction de la mortalité infantile. Quant au vieillissement de la population, y compris dans les régions où elle est plus jeune qu'ailleurs, il va continuer au fur et à mesure que s'amélioreront les conditions de nourriture et de soins. Le moment de la transition démographique, c'est-à-dire le moment où une population humaine passe de taux de natalité et de mortalité infantile forts à des taux faibles, et où cette population, régionalement ou mondialement, se stabilise, puis se réduit, pourrait ainsi être bien plus proche que les projections onusiennes le prévoyaient.
La clef de la démographie, en fait, c'est la politique -et plus précisément les politiques de la santé, de l'éducation, de défense des droits des femmes... plus le statut des femmes est inférieur, l'éducation insuffisante, la planification familiale absente, les dogmes religieux prégnants, plus la croissance naturelle de la population est forte, parce que plus les femmes font d'enfants, puisque moins elles ont la liberté de ne pas en faire -ou de ne pas en faire plus qu'elles voudraient.
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