Elections municipales genevoises : La culture en débat

Lundi, les sept candidates et candidats socialistes à la candidature au Conseil administratif de la Ville de Genève débattaient entre eux, et avec les militantes et militants du parti. Et il a beaucoup été question de politique culturelle -pas seulement, mais beaucoup. C'est que le Conseiller administratif Sami Kanaan, en charge de la culture, termine son troisième mandat consécutif, et qu'il ne peut en solliciter du parti un quatrième. Et que plusieurs candidates et candidats (la majorité, même) ont une expérience, une insertion, une compétence s'agissant de politique culturelle. Et que la politique culturelle genevoise est à la fois en débat et en chantier -et que dans ce débat et sur ce chantier, les prises de position et les postures se multiplient. Il n'est dès lors pas totalement fortuit qu'au sein du Parti socialiste aussi on en débatte, entre candidates et candidats à un Exécutif municipal, où, jusqu'à nouvel avis, le seul dicastère dont le magistrat ne se représente pas soit, précisément, celui de la culture, tenu par un socialiste. On n'allait donc pas se priver du plaisir de mettre notre grain de sel, parfaitement désintéressé, dans ce débat...


Dans le champ culturel, le fétichisme ne produit rien que du bruit

Sur quoi devrait se construire, sinon une politique socialiste de la culture, concept trop restrictif et partisan pour être retenu sans précaution, du moins un programme culturel du parti socialiste ? D'abord, sur le refus de la fausse alternative entre une politique culturelle dite "de l'arrosoir" et une politique d'écrémage : ce que la droite dénonce comme un "arrosage", ce n'est que la défense du pluralisme culturel. Et concentrer l'effort matériel de soutien à la culture sur quelques acteurs, quelques secteurs, quelques institutions (choisis par qui ?), c'est forcément en abandonner d'autres. De ce préalable, le pluralisme culturel, peuvent se déduire des lignes de conduite :
- mettre les grandes institutions au service des nouveaux acteurs culturels, et pas seulement à la représentation du patrimoine; 
- ne pas opposer les uns et les unes aux autres les champs, les acteurs, les lieux culturels, les expressions culturelles, mais les relier;
- renforcer le soutien aux acteurs culturels nouveaux et aux expressions culturelles novatrices, sans réduire celui aux institutions, sauf entrée réelle du canton dans leur financement pour libérer des ressources (et pas pour faire des économies budgétaires, surtout dans une ville qui a clos son dernier budgétaire avec un boni de 200 millions);
- renforcer les fonds généraux permettant des soutiens nouveaux, ou des soutiens ponctuels, à des acteurs culturels ne bénéficiant pas de subventions régulières;
- incidemment, réaffirmer notre soutien aux droits des travailleuses et des travailleurs du secteur culturel, notre refus d'une dégradation du statut du personnel municipal affecté au Grand Théâtre après son passage sous emploi par la Fondation -lequel passage entraînera le triplement de la subvention publique du GTG, la fondation n'ayant absolument pas les moyens de payer ce personnel, actuellement payé par la Ville...
- poursuivre le travail entrepris pour une rémunération digne des artistes, et faire de cette rémunération une condition de l'octroi des subventions, et une disposition du conventionnement des subventions;
- renforcer les dispositifs de prévention, voire de sanction, des violations des droits des personnes dans le secteur culturel (comme celles qui ont entraîné l'annulation des "Emigrants" à la Nouvelle Comédie).
On pourrait allonger la liste, celle-là n'est pas exhaustive. Ce qui importe de lui adjoindre, c'est un constat : les secteurs qui ont le plus besoin de soutien sont ceux qui en reçoivent le moins : les arts plastiques, la littérature, les musiques non patrimoniales. Mais le renforcement du soutien qu'on leur apporte ne doit pas se payer d'une réduction du soutien apporté aux autres secteurs : c'est l'engagement culturel de la collectivité (DES collectivitéS) qu'il faut renforcer, pas certains engagements culturels en les payant de désengagements culturels. De même, ce sont les conditions de rémunération des artistes non salariés qu'il importe d'améliorer, pas celles des artistes salariés qu'on devrait s'obliger à dégrader : on ne paie pas mieux ceux qui sont mal payés en payant moins ceux qui le sont correctement.

Enfin, tout ce débat, toutes ces positions, toutes ces propositions se font et se prennent dans un contexte de redéfinition des responsabilités et des charges culturelles entre collectivités publiques : le canton devrait (le conditionnel reste de rigueur) enfin prendre ses responsabilités culturelles -et on parle bien là, de responsabilités financières. Mais cette prise de responsabilités matérielles, il va la faire à petit pas comptés -il est vrai qu'il ne peut guère aller plus vite, vu le rapport des forces politiques au Grand Conseil, la méfiance structurelle du canton à l'égard de la Ville et le sous-développement de l'Office de la culture (et du sport). Onze millions cantonaux en quatre ans, ce n'est que l'équivalent de la seule subvention annuelle que la Ville accorde au Grand Théâtre en sus de tout ce qu'elle paie pour lui. C'est bien peu. Et de loin pas assez -mais c'est déjà ça. Et si l'objectif de la parité de subvention entre canton et Ville pour les grandes institutions, est atteint, ce sont quelques millions que la Ville pourra affecter au soutien aux lieux culturels non institutionnels,  aux formes culturelles innovantes, aux expressions culturelles non patrimoniales et aux acteurs culturels indépendants, sans réduction de l'effort global pour la culture.

Nous devons renforcer les moyens que lui accordent les collectivités publiques, sans que le renforcement des moyens accordés par l'une (le canton, par exemple) implique la réduction des moyens accordés par l'autre (la Ville, par exemple...), mais en réduisant l'écart entre les efforts des uns et des autres, mesurés par leurs budgets culturels -et, dans ces budgets, par les subventions. Nous devons aussi  réduire l'écart entre les moyens accordés aux grandes institutions (le GTG, l'OSR, les Musées, la Nouvelle Comédie) et ceux accordés aux acteurs de la création émergente, de la création d'expérimentation, des cultures de l'immigration, mais nous devons réduire cet écart en accordant plus de moyens à ceux qui en manquent, pas en réduisant les moyens de ceux qui en ont assez. Nous devons partager la gouvernance et le financement des grandes institutions entre la Ville, les autres communes et le canton. Les partager, pas les découper.

Chacun de ces objectifs implique d'être pris pour lui-même, et les atteindre suppose des décisions politiques spécifiques à chacun d'entre eux. Mais il s'agit bien de décisions politiques, pas de bricolages budgétaires, de rabotage de subventions. On ne répond à aucun problème de gouvernance en rabotant une subvention. On ne tient aucun compte du rôle d'une grande institution, de sa place dans le tissu culturel genevois, en la transformant en cible obsessionnelle de règlements de compte. Dans le champ culturel, le fétichisme, qu'il porte sur un totem ou un tabou, ne produit rien que du bruit.

Commentaires

Articles les plus consultés