De quoi le procès des viols de Mazan est-il le nom ?
La banalité du viol
Des centaines de milliers de personnes, femmes et
        hommes, ont manifesté en France le 23 novembre contre les
        violences sexuelles. A Berne, plusieurs milliers de personnes
        ont également manifesté "contre les violences basées sur le
        genre". Pendant qu'à Avignon, se tenait le "procès de Mazan". Le
        procès d'un homme septuagénaire, Dominique Pélicot, "bon mari,
        bon père, bon grand-père" qui droguait son épouse, Gisèle
        Pélicot, la violait et la proposait au viol à des dizaines
        hommes, de tous âges (ils ont entre 29 et 74 ans) dont cinquante
        ont été retrouvés et font face à la Justice, pour avoir accepté
        sans aucun questionnement de conscience de violer une femme
        inerte et inconsciente, la voyant et la sachant telle. Des
        co-accusés dans le déni, alors que l'accusé principal, le mari,
        se reconnaît (ou feint de se reconnaître) comme responsable et
        coupable, affirmant par avance mériter sa condamnation, quelle
        qu'elle soit. Il va être tentant de le présenter comme un
        monstre, un "pervers XXL". Une exception. Quelque chose d'autre
        qu'un homme. Quelque chose avec quoi aucun homme n'a rien à
        voir. Un mal si peu banal qu'il évite de se poser la question de
        la banalité du mal dans nos sociétés. Or le procès de Mazan
        c'est, précisément, celui de la banalité du viol. 
      
"Il n'y a pas aux femmes de ce pays de fatalité à subir et aux hommes de ce pays pas de fatalité à agir"
Le procès de Mazan, c'est le procès intenté non
        seulement par le Ministère public à des violeurs, mais aussi par
        la victime à son bourreau et à ses séides. Le verdict du procès
        est attendu avant Noël, mais le procès a été un choc, et de loin
        pas seulement en France. Gisèle Pélicot, qui a refusé que ce
        procès se tienne à huis-clos et a imposé que les vidéos de son
        calvaire (parce que Pélicot filmait les viols de son épouse)
        soient projetées publiquement, dans la salle des audiences, est
        devenue l'incarnation d'un refus décisif, celui de la fatalité
        des violences sexuelles, de la soumission des femmes au pouvoir
        des hommes qui les violent et du silence sur ces viols. Et de
        l'inconscience même qu'un acte sexuel contraint, que ce soit par
        la violence ou la drogue, cela s'appelle un viol, et ne peut
        s'appeler autrement. Et qu'un viol est un crime. Et que des
        viols multiples sont des crimes réitérés. Quand elle arrive dans
        la salle des audiences, et quand elle la quitte, Gisèle Pélicot
        est applaudie, fleurie, félicitée. Et elle le mérite. 
      
"Il y aura un avant et un après" ce procès, a
        affirmé la procureure Laure Chabaud.  Et il signifie déjà
        beaucoup, ce procès, grâce au choix de Gisèle Pélicot de
        l'ouvrir totalement au public et aux media. L'un de ses deux
        avocats, Antoine Camus, l'a dit : "il fallait ouvrir les portes
        de cette salle, inviter la société toute entière à se saisir de
        ce dossier, faire de nos débats le terreau d'une prise de
        conscience, d'un changement des mentalités". Et de s'interroger
        -et de nous interroger : "comment en France, en 2024, (...)
        peut-on trouver 50 individus sur un rayon de 50 km pour profiter
        sexuellement, sans le moindre échange, d'un corps qu'on croirait
        mort et qu'il fait rouler sur lui-même pour pouvoir le mouvoir
        ?". Comment ? en donnant, par le procès d'Avignon, "à voir la
        manière dont on défend encore le viol en France en 2024". En
        France et ailleurs. Et depuis longtemps, n'en déplaise à
        l'Académie Française qui a supprimé de son dictionnaire le
        substantif masculin "abuseur", qui, dans l'ancienne version
        dudit dictionnaire, ne figurait qu'avec la précision : "familier
        et peu usité". Or en France, 217'000 femmes âgées de 18 à 74 ans
        ont subi en 2022 une agression sexuelle, y compris un viol, mais
        94 % des affaires de viol sont classées sans suite. Et 54 % des
        plus de 21'000 médecins interrogée par leur Ordre ont reconnu
        avoir connaissance de violences sexuelles ou sexistes exercées
        par un autre (forcément) médecin sur un.e professionnel.le de
        santé, un patient ou une autre personne. En Suisse, 18 femmes
        ont été assassinées en 2024, parce qu'elles étaient des femmes.
        Et en un an, de l'été 2023 à l'été 2024, 85'000 femmes ont été
        assassinées dans le monde. Assassinées, c'est-à-dire
        intentionnellement tuées. Quant aux viols, ils sont
        innombrables. Parce qu'ils sont souvent tus, souvent commis au
        sein de la famille. Et qu'ils sont aussi une arme de guerre. Le 22 novembre, la Cour criminelle du Var a condamné à
        la peine maximale, 20 ans de réclusion criminelle, un homme de
        38 ans, violeur régulier de sa fille adolescente, qu'il avait en
        outre livrée à des inconnus pour qu'ils la violent, et à seize
        ans de réclusion criminelle l'un de ces hommes. L'ombre du
        procès de Mazan, de Dominique Pelicot et de ses cinquante
        co-accusés, planait sur ce procès-là.  
      
Le mari de Gisèle Pélicot est le premier accusé de
        ce procès. Mais il y en a cinquante autres, qu'il charge et qui
        le chargent.  Quelques uns ont sans doute subi des violences
        sexuelles dans leur enfance, ou surconsomment de la
        pornographie, ou ont un un casier judiciaire, ou souffrent de
        précarité affective et sexuelles, ou de déficience mentale (sans
        atténuation réelle de leur responsabilité), mais aucun d'entre
        eux n'a été contraint de violer Gisèle Pélicot inconsciente.
        Aucun d'entre eux ne pouvait ignorer qu'elle était inconsciente.
        Aucun d'entre eux ne s'est posé la question du consentement de
        Gisèle Pélicot. Tous ont, d'une manière ou d'une autre, choisi
        d'être des violeurs -mais la plupart d'entre eux ne l'admettent
        pas, se réfugient dans de minables échappatoires, accusent
        l'époux organisateur des viols de les avoir trompés, affirment
        qu'ils ne voulaient pas violer, qu'ils ne savaient pas qu'ils
        violaient. "Ils ont choisi un mode de défense qui est celui de
        la lâcheté", résume l'un des deux avocats de Gisèle Pélicot.
        Mais cette lâcheté, c'est aussi celle de la société toute
        entière. Et de ceux (et quelques celles) qui, en arrière-fond du
        procès de Mazan, marmonnent que les violeurs violaient sans
        intention de violer, qu'ils ont violé par erreur, par accident,
        par connerie. Et cette lâcheté, c'est aussi celle des co-accusés
        dont la procureure constate qu'il se dégage entre eux "une
        communion dérangeante", une "décontraction inappropriée"
        (jusqu'à que tombent les réquisitions d'années de prison contre
        eux), qui confirme leur incapacité, ou leur refus, de s'admettre
        comme des violeurs, même lorsque ils ont été vidéofilmés la
        violant alors qu'elle était inconsciente. 
      
"Le viol ordinaire n'existe pas, le viol accidentel ou involontaire n'existe pas", a martelé la Procureure Laure Chabaud, qui a requis vingt ans de réclusion criminelle contre le mari et entre quatre et dix-huit ans de prison pour les autres accusés, et a ajouté : "par votre verdict, vous signifierez aux femmes de ce pays qu'il n'y a pas de fatalité à subir et aux hommes de ce pays pas de fatalité à agir". Ils le signifieront aussi aux femmes et aux hommes des autres pays. Dont le nôtre. Et donc à nous.



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