Le Tribunal fédéral ratifie le report de l'âge de retraite des femmes (AVS21)
Une nouvelle gifle aux femmes
On s'y attendait, parce qu'on sait qu'une instance comme le Tribunal fédéral se préoccupe toujours bien plus de la légalité que de la légitimité, et quand il se préoccupe de la légalité, il s'en préoccupe politiquement: le TF a rejeté les recours demandant l'annulation du vote de septembre 2022 sur AVS21, et donc du report d'un an de l'âge de la retraite des femmes. Et a même taxé les recourantes de 2500 francs de frais de justice. Les femmes perdront bel et bien une année de rente, les prévisions erronées de l'Office fédéral des assurances sociales concernant le financement de l’AVS ont peut-être influé sur le résultat serré du vote (300'000 voix d'écart), mais on ne peut affirmer qu'elles ont fait pencher la balance. Et pour le Tribunal fédéral, la sécurité du droit prime sur la sécurité du vote. Les recourant.e.s sont évidemment déçu.e.s, les milieux patronaux et les partis de droite évidemment satisfaits et annoncent déjà une nouvelle réforme avec si possible un nouveau report de l'âge de la retraite de tout le monde.
De plus, on a appris qu'il faudra attendre Noël 2026 pour recevoir la 13e rente AVS que le peuple
a décidé de verser aux retraités en acceptant une initiative
syndicale. Et elle sera versée en une fois, annuellement, pour,
explique le président de la commission du Conseil des Etats,
permettre "de régler les nombreuses factures vers la fin de
l'année". Plus clairement dit, de régler une partie des dettes
accumulées pendant toute l'année par les retraités dont les
rentes sont trop basses pour qu'ils puissent les payer à temps,
et par les retraitées qui touchent des rentes de presque un
tiers plus basses que celles des hommes, mais à qui on a fait
payer la dernière en date des réformes de l'AVS...
Assurer la sécurité d'un droit, se résigner à
l'insécurité d'un autre ?
C'est au nom de la "sécurité du droit" que le
Tribunal fédéral a repoussé les recours déposés par les Verts et
les Femmes socialistes contre le funeste résultat de la votation
de septembre 2022. Le Tribunal fédéral est certes là pour dire
le droit, mais dans cette cause, il l'a dit de la manière la
plus politique qui soit, en choisissant le droit qu'il dit et
celui qu'il ignore, le droit dont il faut assurer la sécurité et
celui dont on peut se résigner à l'ineffectivité : la
Constitution garantit l'égalité entre femmes et hommes, et
l'inégalité persiste ? peu importe. Ce qui importe, c'est de
sécuriser l'augmentation de la TVA, pas de respecter la
constitution. Un vice-président du PLR savoure : "le vote sur
l'AVS répondait à un besoin d'égalité" que l'égalisation de
l'âge de la retraite des femmes et des hommes satisferait.
L'Union patronale acquiesce : "il est juste, en termes d'égalité
et d'espérance de vie, que les femmes aient le même âge de
référence officiel" pour leur prise de retraite. Et l'égalité
des salaires, alors ? et celle des rentes ? Détails que tout
cela... L'égalité, c'est de faire travailler les femmes un an de
plus, pas de les payer autant que les hommes, que cela soit dit,
redit, et entre bien dans les têtes rebelles.
Si le résultat de la votation acceptant la
"réforme" AVS 21 n'est pas remis en cause par le Tribunal
fédéral, ce n'est pas qu'il n'y ait aucune raison de le remettre
en cause (le Tribunal fédéral lui-même le reconnaît), c'est que
ces raisons pèsent moins que la "sécurité du droit".
C'est-à-dire, pour parler plus clairement, le fait acquis. Et ce
n'est pas le report d'un an de l'âge de la retraite des femmes
qui pèse le plus lourd, mais l'augmentation de 0,4 point de la
TVA, parce qu'elle est entrée en vigueur au début de 2024. Et
que ce serait trop compliqué de la maintenir en annulant le
report de l'âge de la retraite des femmes, ou de l'annuler et de
rembourser la part trop perçue de la TVA (pourtant, si on peut
augmenter la TVA, on peut aussi la diminuer...). Pour justifier
la décision du Tribunal fédéral de repousser les recours déposés
par les Verts et les Femmes Socialistes contre la validation du
vote du 22 septembre 2022 sur la (contre)réforme AVS 21, qui
avait repoussé d'un an l'âge de la retraite des femmes, le juge
instructeur François Chaix a demandé d'«éviter de judiciariser
les décision électorale et (de) créer un contentieux judiciaire
après une décision démocratique».. Ouais, mais faudrait aussi
éviter de polluer la campagne de votation en diffusant, comme
l'ont fait les partisans d'AVS 21, des chiffres (l'évaluation du
déficit à venir de l'AVS, et donc de l'urgence de le réduire)
qui se sont révélés faux, de l'aveu de leur propre source
(l'Office fédéral des assurances sociales). Et pas faux que d'un
peu: de 2,5 à quatre milliards de francs très lourds.
Un peu moins de la moitié des Suisses et une
majorité des Suissesses se sont peut-être fait voler, pour
30'000 voix, un scrutin, mais pour la plus haute instance
juridique et judiciaire de leur pays, c'est moins grave que de
devoir revenir sur une hausse du plus antisocial des impôts
qu'ils paient. Certes, le Tribunal Fédéral adresse des reproches
au Conseil fédéral et à la Chancellerie fédérale -mais ces
reproches sont sans force, puisqu'ils ne s'accompagnent d'aucune
décision. En 2008 déjà, le Tribunal fédéral avait invoqué la
sécurité du droit pour ratifier une réforme de l'imposition des
entreprises acceptée par le peuple après que les autorités
fédérales (et les partisans de cette réforme) eurent assuré
qu'elle ne coûterait que quelques dizaines de millions, quand
finalement elle a coûté sept milliards...
L'acceptation de justesse de la 13e rente, avec un
taux de participation au vote supérieur à celui des dernières
élections fédérales (dans ce pays, il est vrai, on élit à droite
et, souvent, on vote à gauche...), fut un moment qu'on espéra
porteur d'un changement important de politique s'agissant du
système de retraite. Un moment, seulement. Le vote de la 13e
rente semblait signifier qu'après des décennies de renforcement
des inégalités, une reprise du progrès social est envisageable,
avec le soutien du peuple. Il n'y a aucune raison que le vote
d'AVS 21 nous désarme -bien au contraire. A l'ordre du jour, il
y a quelques réformes spécifiques (la prise en compte du "care",
la prise en charge des proches, et des temps partiels), un
principe à faire respecter (l'égalité salariale) et une grande
réforme à mener : la fusion des premiers et deuxième pilier du
système de retraite.
"Aujourd'hui, on perd, mais demain, nous gagnerons", proclame la vice-présidente des Femmes Socialistes, Tamara Pour réformer le système suisse de retraite, tout reste à faire. Pour le réformer, pas le contre-réformer.
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