Nous sommes aujourd'hui la Journée internationale des migrants...

 

Portes fermées après Bachar

Nous sommes aujourd'hui la Journée internationale des migrants. Ce qui leur fait une belle consolation de tout ce qu'on médite, concocte et décide contre eux, en Suisse comme ailleurs (même si l'un d'entre eux a quand même trouvé asile : Bachar Al Assad est en Russie, avec sa famille et le produit de ses rapines, de ses trafics, de ses pillage). En Suisse, le droit des réfugiés de guerre au regroupement familial était menacé, après qu'au début de l'automne, puis aujourd'hui même,  la gauche ait réussi à en repousser la suspension, proposée évidemment par l'UDC. Les premières victimes de cette suspension auraient été des femmes et des enfants ? Oui, peut-être, mais des femmes et des enfants de métèques. Ukrainiens ou Syriens, surtout.  Et sitôt Bachar tombé, la Suisse a suspendu l'examen des demandes d'asile de Syriens et de Syriennes. Comme si elle n'avait (ou feignait de n'avoir) aucun doute sur l'humanisme et le souci des droits humains des nouveaux maîtres de Damas. Comme si personne n'avait rien à craindre d'eux. Pas de doute, nous sommes bien, aujourd'hui, la journée internationale des migrants. Et des migrantes. Et des enfants des migrants et des migrantes.

Etre dans le courant, n'est-ce pas le destin des poissons morts ?

La semaine dernière, le Conseil national a confirmé le refus du Conseil des Etats d'accepter de signer le Pacte mondial de l'ONU sur les migrations, adopté en décembre 2018 par 159 Etats, contre cinq (les USA, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et Israël). La Suisse s'était abstenue. Le pacte n'a rien de contraignant, mais il est à contre-courant de la montée générale de la xénophobie d'Etat, un peu partout dans le monde -y compris, donc, dans des pays fondés par des immigrants : on lit dans ce pacte l'expression d'une volonté de coopération internationale dans la gestion des migrations, et de défendre les droits des migrants -de tous les migrants, réguliers ou non. Le contraire de ce qui est en train de se produire -et à quoi la Suisse participe.

Il s'est à peine passé vingt-quatre heures pour que les Etats Européens, membres ou non de l'UE, suspendent l'examen des demandes d'asile déposées par des Syriens ou des Syriennes, et, pour certains,comme l'Allemagne ou l'Autriche,  d'envisager le renvoi en Syrie de celles et ceux qui avaient obtenu l'asile. Vingt-quatre heures, c'est aussi le temps qu'attendu le Secrétariat d'Etat suisse aux migrations pour suspendre les procédures d'asile concernant les requérants syriens : ils et elles ne pourront plus obtenir le statut de réfugié, ni même une admission provisoires, ni d'accès aux mesures d'intégration, ni le droit de travailler. Et l'UDC n'a pas attendu plus longtemps pour exiger carrément leur renvoi en Syrie : "ceux qui prétendaient fuir Bachar El Assad peuvent rentrer, maintenant qu'il est tombé"... et celles et ceux, chrétiens, alaouites, kurdes, qui voudront fuir les tombeurs de Bachar ? On ne sait rien de plus après la chute d'Assad que ce qu'on savait avant cette chute : il y a deux mois encore, huit Etats de l'Union Européenne , dont l'Italie, assuraient qu'Assad contrôlant 70 % du territoire syrien, il fallait rétablir des relations diplomatiques normales avec lui. On ne sait rien de l'avenir de la Syrie, et rien de ce va faire, réellement, le nouveau régime installé sur les décombre laissés par celui du clan Assad. On ne sait donc rien du sort qui sera réservé aux différentes minorités qui, aux côté d'une majorité arabe et sunnites, constituent le peule syrien. On ne sait donc rien de ce que deviendra l'émigration syrienne, sauf peut-être qu'elle sera à l'avenir constituée différemment de celle qui depuis des années arrive en Europe.

Il se passe donc pour les Syriens et les Syriennes quelque chose qui ressemble, mais en pire,à ce qui est en train de se passer pour les Ukrainiens. L'Union Européenne avait décidé, après l'agression russe de l'Ukraine,  d'accorder, dans ses 27 Etats membres et jusqu'au printemps 2024, une protection temporaire et un droit de séjour et au travail, sans examen individuel des demandes. La Suisse en avait fait autant et décidé d'accorder aux réfugiés ukrainiens le statut "S" de protection spécial, activé pour la première fois depuis les guerres de Yougoslavie dans les années '90 du siècle défunt... mais à bientôt trois ans du début de l'invasion russe de l'Ukraine et du départ pour l'étranger de dizaines de milliers d'Ukrainiens, la tendance en Europe est de plus en plus défavorable à un l'accueil de ces réfugiés de la guerre. En Norvège, où ils bénéficiaient d'un asile automatique  équivalant quasiment à la protection temporaire instituée par l'Union Européenne, les demandes d'accueil de personnes provenant de l'ouest de l'Ukraine sont désormais étudiées au cas par cas. En Hongrie, un hébergement n'est plus garanti qu'aux personnes venant de régions directement touchées par la guerre. En République tchèque, les réfugiés ukrainiens ne sont plus hébergés gratuitement que pendant trois mois. Au Pays-Bas, la municipalité d'Utrecht a fermé un vaste centre d'accueil pour protester contre le refus du gouvernement de créer suffisamment de places d'accueil. Le Danemark, l'Italie et la Pologne proposent que les Ukrainiens passent par le système des visas de travail ou d'étude, ou l'asile politique. Ailleurs, c'est l'insertion professionnelle des réfugiés ukrainiens qui est problématique : des permis de séjour temporaires les empêchent de trouver des emplois stables correspondant à leurs qualifications.

Partout en Europe l'extrême-droite a progressé. Et au-delà des divergences, des différences, des contradictions qui séparent les diverses formations de cet archipel politique, une phobie les rassemble, celle de l'immigration, et une obsession, celle de la "maîtriser" -euphémisme pour le rêve de la stopper. Et la Suisse ne fait pas exception : fin décembre 2022, le président de l'UDC, Marco Chiesa, demandait à la Confédération de renvoyer les demandeurs d'asile africains en Afrique. Aujourd'hui, ce sont les demandeurs d'asile syriens qu'on devrait renvoyer en Syrie. Et les Ukrainiens en Ukraine. Et laisser les Afghanes croupir en Afghanistan.

Mais puisqu'il y a permanence de la xénophobie, et progression de la xénophobie d'Etat, il doit y avoir permanence de la solidarité avec celles et ceux qu'elles ciblent. Nous aurons, donc encore et toujours, en 2025, à défendre le droit d'asile, les droits des migrants, la liberté de circulation -pas seulement celle des oligarques et des potentats, mais aussi, et d'abord celle des pauvres...

Et tant pis si nous sommes à contre-courant. D'ailleurs, être dans le courant, n'est-ce pas le destin des poissons morts ?

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