La Suisse, l'Europe, les Syndicats, l'UDC, le fond, la forme...
Écheveau de débats
"Ce 20 décembre
(2024) est un jour à célébrer", proclamait en édito "Le
Temps" du lendemain. Et pourquoi faudrait-il en faire une
célébration ? Parce que les négociations entre la Suisse et
l'Union Européenne ont abouti à un accord. Cela mérite-t-il
l'honneur que réclame le quotidien europhile ? La présidente
de la Confédération, Viola Amherd, juste avant de laisser
son titre à Karin Keller-Sutter, et de démissionner ensuite
du Conseil fédéral, affirmait que l'accord "est à l'avantage
des deux parties". Chacune, en effet, a lâché du lest :
l'UE sur la clause de sauvegarde et la limitation possible
de l'immigration en cas de besoin. De besoin de quoi ? La
Suisse telle qu'elle est n'avait guère le choix (il n'y a
que l'UDC pour croire qu'elle tenait le couteau par le
manche) : l'UE est son premier partenaire commercial (elle
absorbe la moitié de ses exportations, pour 137 milliards
chaque année), son premier investisseur, et elle fournit à
la Suisse une partie de la main-d'oeuvre qui lui manque,
grâce à l'immigration de travailleurs et aux centaines de
milliers de travailleuses et de travailleurs frontaliers.
Reste, évidemment, à faire avaler le paquet négocié au
parlement, puis à la population. Et ni les syndicats, à
gauche, ni l'UDC, à droite, n'en veulent -du moins, pour les
premiers, sous la forme et dans le contenu qui sera proposé.
Le débat est ouvert. Les débats, plutôt, en écheveau.
17'000 salariés,
ça ne pèse rien. Moins que rien, même. A peine toute la
population de Vernier ou Renens.
En proposant de découper l'accord avec l'Union Européenne en plusieurs objets, le Conseil fédéral veut augmente les chances de le voir au moins partiellement accepté par le parlement d'abord, le peuple ensuite. Or ce n'est pas gagné : deux semaines avant l'annonce de l'aboutissement des négociations avec l'UE, l'Assemblée des délégués d'Unia adoptait à l'unanimité un manifeste exprimant une position de principe différant à la fois de celle du Conseil fédéral et de celle de l'UDC. Unia, en effet, affirme son attachement à la libre-circulation des personnes autant que sa volonté de combattre la sous-enchère salariale et son engagement pour une Europe "démocratique et sociale où tous les travailleurs et les travailleuses ont les mêmes droits, peu importe leur origine ou leur nationalité. Unia considère en outre que la Suisse doit pouvoir reprendre dans sa propre législations les dispositions européennes qui sont plus favorables aux salariés que les dispositions suisses, notamment en matière de salaire minimum, de protection contre les licenciements, d'égalité salariale. Et Nico Lutz, responsable du secteur de la construction, résume : "Nous protégeons les salaires, pas les frontières", en rappelant au passage qu'"avant la libre-circulation, la main d'oeuvre étrangère avait moins de droits et était dans une situation extrêmement précaire", sous une pression bien plus forte qu'aujourd'hui.
Pour Unia,
l'accord défendu par le Conseil fédéral est porteur d'un
risque de démantèlement de la protection des salaires et
d'affaiblissement du service public. Les syndicats
contestent notamment les modalités prévues par l'accord pour
le remboursement aux travailleurs détachés en Suisse des
frais d'hébergement et de repas, qui seraient fixés selon
les tarifs de leur pays d'origine et non ceux en vigueur en
Suisse, où le coût de la vie est plus élevé que partout
ailleurs en Europe (sauf peut-être au Luxembourg...), d'où
une perte de revenu pour les salariés concernés, une
pression sur les rémunérations en Suisse et une concurrence
déloyale pour les entreprises suisses. Les syndicats
craignent en outre une libéralisation totale du marché de
l'électricité.
Le Conseil
fédéral affirme que tous les objectifs fixés dans le mandat
de négociation ont été atteints, mais tous les partis
politiques représentés au parlement ne sont pas
enthousiastes : l'UDC, évidemment, est opposée à l'accord
-pas pour défendre les droits des travailleuses et des
travailleurs en Suisse, mais par souverainisme, et les
socialistes exigent une meilleure protection des salaires et
du service public.
L'accord devrait être signé au printemps, puis soumis aux Chambres fédérales et mis en votation populaire, mais pas avant 2028 après la votation sur l'initiative de l'UDC "pas de Suisse à 10 millions d'habitants", votation qui risque fort d'intervenir après que la Suisse ait une population supérieure, mais qui, si elle aboutissait à l'acceptation de l'initiative et donc une remise en cause de la libre circulation des personnes, rendrait impossible toute acceptation d'un accord avec une Union Européenne.
En attendant, au
sein de la droite bourgeoise et du patronat, on s'inquiète.
Parce que l'"économie" en a besoin, d'un accord avec l'Union
Européenne. La "Tribune de Genève" titrait le 13 janvier :
"risque-t-on l'avenir des bilatérales pour 17'000 salariés"
concernés par la réglementation sur les notes de frais ?
C'est vrai que
17'000 salariées et salariés en Suisse, c'est rien. Moins
que rien. Juste toute la population des villes de Vernier ou
Renens.



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