Elections européennes : Une Europe très suisse...

 

La Suisse n'est pas membre de l'Union Européenne, et ne s'apprête pas à l'être, mais les élections européennes sont tout de même un enjeu aussi pour elle. Non-membre de l'UE, elle est cependant contrainte, non par des choix politiques mais par sa situation même (tous ses voisins, sauf le Liechtenstein, sont membres de l'Union, et trois d'entre eux en sont même membres fondateurs), à respecter des normes sur la définition desquelles elle n'a aucune influence directe. L'élection du parlement européen, le 9 juin (le jour d'un paquet de votations fédérale, cantonales, municipales en Suisse) ne sera donc pas sans conséquence pour la Suisse, ni ses résultats dans les pays voisins, où les sondages annoncent une progression de l'extrême-droite, toutes tendances et tous regroupements, contradictoires et concurrents, confondus, avec deux points forts en commun, deux obsessions partagées : la xénophobie et le fétichisme de la frontière. Ajoutez-y la tentation d'une partie de la droite traditionnelle de faire alliance avec cette nouvelle droite de la droite, et vous voyez sous vos yeux incrédules se dessiner un paysage politique très... suisse.

Une extrême-droite divisée, mais courtisée

Au parlement européen, l'extrême-droite est scindée en deux alliances concurrentes : l'ECR, dominée par le PiS polonais et Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, et l'ID, emmenée par le Rassemblement national français et la Lega italienne de Salvini. Ces deux alliances divergent notamment dans leur attitude à l'égard de Poutine, mais ont désormais en commun la xénophobie. Dès lors, les frontières se distinctions se brouillent entre elles et la droite traditionnelle, issue de la démocratie-chrétienne, regroupée dans le PPE (le premier groupe du parlement européen sortant avec 177 sièges, devant les sociaux-démocrates avec 140 sièges et les libéraux avec 105 sièges) dont l'aile la plus droitière n'exclut plus une alliance avec l'extrême-droite d'ECR (68 sièges) et d'ID (58 sièges). Le scrutin de juin pourrait, si les tendances notées par les sondages se confirment, accorder un quart des sièges à l'ensemble de l'extrême-droite, contre un cinquième (si on ajoute aux deux groupes de l'extrême-droite les douze élus du Fides hongrois de Viktor Orban) dans le parlement sortant. Cela fragiliserait l'alliance entre le PPE, les sociaux-démocrates et les libéraux qui structure le rapport des forces au sein de l’hémicycle européen, ce qui contribue à expliquer les tentations qui se font jour au sein du PPE de conclure une alliance, ou des alliances ponctuelles sur certains thèmes (dont l'immigration) avec au moins la partie la moins infréquentable de l'extrême-droite, celle de l'ECR (qui détient déjà une vice-présidence du parlement).

On a vu la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyden (issue du PPE) et la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, visiter ensemble, quasiment main dans la main, la Tunisie et l'Egypte, deux pays de transit de réfugiés devenus pays de stockage de ceux que l'Europe refuse, et l'exportation du traitement des demande d'asile telles que prévue par le Royaume-Uni, promue par Meloni être inscrite au programme européen du PPE (dont il faut désormais faire quelque effort de mémoire pour se souvenir qu'il est, à l'origine, une alliance de partis démocrates-chrétiens...)

En France, où 58 % des sondés annoncent que leur vote européen sera déterminé par des enjeux nationaux (et 42 % par l'enjeu européen), les élections européennes s'annoncent comme une sorte de référendum anti-Macron : c'est en tout cas ce à quoi appellent tant le Rassemblement National que la France Insoumise.  Et à quoi s'apprêteraient, selon un sondage de la mi-mai, 37 % des votants potentiels. Certes, RN n'appelle plus au "Frexit" (la sortie de l'UE), puisque l'opinion publique s'y refuse, mais il appelle tout de même à le "détricoter". Et de toute façon, sa tête de liste, Jordan Bardella, ne fait même plus semblant de prendre en compte l'enjeu européen : l'obsession du RN, c'est la présidentielle de 2027. Et de sommer Macron, contre toute pertinence et toute logique, de dissoudre l'Assemblée nationale si son parti perd, comme annoncé, l'élection européenne. Or celle-ci n'est pas une "élection de mi-mandat" à l'américaine, et son résultat n'aura aucune influence sur la composition du parlement français. Ni sur celle du gouvernement. Ni sur le fait que Macron restera président jusqu'en 2027, et ne pourra pas se représenter.

Face à la volonté du RN de faire de l'élection européenne un référendum national, le camp présidentiel met en valeur l'engagement européen de Macron, qui lui-même européanise, tant que faire se peut, la campagne de son camp. Et charge son premier ministre, Gabriel Attal, de faire campagne à sa place, sur le même thème : la "seule vrais question de cette élection (est): voulons-nous ou non appartenir à l'Union européenne ?". Or cette question n'est celle à laquelle les Français et les Françaises s'apprêtent, majoritairement, à répondre -ils seraient d'ailleurs largement majoritaires à y répondre "oui".

Et ailleurs en Europe ? La droite de la droite fait souvent conduire ses listes des figures que "le Monde" qualifie par euphémisme de "controversées" : l'ancien ministre polonais de l'Intérieur Mariusz Kaminski, présenté sur la liste du PiS, avait été condamné à deux ans de prison pour abus de pouvoir; la tête de la liste de l'Afd (Alternative pour l'Allemagne), Maximilian Krah, a été deux fois suspendu de son groupe au parlement européen, l'ID, pour soupçons de détournement de fonds et est lui-même sous enquête pour des financements chinois et russes; en Italie, le général Vannaci, candidat de la Lega de Salvini, a été suspendu par les autorités militaires pour avoir considéré que l'antifascisme n'avait plus aucun sens; en Hongrie, la tête de liste du parti de Viktor Orban (le Fidesz), l'ex-ministre de la Justice Judit Varga, a dû être remplacée en catastrophe par un second couteau, Tamas Deutsch, dont le programme est "pas d'immigration, pas de genre, pas de guerre" (sauf à l'immigration et au genre); en Espagne, c'est un ancien militant de la Phalange héritée du parti unique de Franco, Jorge Buxadé, qui conduit la liste de Vox; en Roumanie, l'Alliance pour l'Unité des Roumains a lancé sa liste à Târgoviste, la ville de Vlad l'Empaleur, le véritable Dracula... et en Slovaquie, la tête de liste du Parti national est ouvertement l'Homme de Moscou, et prône la partition de l'Ukraine...

Que du beau monde pour une élection que les sondages annoncent comme une victoire de l'extrême-droite dans les trois Etats voisins de la Suisse, avec pour elle dans chacun d'entre eux des scores qui tutoient ceux de l'UDC en Suisse : autour de 30 % en Autriche et en Italie, de 32 % en France... On voit de plus en plus mal pourquoi l'UDC se refuserait désormais à soutenir l'adhésion de la Suisse à l'Union Européenne : elle s'y sentirait bien plus chez elle, comme une tanche dans une eau de vase, que, par exemple, à Genève...

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