France : Tractations politiciennes et chaises musicales

 

Fumeuses fumées

Les Jeux Olympiques de Paris terminés, la "trêve olympique", qui fut réelle,  a pris fin du même coup. Et on en est revenu en France aux affres et aux atermoiements politiques d'avant l'ouverture de la parenthèse sportivo-festive, et d'après les Législatives. A l'heure où on scribouille, on ne sait pas si les cheminées de l'Elysée ont émis une fumée blanche et si Macron a choisi son Premier (ou sa Première) ministre. On est donc allé se coucher sans le savoir, à l'heure où les oiseaux commencent à pépier- On ne s'en est pas moins endormi du sommeil du juste (les injuste dorment-ils vraiment plus mal ?). Fumeuses fumées : la France n'a pas de Premier (ou Première) ministre, et pas de gouvernement, et alors ? Il (ou elle) ne sera pas de gauche, ou n'en sera plus dès sa nomination, et alors ? Il n'y a pas de majorité sur laquelle faire reposer un gouvernement, et alors ? La France a connu pire (y compris avec des gouvernements constitués), et aucune des démocraties voisines de la France (sauf la Suisse) n'a fait l'économie de tractations politiques souvent fort longues avant l'accouchement d'un gouvernement (il est vrai que dans aucune le parlement n'est réduit au rôle figuratif auquel le présidentialisme français réduit celui de la France).

Revenir à la base, à la source, au Souverain proclamé. A la démocratie, quoi...

Qu'a voulu le peuple français lors du second tour des élections législatives ? au moins deux choses: éloigner le Rassemblement National du pouvoir, sanctionner Macron et ses soutiens. Et au-delà ? Installer le Nouveau Front Populaire au gouvernement ? De toute évidence, Macron s'y refuse. Forcer à une grande coalition à l'allemande, entre la gauche "modérée" (modérée par qui ?), le centre et le morceau fréquentable de la droite, ou une petite coalition entre la gauche la moins à gauche et le "centre" le plus au centre ? Là, c'est la France Insoumise qui le refuse -or sans elle, il n'y a plus de Nouveau Front Populaire, seulement une résurrection de la gauche plurielle rouge-rose-verte de Jospin élargie au "centre". Une sorte de coalition à l'allemande. Fragile, incohérente, improbable. Condamnée. Autant nommer François Hollande Premier ministre. Ou invoquer l'article 16 de la Constitution, qui donne tout pouvoir au président...

Macron avait promis de nommer un (de toute évidence, pas une) Premier ministre avant l'ouverture, le 28 août des jeux para-olympiques. Et un budget doit sortir en septembre. Et il n'y de majorité ni pour l'un, ni pour l'autre.  Et il refuse, par principe autant que par calcul, de confier au Nouveau Front Populaire et à sa candidate, Lucie Castets, le soin de former un gouvernement. Parce que ce serait un gouvernement de gauche et qu'il n'en veut pas, et que ce serait un gouvernement minoritaire qui succomberait à une motion de censure du centre, de la droite et de l'extrême-droite, qui avaient commencé par proclamer ne pas vouloir d'un gouvernement comportement des ministres de la France Insoumise, puis, lorsque Jean-Luc Mélenchon a ouvert la porte à un gouvernement sans LFI (mais soutenu tout de même par LFI), ont proclamé ne pas vouloir d'un gouvernement de gauche, quel qu'il soit. Le prétexte de la présence de LFI au gouvernement étant tombé, les masques sont tombés avec : Macron va recruter un gouvernement qui, pour ne pas tomber, devra avoir besoin d'au moins l'abstention et si possible l'opposition du Rassemblement National à une motion de censure de la gauche. Bref, les clefs du nouveau gouvernement français, ce n'est Macron qui les détient, mais Le Pen. De toute façon, tant que les forces politiques françaises seront obsédées par l'élection présidentielle, elles seront incapables d'assumer le jeu du parlementarisme. Quant au Nouveau Front Populaire, il devrait constituer "à l'anglaise", un "cabinet fantôme" ("shadow cabinet"), un contre-gouvernement, avec une Première Ministre alternative et pour chaque ministère un.e ministre alternatif.ve au ministre en poste. Ce "cabinet fantôme" devrait tenir jusqu'aux prochaines élections nationales, soit la présidentielle, soit des législatives anticipées après dissolution.

La France Insoumise et le Rassemblement National, Mélenchon et Le Pen, sont au moins d'accord sur une chose : il n'y a qu'eux qui comptent. Eux deux, chacun des deux pour l'autre. A leur manière, ils reprennent de Malraux l'affirmation qu'"entre eux et nous, il n'y a rien" (Malraux parlait des communistes et des gaullistes). Et cette stratégie de face à face exclusif était alimentée par les media d'extrême-droite, notamment ceux du groupe Bolloré, les autres media se sentant contraints (ils ne l'étaient pas) de se positionner face aux falsifications de la fachosphère, ce qui ne pouvait qu'en renforcer l'audience, et faire passer l'immigration au premier rang des thèmes de débats alors que lors des élections européennes, c'étaient les questions du pouvoir d'achat, de l'inflation et des services publics qui dominaient.  Jusque dans le vocabulaire des media, des commentateurs et des acteurs politiques de droite et du "centre", on pouvait mesurer l'acquiescement ou la résignation à la montée d'une l'extrême-droite qu'on désignait d'ailleurs, comme l'exigeait le RN, de moins en moins comme telle,  alors qu'on n'avait aucune réticence à étiqueter le NFP comme "d'extrême-gauche"... Et finalement, on vit même Macron utiliser le qualificatif d'"immigrationniste" pour désigner la gauche -un terme inventé par Jean-Marie Le Pen et Bruno Megret dans les années '90...

Ce qui finalement arrangeait bien Macron et son camp, qui, en se présentant comme le "recours contre les extrêmes" (LFI et le RN) a sauvé sa place de "bloc central", capable de faire élire (même de peu) sa candidate à la présidence de l'Assemblée Nationale alors que, sur le papier, il aurait dû céder ce perchoir au Nouveau Front Populaire... qui a permis, grâce à des désistements systématiques de ses candidats arrivés en troisième position au premier tour des Législatives (une position que le camp présidentiel et la droite démocratique ont été incapables de prendre aussi clairement que le NFP)  à son camp de ne pas sombrer au deuxième tour, et de devancer le Rassemblement National en nombre de sièges (mais en restant nettement derrière le Front Populaire). Au parlement deux cordons sanitaires ont été tendus, l'un par la droite pour isoler la France Insoumise, l'autre par la gauche et une partie du "centre", pour isoler le Rassemblement National. Le premier a coûté la présidence de l'Assemblée au candidat du Nouveau Front Populaire (qui n'était pourtant issu de la France Insoumise mais du PC), le second a coûté la vice-présidence au Rassemblement National -et l'a même exclu du bureau de l'Assemblée.

 La démocratie, ce n'est pas seulement le processus électoral : c'est un processus de décision qui n'est le pouvoir du peuple que s'il peut l'exercer autrement qu'en élisant des représentants. C'est aussi des"corps intermédiaires", un mouvement associatif, des syndicats. Ce sont des droits politiques, sociaux, culturel. Et d'entre ces droits, il y a le droit de manifester et le droit de grève. C'est enfin un débat public constant. En France, aujourd'hui, les élections passées, il s'agit moins de savoir qui va être Premier ou Première ministre, qui va composer le gouvernement et sur quelle majorité ou quelle abstention complice il va pouvoir reposer, mais de savoir à quoi va ressembler le rapport de force social. Philippe Poutou, candidat du NPA canal historique, et du Nouveau Front Populaire (qui lui avait prudemment attribué une circonscription ingagnable, près de Carcassonne, avec un RN quasi assuré de la remporter (mais qui a tout de même été contraint à un deuxième tour), le résume bien :  "il faudra passer par des mobilisations sociales profondes, des victoires dans la défense des services publics, du mouvement féministe ou de la jeunesse, de succès dans les combats environnementaux (...), dans les solidarités avec les réfugié.es pour l'accueil et la régularisation". Un troisième tour des législatives, dans la rue et dans la société, en somme. Du populisme ? Peut-être -mais du populisme s’appuyant sur les mouvements sociaux et retrouvant, même malgré lui, ses racines originelles, russes et révolutionnaires... Revenir à la base, à la source, au Souverain proclamé, à la société.

A la démocratie, quoi...

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