La droite suisse contre le droit d'asile : L'air vicié du temps

La droite a imposé mardi dernier au Conseil national une session "extraordinaire" sur l'asile. Une session qui n'avait d'"extraordinaire" que d'avoir mis ce seul point à l'ordre du jour -il n'est en effet de session "ordinaire" lors de laquelle l'UDC, désormais suivie par le PLR et la droite du "Centre" (qui n'a sans doute pas entendu les appels du Pape à l'"hospitalité"), ne déroule ses obsessions xénophobes. Cette coalition a  réussi la semaine dernière à faire passer plusieurs motions durcissant encore les conditions de dépôt des demandes d'asile en Suisse, en invoquant une "urgence", un "afflux", une "vague" que les faits et les chiffres démentent : recul du nombre de requérants maghrébins dans les centres fédéraux après l'introduction d'une procédure accélérée, recul du nombre de dossiers en souffrances, recul du nombre de requérants, aucun "afflux" de femmes afghanes après l'assouplissement des conditions de leur octroi de l'asile, augmentation de la proportion d'Ukrainiens et d'Ukrainiennes sous statut S occupant un emploi et ne dépendant donc plus de l'aide sociale... Le Conseiller fédéral Beat Jans a dénoncé des "mesures prises à la hussardes, contraires à la Constitution", ce dont la droite de la droite se fout comme de sa première barrière à la frontière, et la gauche a réussi à repousser, avec l'aide d'une partie des centristes, la proposition de créer des zones de transit obligatoire aux frontières et celle d'exclure qu'une demande d'asile puisse être déposée par une personne ayant transité par un pays sûr, mais l'offensive xénophobe va se poursuivre -et donc, la nécessité d'y résister continuer de s'imposer. L'une est dans l'air vicié du temps, l'autre au coeur du combat pour les droits humains.

"personne n'a envie que les réfugiés soient reçus de manière indigne". Personne, vraiment ?

La Convention de Genève de 1951 accorde le statut de réfugié à toute personne "craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité (...) ou de ses opinions politiques". Elle est un héritage de la fin  de la guerre mondiale, et des trente millions d'Européens déplacés depuis la prise du pouvoir par les nazis -autrement dit : avant, pendant et après la guerre. Les réfugiés à qui elle accorde un statut sont donc d'abord, et au départ presque exclusivement, des réfugiés européens dans des pays européens, et elle ne s'appliquera à tous les réfugiés qu'à partir des années soixante et de la multiplication des conflits nés de la décolonisation -mais aussi de celui né de la création de l'Etat d'Israël et de l'exil de centaines de milliers de Palestiniens. L'histoire, décidément bégaie, quand elle charrie le pire.

L'accord de Dublin, qui détermine quel pays est responsable du traitement d'une demande d'asile comporte une "clause de souveraineté" qui autorise tout pays à traiter lui-même les demandes d'asile qui lui parviennent, plutôt que de renvoyer ce traitement au pays de "premier accueil" en y renvoyant les requérants d'asile (ce que la Suisse fait systématiquement à sa frontière sud, même si le pays où on les renvoie les traite comme du bétail). Encore faut-il pouvoir la déposer, la demande d'asile : la rendre possible dans les ambassades et octroyer les visas humanitaires y concourrait : la Suisse étant au centre de l'Europe, on ne peut y accéder sans passer par le territoire d'un autre Etat, sauf à envisager la téléportation, ou un vol aérien direct depuis le pays qu'on veut quitter, ce qui suppose que les autorités de ce pays acceptent ce départ.

Même le Conseiller fédéral socialiste en charge du dossier de l'asile, Beat Jans, s'y est mis : il a envisagé la possibilité d'"externaliser" (à l'étranger) les procédure d'asile, une pratique que le Conseil fédéral excluait encore en début d'année, mais qui aujourd'hui paraît au ministre "plus appropriée que de laisser les gens prendre le risque de se noyer en Méditerranée" (ou d'être, si elles survivent à leur traversée, humiliées, volées, violentées dans les camps où l'Europe les concentre). Il a toutefois insisté sur la nécessité de respecter l'Etat de droit et les droits humains. C'est bien le moins. Il est pour lui hors de question de tenter d'imiter la tentative du dernier gouvernement conservateur britannique d'envoyer les requérants d'asile au Rwanda pour que leur cas y soit traité : pour Beat Jans, les demandes d'asile traitées à l'étranger devraient l'être par du personnel de la Confédération, sur place. Mais le même Conseiller fédéral socialiste avait annoncé, en février, plusieurs mesures de durcissement des pratiques suisses du droit d'asile : multiplication des procédures express, gel de l'enregistrement des demandes le week-end...

Les personnes admises provisoirement en Suisse n'ont pas été déboutées du droit d'asile, quoi qu'en veuille faire croire l'UDC et, de plus en plus, le PLR : c'est la Conseillère aux Etats Petra Gössi qui proposait d'expulser les Erythréens et les Erythréen.ne.s "déboutés" dans un "pays de transit". Or les personnes admises provisoirement (permis F) le sont parce qu'il n'est pas possible de les renvoyer sans les mettre en danger... Quant au regroupement familial, il permet aux personnes admises en Suisse de retrouver les leurs en sécurité -et c'est ce droit, cet espoir, déjà mis à mal par les procédures, que l'UDC veut détruire, en proposant l'interdiction du regroupement familial  pour les personnes admises à titre provisoire, c'est-à-dire fuyant la guerre chez eux (cette proposition a été transmise au Conseil des Etats, qui l'a renvoyée en commission, après qu'un appel lancé par le PS pour protéger le droit d'asile  ait recueilli 120'000 signatures en 24 Heures ).

En 2023, la Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, alors en charge de l'asile, assurait qu'"indépendamment des arrimages politiques, personne n'a envie que les réfugiés soient reçus de manière indigne". Personne, vraiment ?  L'histoire bégaie. La droite suisse aussi.



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