"Retrouver l'amour des villes", "réinventer la ville" ?
Ce qui aliène et ce qui libère
On ne saurait trop vous conseiller de lire, qu'on adhère ou non à ce qui y est proposé, le beau texte de Patrick Boucheron dans le "Monde des
Livres" de vendredi, qui nous invite à "retrouver l'amour des
villes" (on l'aurait donc perdu ?), et de vous procurer le "hors
série" du "Monde", tout récemment paru, et dont le titre est à
la fois mot d'ordre et programme : "réinventons la Ville" (elle
en aurait donc besoin ?). Et la ville est aussi le thème central
des 27e Rendez-vous de l'histoire, à Blois, de mercredi à
dimanche prochains (www.rdv-histoire.com)
On y parlera et on parle ici de la ville, pas de la métropole,
moins encore de la mégapole. On en parle, ici, dans une ville
qui est devenue une République, une République qui est devenue
un canton, un canton qui n'aime pas ses villes -et moins encore
que les autres, celle qui lui a donné naissance. On en parle à
six mois d'élections municipales, dans un canton de Genève qui
encadre, enserre, désarme ses communes, et qui, au moment de sa
naissance. n'eut rien de plus urgent que d'abolir celle de
Genève, qu'il fallut une révolution pour rétablir. On parle donc
d'histoire et de politique, d'aménagement et de démocratie,
d'environnement et de démographie. Parler des villes, c'est
parler de tout, parce que la ville
concentre tout : les gestions et les crises, les servitudes et
les libertés, ce qui aliène et ce qui émancipe, l'air qui rend
libre et l'air qui rend malade.
"La ville est césure, rupture, destin du monde" (Fernand Braudel)
La ville, c'est le lieu du pouvoir -mais aussi
celui des contre-pouvoirs, de l'opposition au pouvoir, de sa
négation. Un lieu où siège le pouvoir et
où on l'assiège. Elle est certes, comme
le résume l'archéologue Jean Guilaine, "un concentré de
pouvoirs", "la tête d'où partent les décisions, les règles, les
lois", mais elle est aussi un concentré de révoltes, la "tête
d'où partent" les révolutions, l'espace où se dressent les
barricades et où s'installent les Cours des Miracles. C'est en
ville qu'agissent les gouvernants, même quand ils habitent
ailleurs, mais c'est en ville qu'agissent aussi les oppositions,
les régicides, les truands et les terroristes : "la ville est césure, rupture, destin du monde" écrit
Fernand Braudel, qui se fait lyrique pour proclamer que "c'est
là que le soleil de l'histoire fait briller ses plus vives
couleurs". Là ? en ville.
Les premières villes apparaissent il y a un peu plus de 5000 ans en Mésopotamie et en Egypte, 500 ans plus tard dans l'Indus, il y a 3000 ans en Chine. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, définit la ville ? elle "ne se définit pas plus par un seuil démographique qu'elle ne se distingue par la forme de son gouvernement ou de son cadre monumental. Ce qui la caractérise serait plutôt un certain rapport spatial entre la densité de l'habitat et la diversité de ceux qui la façonnent en l'habitant", propose de répondre Patrick Boucheron, posant ainsi la question de l'aménagement, de l'urbanisme, des prises de décision qui façonnent ce "rapport spatial" qui est au coeur de la densification. Et la densification n'est pas l'ennemi, tant qu'elle produit "une scène urbaine où se rapprochent les différences" (c'est toujours Patrick Boucheron qui parle) : l'ennemi, pour nous, ce doit être la séparation, la ségrégation... et l'étalement urbain, la rurbanisation... et le parasitage de la ville par une circulation qui n'est que "l'organisation de l'isolement de tous" (Internationale situationniste, août 1961).
Et puis, dans nos pays, la ville est un héritage
: celui d'un bâti inadapté au changement climatique et à
l'exigence de réduire la consommation d'énergies fossiles pour
réduire les émissions de CO2. Or il ne suffira pas de produire
des "écoquartiers" dans les friches industrielles ou
commerciales pour répondre à cette exigence -et à celle de
débarrasser l'espace urbain de ce qui le parasite, comme les
parkings et les voies de circulation où l'automobile est
prioritaire. Faut-il alors cultiver le rêve d'un nouveau modèle
de ville, de "nouvelles villes nouvelles" prenant la place des
"villes nouvelles" et des cités satellites d'il y a soixante
ans, des "cités-jardins" d'il y a cent ans, ou des "smart
cities" d'aujourd'hui ? On ne ferait alors, comme on le fait
depuis deux siècles, que remplacer de l'ancien par du neuf
n'attendant que de devenir lui-même ancien... comme il est
advenu à Paris des immeuble haussmaniens et à Genève des
imnmeubles fazystes...
La question, ici, est celle-ci : peut-on conjuguer urbanisme et démocratie -du moins, ambitions urbanistiques et procédures démocratiques ? On en a, ou on devrait en avoir, fini avec l'illusion de des "villes nouvelles". Derrière, au-dessus, des grandes réalisations urbanistiques, il y a en effet souvent (mais pas toujours) des pouvoirs autoritaires, voire tyranniques : Versailles naît de la volonté de Louis XIV, St-Petersbourg de celle de Pierre le Grand, le Paris de Haussmann de celle de Napoléon III. A l'inverse, le Lignon naît de la volonté politique d'autorités démocratiquement élues... et Brasilia de celle du président élu démocratiquement Juscelino Kubitschek, pour qui "après avoir campé pendant presque deux cents ans au bord de l'eau, le Brésil va prendre possession de son territoire"...
Il nous reste à reprendre possession du nôtre.
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