Votation du 24 novembre sur les cadeaux fiscaux à Genève : Une "classe moyenne" à 411'000 balles de revenu
Le 3 mai dernier, la majorité de droite du Grand Conseil adoptait au galop un projet de baisse d'impôts présenté par la majorité de droite du Conseil d'Etat à partir d'un projet de loi lui aussi issu de la droite (UDC, PLR, Centre, MCG, Verts libéraux). A défaut d'être fiscalement cohérent, tout cela l'est politiquement (les deux membres socialistes du gouvernement appellent d'ailleurs à refuser, le 24 novembre, dans les urnes, la proposition de la droite). La baisse d'impôts proposée, de 8,7 % en moyenne, va de 5,3 % à 11,3 % pour les ménages aux revenus imposables de 35'000 à 411'000 francs par an. Parce que pour la droite genevoise, avec 411'000 francs de revenu imposable par an, on est encore dans la "classe moyenne"... Le canton y perdrait 326 millions de ressources fiscales, les communes 108 millions, dont une cinquantaine pour la Ville de Genève. Les communes ont fait savoir qu'elles s'opposaient à cette baisse de leurs ressources induite par la baisse d'impôt, mais le Grand Conseil n'en a rien à cirer, des communes. Et s'il peut priver la Ville de Genève de 50 millions de ressources, il va pas de gêner, le Grand Conseil. Le peuple se prononcera le 24 novembre. On lui fera donc savoir que priver les communes de ressources, c'est les empêcher de créer des places de crèches, par exemple. Ou les contraindre à augmenter leurs impôts. Ou à réduire leurs prestations sociales. Ou à augmenter les impôts communaux et les taxes existantes, ou à créer des taxes nouvelles. Ou à faire payer celles et ceux qui jusqu'à présent ne payaient pas, parce qu'ils et elles ne peuvent pas payer. Sauf, évidemment, la TVA. Un impôt que tout le monde paie, y compris les bébés en couveuse et les subclaquants sous respirateur artificiel ... Pour le reste, 3300 contribuables s'acquittent certes de 67 % de l'impôt sur la fortune, mais un pourcentage presque deux fois moindre de l'impôt sur le revenu. Et c'est logique : la fortune est encore plus mal répartie que le revenu, et la proportion de contribuables sans fortune imposable bien plus importante que celle des contribuables sans revenu imposable.
La classe, la moyenne, la réalité sociale, la
clientèle électorale
La baisse d'impôts proposée par la droite genevoise (et dont un premier élément a déjà été refusé en votation populaire) devrait "profiter à tous". A tous, vraiment ? La Ville de Genève y perd 50 millions (c'est presque cinq fois la subvention qu'elle verse au Grand Théâtre), celle de Lancy y perd sept millions, celles de Vernier et de Carouge cinq millions... Ce sont bien les communes urbaines qui subiront le coup le plus dur porté par la contre-réforme fiscale" proposée par la droite. Or ce sont précisément ces communes qui ont le plus développé les prestations pour les catégories sociales qui en ont besoin. A quoi vont-elles renoncer pour compenser la perte de ressource que provoquerait l'acceptation des cadeaux fiscaux soumnis au vote populaire le 24 novembre ? à créer des places de crèches ? A accorder des aides sociales ? Ou alors, de combien de centimes additionnels vont-elles augmenter leurs propre impôts ? 50 millions, en Ville de Genève, c'est trois centimes additionnels de plus...
La droite genevoise élargie, distendue même,
prêche que son cadeau fiscal, c'est à la "classe moyenne"
qu'elle le fait. Elle va loin, et haut, la "classe moyenne",
pour la droite genevoise : pour moins de 600 contribuables
mariés ayant un revenu de deux millions de francs par an, c'est
un cadeau de plus de 15'000 francs. En ont-ils besoin pour
survivre ? Pour 335 personnes mariées dont les revenus dépassent
deux millions, le cadeau est presque de 68'000 francs -le cadeau
d'un SUV par année, en somme. Et d'un SUV tous les six mois pour
les contribuables célibataires à plus de deux millions. C'était
en effet indispensable... Et ça nous dit bien ce que la droite
(pas seulement genevoise) considère comme étant cette fameuse
"classe moyenne", qui n'est ni une classe ni une moyenne mais
une sorte d'agrégat pouvant former clientèle électorale. Parce
que pour le reste, quand il s'agit de la définir un peu
précisément, un peu rationnellement, cette "classe moyenne", on
patauge. Selon l'Office
fédéral de la statistique, qui la définit la classe
moyenne en fonction du revenu , elle comprendrait les
personnes ou les ménages dont le revenu se situe entre 70
et 150 % du revenu median, soit, en moyenne suisse et en
2020, entre 4000 et 8500 francs par mois pour une personne
seule, 8300 et 18'000 francs pour un couple avec deux
enfants (ajoutez quelques pourcent pour arriver à la
situation de 2024) . Et 60 % de la population suisse
ferait partie de cette "classe moyenne" -une proportion
serait assez stable. Mais des milliers de bénéficiaires
de la "réforme fiscale" proposée par la droite genevoise
au nom de la "classe moyenne" sont bien au-delà du revenu
maximum que l'OFS considère comme le "plafond", le
maximum, de la "classe moyenne".
Et si après tout on se contentait de définir
cette classe qui n'en est pas une comme l'ensemble des personnes
(ou des ménages, peu importe) dont les ressources propres
couvrent les besoins, par distinction de deux autres ensembles,
d'une part celui des personnes (ou des ménages) qui ne peuvent
couvrir leurs besoins par leurs propres ressources, et ont donc
besoin de la solidarité sociale pour survivre, et d'autre part
celui des personnes (ou des ménages) dont les ressources
couvrent non seulement les besoins, mais aussi les envies, et
permettent une épargne, une thésaurisation, des investissements
? une telle définition n'aurait certes rien de scientifique,
mais permettrait de nous extirper du fatras rhétorique nimbant
les références, voire les appels, à la "classe moyenne".
Les deux membres socialistes du gouvernement
genevois, Carole-Anne Kast et Thierry Apothéloz, rappelant
que "la justice fiscale est le socle sur lequel notre
démocratie doit s'appuyer pour corriger les inégalités
sociales", nous appellent à ne pas nous laisser "berner
par le populisme fiscal". Parce que quand on défend le salaire minimum, les
prestations et les aides sociales, la gratuité des transports
publics ou de l'accès aux prestations parascolaires, quand on
manifeste pour les travailleuses et les travailleurs de la
construction et pour l'amélioration de leurs salaires, de
leurs conditions de travail, la défense de leur santé et
de leur sécurité, ou (et) pour les vendeurs et les
vendeuses du commerce de détail, et contre la volonté de
les faire travailler trois dimanches par année, et une
heure de plus tous les samedis, ou (et) pour les
infirmières et les infirmiers, pour qui manifeste-t-on ?
Certainement pas
pour la "classe moyenne", dont dont on ne cesse de parler.
On manifeste pour une réalité sociale, la vraie vie des
vrais gens, pas pour un fantôme, un mot creux, un agrégat
statistique flou, un élément de discours obligé, une
clientèle électorale.
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