Initiative de la Jeunesse socialiste pour une taxation des successions et donations : Panique à tribord
La Jeunesse socialiste suisse a lancé et fait aboutir une initiative populaire pour une taxation à 50 % de toutes les successions ou donations de plus de 50 millions de francs, afin de dégager des ressources "pour lutter contre la crise climatique de manière socialement équitable". Un sondage Tamedia du début août ne lui accordait que 34 % de soutien auprès des près de 12'000 personnes interrogées (contre 58 % d'opposition), ce qui correspond à peu près au poids de la gauche (socialiste, verte et "radicale" dans l'électorat) mais si la disposition de l'initiative prévoyant qu'elle prenne effet dès son acceptation (pour éviter une "fuite des super-riches) était abandonnée, le pourcentage de personnes envisageant de la soutenir passerait à 41 %. Que selon les sondages l'initiative de la JS ne recueille le soutien que d'un tiers des personnes interrogées aurait pu rassurer la droite -mais il semble au contraire, pour reprendre le titre de la "Tribune de Genève" et de "24 Heures", que l'initiative fasse "paniquer le monde économique. Le texte n'est programmé dans aucune votation annoncée cette année, il n'a même pas encore été examiné par le parlement fédéral, mais jeudi dernier, un comité interparti de droite a tout de même lancé la campagne pour le refus d'une proposition (celle de la JS) qu'il présente en termes forcément apocalyptiques.
Nous aimons les riches. Comme le berger aime les moutons qu'il tond et le vacher les vaches qu'il trait.
Les "ultrariches" sont les premiers responsables
de la crise climatique et de la crise sociale. Il est donc
légitime de les faire contribuer à les résoudre. Or 80 % d'entre
eux, en Suisse, ne le sont pas devenus par leur propre travail,
mais en héritant d'une fortune. Comme le Comte brocardé par
Beaumarchais, ils ne se sont donné que "la peine d'être nés".
Les 50 millions qui font limite au-delà de laquelle s'applique
la taxation proposée par la JS, c'est l'équivalent de 941 ans de
travail au salaire minimum genevois. Et dans notre pays, 2500
personnes atteignent et dépassent cette limite. Si la taxation
proposée par la JS leur était appliquée, elle rapporterait entre
deux et demi et cinq milliards. La menace de les faire payer les
ferait-elle partir ? C'est l'hypothèse qu'agitent les
adversaires de l'initiative : un exode, des boat-people
milliardaires traversant le Léman et le lac de Constance. Ou
alors, des "super-riches" qui avaient l'intention de s'établir
en Suisse et y renonceraient. Sans doute pour s'installer à Gaza
ou au Groenland, une fois le programme de Trump appliqué.
"La richesse, c'est le pouvoir;
l'extrême-concentration des richesses, c'est l'extrême
concentration des pouvoirs. La capacité d'influencer les
politiques publiques, d'étouffer le concurrence, de façonner les
idéologies", rappelle l'économiste Gabriel Zucman. Et Bernie
Sanders félicite ironiquement autant qu'amèrement Elon Musk de
faire "un travail remarquable en montrant ce que nous soutenons
depuis des années - et le fait que nous vivons dans une société
oligarchique où les milliardaires dominent non seulement notre
politique et les informations que nous consommons, mais aussi
notre gouvernement et notre économie"... Parce que "ce que les
classes dirigeantes, tout au long de l’histoire, ont toujours
voulu et considéré comme leur appartenant de droit : plus de
pouvoir, plus de contrôle, plus de richesse. Et ils ne veulent
pas que les gens ordinaires et la démocratie se mettent en
travers de leur chemin. (...) Elon Musk et ses collègues
oligarques estiment que le gouvernement et les lois ne sont
qu’un obstacle à leurs intérêts et à ce à quoi ils ont droit.
(...) Aujourd’hui, les oligarques croient qu’en tant que maîtres
de la technologie et en tant que « personnes à QI élevé », ils
ont le droit absolu de gouverner. En d’autres termes, ils sont
nos rois modernes. Et ce n’est pas seulement une question de
force. C'est une richesse incroyable. Aujourd’hui, Musk, Bezos
et Zuckerberg possèdent une richesse combinée de 903 milliards
de dollars, soit plus que la moitié la plus pauvre de la société
américaine, soit 170 millions de personnes". Et la
multimillionnaire Marlene Engelhorn rappelait, au Forum
économique mondial de Davos de 2024 (elle n'y participait pas,
elle manifestait contre...) que "les cinq personnes les plus
fortunées du monde, toutes des hommes, d'ailleurs, ont plus que
doublé leur fortune depuis 2020. Dans le même temps, près de
cinq milliards de personnes, soit les 60 % les plus pauvres,
sont devenues encore plus pauvres".
La situation dans notre pays n'est, tout
proportion gardée, pas très différente (seule l'échelle se
rétrécit) : la part des richesses détenues par le pour-cent le
plus aisé est passée de 30 % vers 1975 à 42 % en 2018, 45 % en
2021 (et même bien plus dans certains cantons : 70 % à Nidwald,
50 % à Schwytz) , la part moyenne de la fortune détenue par le
pour-mille le plus riche a doublé, celle du pour-dix-mille a
plus que triplé, et dans dix-neuf cantons, la part de la fortune
détenue par le pour-cent le plus riche est plus élevée qu'aux
USA.
Avec un salaire (au sens large) de 14,4 millions
en neuf mois, le patron d'UBS, Sergio Emotti, a tout pour
figurer au nombre de 2500 "super-riches" suisses. Et sa
succession (ou ses donations) au nombre de celles que la JS
voudrait taxer. Ce qui ne ferait que reprendre ce à quoi Marlene
Engelhorn appelait, et ce qu'elle expliquait : "Il est normal
que l'argent soit taxé plusieurs fois. Sur votre salaire, vous
payez l'impôt sur le revenu; ensuite, si vous achetez quelque
chose, vous payez la TVA; et si vous buvez un verre de vin, vous
payez l'impôt sur l'alcool. Seules les plus grandes fortunes,
les héritages, ne sont pas imposés plusieurs fois. C'est tout
simplement injuste". On rappellera au passage qu'en Suisse, les
flux de capital, par exemple les dividendes, constitutifs d'une
grande partie des revenus des plus riches sont peu taxés, que
les gains en capital sur les revenus financiers ne sont pas
taxés du tout, que le taux moyen d'imposition de la fortune est
passé de 0,73 % en 1969 à 0,49 % en 2018, ce qui a encore accru
la part de richesse détenue par les plus riches.
Mais de grâce, que l'on cesse de nous accuser de détester les riches. Pure calomnie ! Nous aimons les riches. Nous super-aimons les super-riches. Comme le berger aime les moutons qu'il tond et le vacher les vaches qu'il trait.
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