Friture picrocholine à Piogre : Le parlement rue

On revient donc ici sur l'incident qui a clôt prématurément,la dernière séance du Conseil Municipal de la Ville de Genève -ou plutôt revient-on sur la rafale de commentaires contristés qu'il a suscité, dont ceux du rédacteur en chef de la Tribune de Genève et de l'animateur multicarte des salons où l'on cause de politique genevoise, l'un et l'autre faisant assaut de prêches en faveur de la neutralité politique des parlements et de l'asepsie des débats auxquels ces bons esprits voudront bien consentir à laisser les parlementaires se livrer. « Le parlement n'est pas la rue », nous pontifie l'un d'eux. Il en est pourtant bien l'aboutissement, comme l'Agora. Ce qui vaudra toujours mieux que l'être comme un cimetière. Le parlement n'est pas la rue mais le parlement rue s'il est vivant.
Comme doit l'être la politique, en démocratie.


L'Agora des gorets

Mercredi dernier, une séance du Conseil Municipal de Genève a dû être levée après qu'un conseiller municipal MCG ait, dans un débat qui portait sur tout autre objet que celui-là, accusé ses collègues de gauche de se livrer à une « propagande camouflée pour les pédophiles » en affichant leur soutien à une campagne contre l'homophobie -campagne soutenue par le Ville de Genève. Embrayant sur les vitupérations èmecégistes, quelques sagaces commentateurs des picrocholineries politiques genevoises ont cru bon de regretter que les élues et élus de gauche n'aient pas renoncé à s'associer visiblement à une campagne soutenue par la municipalité dont elles et ils sont les élu-e-s, puisque cette association à cette campagne avait eu le malheur de déplaire à un élu MCG, lequel, jamais désavoué par son  groupe et sans que nul ne lui en tienne rigueur, ni n'exige de lui qu'il exprime le moindre regret de l'injure faite à la fois à des personnes et à l'intelligence, assimila les homosexuel-le-s à de pédophiles et annonça son intention d'arborer une croix gammée puisque la gauche arborait sa dénonciation de l'homophobie ? Quelle «provocation» (et une « provocation » de qui, sinon des homophobes ?) peut-on commettre lorsque l'on apporte son soutien à une campagne contre l'homophobie (ou le racisme) ? Sans doute le même genre de « provocation » que l'on reprochait naguère à ceux qui dénonçaient l'antisémitisme, à la fureur des antisémites, que l'on sommait leurs adversaires de ne pas «provoquer»... ou que l'on reproche à ceux qui militent en faveur de la reconnaissance du génocide des Arméniens, et à qui l'on reproche de « provoquer » le gouvernement turc...

Dans les commentaires qui ont ponctué cet épisode municipal, la pédanterie ne le dispute parfois qu'à l'amnésie : « l'enceinte du Délibératif n'est pas un lieu de manifestation », assène le rédac'chef de la Tribune de Genève. Mais qu'est-ce donc, alors, que cette enceinte que la « Julie » voudrait sacrée, sinon ce qu'en feront celles et ceux qui y ont été élus (et non ceux qui glosent sur elle du haut de leurs éditoriaux) ? et de quoi devrait-elle être le lieu, pour complaire à quelques marchands de sommeil politique ? et quel parlement digne de ce nom, et donc de la qualité démocratique qu'on lui attribuera (ou non), a-t-il jamais été préservé des affrontements verbaux (voire plus, si manque d'affinités) ?
S'agissant plus précisément, et plus localement, du MCG, n'y-a-t-il pas quelque avantage pédagogique à laisser ouvertement, publiquement, s'exhaler le racisme, la xénophobie, le machisme et l'homophobie qui l'imprègnent ? Un Conseil Municipal, ni quelque parlement que ce soit, n'est pas une chambre froide. Les parlements, ici et maintenant comme ailleurs ou hier, sont ce qu'était l'Agora athénienne. Y interdire, y censurer, en exclure ce qui se dégueule dans la société qui élit ce parlement n'est pas seulement illusoire, mais aussi, et surtout, malsain : ce qui fermenterait alors dans la clandestinité  -ou du moins la dissimulation contrainte- serait pire que ce qu'on laisserait au plein jour. Pensez à ces tragiques « faits divers », où l'on ne s'aperçoit qu'après des semaines, parce que l'odeur en a envahi tout l'immeuble, qu'un cadavre se décompose dans un appartement... il y a des délires qu'il faut laisser voir et entendre pour pouvoir les combattre -et il nous est infiniment plus utile que le MCG puisse être vu et entendu tel qu'il est plutôt que l'obliger à se contenir (au fait, cela vaut aussi pour nous...) et à ne plus se ressembler...

D'ailleurs, empêchez les gorets de l'Agora de couiner, vous les entendrez geindre dans toute la République plus bruyamment encore que dans les parlements où ils ont été élus. Mieux vaut dès lors laisser sourdre leur naturel : ainsi sera-t-il plus visible, et plus dérisoire sera leur défroque de «  mal-pensants », alors que nul n'est plus qu'eux dans le courant d'un temps d'inculture et d'amnésie, de racisme, de xénophobie et d'homophobie dont ils ne sont après tout que les plus exemplaires produits...

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