Ouverture nocturne des « shops » : La guerre de la saucisse est déclarée

Le référendum contre la nouvelle loi sur les « shops » (magasins liés aux stations-service sur les autoroutes) ayant abouti, on votera dimanche sur la modification de la loi sur le travail, autorisant les «shops» des grands axes routiers  à occuper des travailleurs le dimanche et la nuit, pour vendre tout ce qu'ils peuvent. La droite a lancé le 28 juin sa campagne avec pour slogan, hautement proclamé par le Conseiller national Christhihan Lüscher : « légaliser les saucisses à rôtir »... notez bien qu'on ne voit en effet pas pourquoi on ne légaliserait pas des saucisses, puisqu'on peut en élire. Et qu'il y a des élus pour considérer que rien n'est plus important que de pouvoir faire ses courses 24 heures sur 24, jour fériés compris, à une station-service d'autoroute, et qu'un immense besoin de salades et saucisses fraîches étreint les automobilistes sur les autoroutes suisses entre une et cinq heures du matin...

Jour du Seigneur, de la saucisse ou de repos ?

L'association des exploitants de stations-services (l'AESS) n'y va pas par quatre chemins de traverses pour tenter d'ameuter la clientèle en faveur de la loi qui leur permettrait d'ouvrir quand ils veulent pour vendre ce qu'ils veulent à qui en veut  : elle fait afficher dans les « shops » une affichette proclamant que le refus de cette loi les forcerait à « supprimer des emplois». On ne voit évidemment pas pourquoi tel serait le cas, puisque le refus de la loi ne ferait qu'entériner le statu quo sans le péjorer pour les « shops », mais il semble que l'on s'achemine résolument vers une argumentation de franche poilade : après l'appel à « légaliser les saucisses », l'alarme aux licenciements massifs. Et « Monsieur Prix » y va de sa rengaine consumériste : il faut adapter les horaires des magasins aux nouvelles habitudes de consommation, pour annuler le désavantage concurrentiel par rapport aux pays voisins. C'est vrai, ça : on sait bien que sur les autoroutes suisses, des masses d'automobilistes qui ne peuvent pas s'acheter une saucisse à une station service n'hésitent pas à prendre le premier échangeur à deux heures du matin pour aller s'en payer une sur une autoroute française, italienne, allemande ou autrichienne. Et que c'est pour ça que le petit commerce suisse périclite et que les prix augmentent. Heureusement que la Fédération romande des consommateurs et consommatrices tempère ce délire : « les habitudes des consommateurs ont changé, mais l'idée d'un commerce juste, avec des salaires équitables et des conventions de travail nous est chère ». A nous aussi. Et tant pis pour les salades et les saucisses nocturnes sur les autoroutes !

Actuellement, les « shops » peuvent vendre entre une et cinq heures de matin des produits de « consommation immédiate ». Mais ça ne leur suffit pas. Ils veulent pouvoir vendre aussi dans cette partie de la nuit ce qu'ils peuvent vendre avant une heure et après cinq heures. Le besoin de la clientèle est à peu près nul, l'utilité pour les commerces en questions parfaitement illusoire, mais les partisans de la nouvelle loi (dont le Conseiller fédéral Schneider-Ammann, pour qui elle « répond aux vœux de la clientèle », font comme si les masses populaires trépignaient d'impatience en attendant de pouvoir s'acheter des saucisses à trois heures du matin dans 20 à 30 magasins pour toute la Suisse, et comme si le chiffre d'affaire des shops allait exploser (et avec lui l'embauche de personnel -lequel, soit dit en passant, est dans ce secteur particulièrement mal payé et mal protégé...) grâce à la vente de salades les jours fériés et de saucisses au milieu de la nuit. Dire qu'on se fout du monde, là, est encore un euphémisme : en fait, on prend carrément le citoyenne pour un con et la citoyenne pour une conne.

Pour la gauche et les syndicats, la santé et la protection des travailleurs (dans le cas précis, essentiellement des travailleuses...) sont au coeur de l'enjeu. Certes, la modification de la loi ne s'appliquerait qu'aux magasins «situés sur les aires des autoroutes ou le long d'axes de circulation importants », et les cantons resteraient compétents pour fixer les horaires de nuit des station-services, mais ce serait une brêche dans le dispositif de limitation des heures d'ouverture des magasins, limitation dont la fonction est précisément la protection des travailleuses et des travailleurs. Les syndicats redoutent, et nous avec eux, une « prolifération incontrôlable » de « shops » ne correspondant à aucun besoin réel (les besoins existants sont plus que largement couverts par les « dépanneurs », ces petits commerces déjà ouverts quasiment 24 heures sur 24 et 365 jours par an), et voient dans la nouvelle loi un début de généralisation du travail dominical et du travail nocturne (ce que semble confirmer l'engagement de Coop et de Migros dans la campagne aux côtés des partisans de l'ouverture nocturne des « shops »), dans un secteur où déjà les emplois sont le plus souvent précaires (temporaires, sur appel) et à temps partiel.  Trois propositions allant dans le sens de l'extension des horaires d'ouverture des magasins (et donc de travail de leurs employés) ont déjà été acceptées par les Chambres fédérales : celle du PDC tessinois Lombardi qui contraindrait les cantons à prolonger les horaires des commerces, celle du PLR Abate qui étend les possibilités de travail dominical, et celle des Verts libéraux qui veulent lever les restrictions d'horaires pour tous les petits commerces.

Le vote du 22 septembre est ainsi un nouveau test sur la «libéralisation» des horaires d'ouverture des commerces. On a gagné presque tous les précédents (dix sur douze), on doit aussi gagner celui-là. Parce que derrière se profilent des propositions qui remettent sur le tapis l'ouverture de tous les magasins le soir, le dimanche et les jours fériés. Et qu'on n'en veut pas. Pas pour garder au Seigneur le Jour du Seigneur, mais pour ne pas le fourguer aux seigneurs des souks.
Pour se garder un jour pour  faire mieux que se consumer en consommant...

Commentaires

Articles les plus consultés