Forfaits fiscaux : la droite s'inquiète...

     Et si la Suisse allemande votait à gauche ?

Le 30 novembre, en même temps que les Suisses se prononceront sur une initiative fédérale demandant l'abolition des forfaits fiscaux, les Genevois en feront autant d'une initiative cantonale faisant la même proposition. Heureuse coïncidence (dont il faut remercier le gouvernement genevois, puisque c'est lui qui décide de la date des votations cantonales). Et à droite, on s'inquiète. Pas seulement de cette coïncidence, mais surtout du risque de voir une majorité populaire soutenir l'initiative fédérale, grâce à un vote alémanique de droite s'ajoutant au vote national de gauche. Parce que les forfaits fiscaux sont un peu une spécialité romande, qu'ils sont réservés aux étrangers, et que les spécialités romandes et les étrangers n'ont pas en ce moment une grosse cote d'amour en Alémanie. Une initiative de gauche approuvée grâce aux Suisses-allemands de droite ? En attendant cet heureux événements, il convient de se mobiliser ici aussi pour l'abolition d'un privilège absurde, indéfendable en principe et improductif en réalité...

Il fut un temps où l'illégalisme était la posture des anars, le voila devenu celle des patrons...

A Genève, les contribuables imposés « d'après la dépense » (c'est-à-dire bénéficiant d'un forfait fiscal) ne versent qu'environ 115 millions d'impôt dans les caisses du canton et des communes (plus 54 millions au titre de droits de succession, qu'on n'a pas osé abolir pour eux quand on les a aboli pour les contribuables «normaux »). Autrement dit, ces contribuables paient beaucoup moins au fisc que s'ils étaient imposés comme les autres contribuables, conformément au principe de l'égalité devant l'impôt.  Ils étaient 710 contribuables étrangers sans activité professionnelle en Suisse (seule cette catégorie de contribuables peuvent être mis au bénéfice du forfait fiscal), à jouir à Genève du privilège que les deux initiatives soumises au vote le 30 novembre demandent d'abolir. Ce privilège est d'ailleurs une spécialité latine : aux 710 forfaitaires genevois de 2012 s'ajoutaient notamment 1396 vaudois, 1300 valaisans (dont 280 rien qu'à Verbier), 877  tessinois. Ailleurs en Suisse, ce statut est beaucoup plus rare : 211 bénéficiaires à Berne dont (90 % sont concentrés à Gstaad...), 268 aux Grisons. Cette rareté en a facilité l'abolition dans plusieurs cantons (Zurich, Bâle-Ville, Bâle-campagne, Shaffhouse, Argovie) et fait aujourd'hui craindre aux partisans du maintien de ce privilège que ce maintien soit trop faiblement défendu en Suisse alémanique pour empêcher son abolition. Cette abolition a d'ailleurs déjà été ratifiée dans plusieurs cantons alémaniques (Zurich, les deux Bâle, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-extérieures), et l'hypothèse qu'elle le soit au plan fédéral a incité le gouvernement et le parlement à durcir un peu (un peu seulement, le moins possible, juste ce qu'il faut pour pouvoir dire qu'on a fait quelque chose et le présenter comme contre-projet indirect...) les conditions d'accès à ce privilège fiscal : le seuil de base pour y accéder à été rehaussé. Mais cette mesure ne prendrait effet qu'à partir de 2016, et ne serait pleinement effective qu'en 2021...

L'article constitutionnel proposé par l'initiative fédérale est d'autant plus inquiétant pour les partis de droite (c'est le président du PDC qui coordonne la campagne contre l'initiative de La Gauche) et pour les organisations patronales (c'est la Chambre de commerce qui coordonne la campagne cantonale à Genève) qu'il ne propose pas seulement l'abolition des forfaits fiscaux, mais rendrait (soyons optimistes : rendra...) illégaux tous « les privilèges fiscaux des personnes physiques ». On ne s'en prend donc pas seulement à un privilège particulier, à un bricolage fiscal spécifique, mais à tous les privilèges fiscaux des personnes physiques, comme ceux accordées, en pourcentage du revenu, aux dirigeants d'entreprises. On mesure dès lors l'inquiétude qui taraude les syndicats patronaux, confrontés à une offensive menée au nom d'un principe simple, et déjà posé dans la constitution fédérale : l'égalité devant l'impôt. Un principe simple,  et donc dangereux, du moins si on le respecte et l'applique -l'initiative fédérale de La Gauche et l'initiative cantonale genevoise du PS ne demandant finalement rien d'autre que ce respect d'un principe constitutionnel. Et la droite, finalement, ne se battant pour rien d'autre que pour son irrespect..

L'illégalisme, décidément, n'est plus ce qu'il était : il fut un temps où il était la posture des anars, le voila devenu celle des patrons. Mondo cane... D'ici à ce qu'on prenne le siège des syndicats patronaux pour un repaire de rebelles, il y a évidemment encore de la marge -mais dans cette marge, on pourra toujours se réfugier pour ricaner doucement lorsque les mêmes patrons qui défendent une anticonstitionnalité qui les arrange se plaindront de l'illégalité d'une grève qui les dérange...


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