Rénovation et extension du Musée d'Art & d'Histoire de Genève : Comment jouer un musée au poker

   

En aboutissant,  au Conseil Municipal, de la Ville de Genève, le débat sur la rénovation et l'extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève pouvait-t-il prendre forme politique, ou en rester là  où il vagissait depuis des mois ?


On est donc partis droit dans le mur d'un référendum périlleux, ou le poujadisme anticulturel, pour qui toute dépense pour une institution culturelle est forcément excessive, le disputera à l'opposition au projet Nouvel-Jucker d'extension du MAH. Que ce projet (ou ce qu'il en reste) succombe ne serait d'ailleurs qu'une péripétie : le plus grave serait que la rénovation du musée, et donc, vu l'état où il est, le musée lui-même, sombre avec lui -sans que jamais ait été vraiment débattu, et jamais véritablement contesté, le projet culturel qui, seul, peut justifier l'investissement demandé pour l'extension du MAH. Or en liant les deux enjeux, la rénovation indispensable et incontestée, et l'extension, certes utile mais contestée, on imposera à  la première le sort que le corps électoral, puisque référendum il y aura, risque fort d'infliger à  la seconde. Le "paquet ficelé" de la rénovation et de l'extension relève d'un jeu de poker politique dont l'enjeu est le musée lui-même...


En prenant la rénovation en otage de l'extension, c'est le musée lui-même qu'on prend en otage...
 

Un référendum a d'ores et déjà  été annoncé contre le crédit nécessaire à  la réalisation du projet d'extension du Musée d'Art et d'Histoire de Genève (mais aussi contre sa rénovation, s'il n'y a pas dissociation de cette extension et de cette rénovation). Ce référendum a toutes les chances d'aboutir, et d'être finalement victorieux, parce qu'il additionne des oppositions contradictoires, toutes minoritaires mais qui, cumulées, ont de grande chance d'être majoritaires, alors que les défenseurs du projet n'ont à  tenir que le discours du projet lui-même. Or le projet voté par le Conseil Municipal est ce paquet ficelé où la rénovation du musée, que personne ne conteste, est indissociable de son extension, qui elle est contestée, le référendum lancé contre l'extension le sera aussi contre la rénovation. Cette prise en otage de la rénovation par l'extension risque bien de la couler avec l'extension, au terme d'un débat public où les arguments de fond resteront précisément au fond, noyés par le poujadisme anticulturel et le discours comptable...

Tant  que l'opposition au projet Nouvel-Jucker était minoritaire, portée par des défenseurs du patrimoine et des opposants au "partenariat" avec la Fondation Gandur, elle avait la séduction de David face à  Goliath. La coalition des oppositions populistes, avaricieuses et fétichistes n'a pas cette séduction -mais elle gagne en efficacité, du fait des erreurs et des arrogances des partisans du projet : à  vouloir forcer le passage pour l'extension en prenant la rénovation en otage, ils ne donnent pas vraiment l'impression d'une adhésion convaincue et convaincante à  un projet muséal et à  un contenu culturel novateurs, même si la co-présidente du Cercle de soutien au projet, Charlotte de Senarclens, assure qu'"en  dehors du fait que le projet architectural me plaît, c'est l'usage que l'on  en fait qui m'importe" -or on est toujours
dans l'attente d'un véritable projet scientifique et culturel, et on est toujours nourris de grandes généralités consensuelles, juste un peu au-dessus du niveau d'insignifiance des discours convenus sur une
"ouverture vers la cité et le grand public" qui n'est pas plus contestée que la rénovation du musée .

Le projet Nouvel-Jucker ne mérite sans doute ni l'honneur dont on le pare ni l'indignité dont on l'accable et, quoi que l'on  en pense, il vaut sans doute mieux le combattre pour le projet muséal qu'il signifie que le laisser succomber médiocrement face à  une coalition du populisme "anticulturel", du chipotage avaricieux et du fétichisme patrimonial. Il mérite un débat, et donc une opposition, sur son contenu plus que sur son contenant, son coût et ses sources de financement. Il mérite un débat sur la politique muséale qu'il matérialise. Il mérite un vrai débat de politique culturelle. Avec quelques idées, quelques propositions, quelques pistes pour faire de ce musée autre chose que la seule modernisation de ce qu'il est déjà . Il mérite un débat qui n'aura sans doute pas vraiment lieu, mais qui serait pourtant la condition pour que, dans les urnes, une majorité se dessine pour soutenir un projet qui en vaille la peine par son contenu, avant que d'être vanté pour son contenant.
 

Quant au coût du projet et à  son mode de financement (le fameux "partenariat public-privé"), on dira que si le projet en valait la peine, on ne perdrait pas notre temps à  contester son financement puisqu'il est assuré. La Convention passée avec la Fondation Gandur pour l'Art ? On a déjà  eu l'occasion de dire et d'écrire ce qu'on en pensait : qu'une convention n'est pas immuable, que celle-là  doit être renégociée, et que cette renégociation (et l'approbation de son résultat par le Conseil municipal) peut même être posée comme une condition de la libération du financement public. Le patrimoine, la préservation de l’œuvre de Camoletti ? On y tient autant que ses défenseurs -mais elle n'est un obstacle qu'à  la réalisation d'un projet particulier d'extension, le projet Nouvel-Jucker, pas à  cette extension en tant que telle : les plus fervents défenseurs du patrimoine admettent d'ailleurs qu'il puisse être atteint par des projets dont la qualité, formelle et fondamentale, justifierait cette atteinte, en valant plus que ce qu'ils modifient. Or les défenseurs du projet Nouvel-Jucker ont beau le vanter avec des trémolos gorgés de lyrisme, on s'autorisera à  nourrir quelques doutes sur sa capacité à  faire du bâtiment de Camoletti ce geste architectural exemplaire que peuvent signifier quelques musées construits ces vingt dernières années -mais le plus souvent construits ex nihilo, non à  partir de musées existants...

Finalement, le seul argument qui nous a convaincu (mais on était bien fatigués...) de voter telle qu'elle nous était présentée, ficelée, la proposition du Conseil administratif et de la majorité de la commission était qu'il fallait que le Conseil Municipal l'accepte, cette proposition, pour que, référendum aidant, le peuple puisse se prononcer. Mais si cette motivation dit quelque chose de notre conception de la démocratie, elle ne dit rien du contenu du projet, et elle admet comme acquise (par une décision majoritaire du Conseil municipal) la démarche politiquement suicidaire consistant à  ficeler la rénovation et l'extension, au risque vraisemblable de les couler ensemble. Délier la rénovation et l'extension, c'était sans doute sauver la première. Une rénovation sans extension (parce que sans l'apport financier privé lié à  l'extension) coûterait plus cher (80 millions au lieu de 60 millions) à  la Ville ? Sans doute. Mais au moins elle se ferait. Et rien ne coûterait plus cher à  la Ville qu'un musée qu'il faudrait fermer parce qu'il commencerait à  tomber en morceaux sur ses visiteurs et son personnel.

La parole sera donnée au peuple, et c'est une excellente chose. Mais pour que cette parole ait un sens, il faudrait qu'elle soit donnée sur ce qui est contesté, et sur cela seulement. Or la rénovation n'est pas contestée... En la prenant en otage de l'extension, c'est bien le musée lui-même qu'on prend en otage, et le débat que l'on fausse.

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