Le tube de l'été : burqa, burkinis et ramdam


L'indigence à la une

L'été, le ridicule ne tue pas. Ni sur les plages, ni dans les media. Depuis les années soixante, les "tubes de l'été" se caractérisent par leur totale indigence. Celui de cette année en nos contrées ne faillit pas à la règle. Or donc, on votera en Suisse sur une initiative populaire lancée depuis l'extrême-droite par un comité (le même qui avait fait aboutir l'initiative interdisant les minarets) où se mélangent harmonieusement udécistes, intégristes catholiques et fondamentalistes protestants, unis pour proposer d'inscrire dans la constitution fédérale une norme relevant de règlements municipaux : l'interdiction de se masquer le visage dans l'espace public. Une interdiction de principe, qui permet de rendre conforme à la légalité ce qui est l'intention initiale des auteurs de l'initiative :  l'interdiction de l'empaquetage
à prétexte religieux (la burqa ou le niqab) des femmes musulmanes. La récolte de signatures pour cet texte n'est pas terminée, mais vu l'ambiance générale, il ne fait aucun doute qu'il obtiendra facilement et largement les 100'000 signatures valides nécessaires et que dans deux ans, on pourra se lancer dans un débat de derrière les fagots des bûchers pour hérétiques et infidèles. Ajoutez-y la polémique délirante lancée en France par quelques municipalité (de droite de la droite, pour ne pas dire pire) sur la présence de femmes en "burkini" sur les plages publiques ("d'un fait divers, on a fait une affaire d'Etat", résume la sénatrice écolo Esther Benbassa), et vous aurez le tableau presque achevé (pour la touche finale, voyez la question fondamentale du porc dans les menus des cantines scolaires) de nos ramdams (de l'arabe "Ramadan") estivaux.
"une liberté n'est pas une liberté si elle demeure au service de l'Etat, de la morale ou de la loi" (Max Stirner)

La question qui sera posée (sans l'être explicitement, mais peu importe, elle sera dans toutes les têtes) par l'initiative "anti-burqa" de l'extrême-droite, c'est celle de l'instauration d'un dispositif légal motivé (par et pour ses au
teurs) non
par le combat pour la laïcité, ou la liberté des femmes. mais par la "lutte contre l'islamisation". Un dispositif qui vise à punir non pas ceux qui imposent la burqa aux femmes, mais à punir les femmes à qui cet empaquetage est imposé. L'initiative va aboutir sans problème (le bouillon d'inculture dans lequel elle mijote est assez copieux pour y suffire largement), et a toutes les chances d'être acceptée par le bon peuple, qu'on va distraire avec cette foutaise pour mieux l'entuber avec tout le reste (les attentats djjhadistes plombant assez lourdement l'ambiance pour que toute proposition fardée d'un semblant de "résistance à l'islamisme" puisse y prospérer). Et pendant qu'on s'échauffe sur la burqa ou le burkini, business as usual : avec les Etats du Golfe, l'Arabie Saoudite représente plus de 60 % du milliard et demi de francs des exportations suisses d'armes et de matériel militaire... et interdire la burqa, c'est tout de même plus facile que renoncer à armer les wahhabites, ou à leur vendre des villas de luxe, pieds dans l'eau du Léman.
 

Ce qui distingue un système politique et social de liberté d'un système totalitaire est le rapport,  dans la loi et dans la réalité, de l'interdit et de l'autorisé. Dans un système de liberté, tout ce qui n'est pas explicitement interdit est autorisé -autrement dit, la règle est la liberté, l'interdiction est l'exception. Dans un système totalitaire, tout ce qui n'est pas explicitement autorisé est interdit -autrement dit : l'interdiction est la règle, la liberté est l'exception.
Entre les salafistes et les croisés, il y a un monde de l9ibertés individuelles (et collectives) que ni les uns, ni les autres ne sont capables d'appréhender. Pas plus que ceux (et celles) pour qui ceux (et celles) qui ne sont pas dans leur camp sont forcément dans celui de leur adversaire. Ceux pour qui la laïcité est forcément islamophobe. Et en face, ceux pour qui ne pas faire de l'interdiction de la burqa ou du burkini le combat du siècle est forcément le signe de la collaboration avec l'Infâme (toujours à écraser). 


Mais tout de même : d'interdiction de la burqa et du niqab en interdiction du burkini, ou du foulard, c'est une bien étrange conception de la laïcité qu'on voit à l'oeuvre,  qui attend du politique qu'il définisse le religieux (comme naguère le religieux prétendait définir le politique), trie ce qui est religieux de ce qui ne l'est pas, et d'entre ce qui est religieux ce qui est reconnu, institué, de ce qui ne l'est pas... Au moins les délirants de "Riposte Laïque", s'ils ont gardé ce qualificatif avec lequel ils n'ont plus rien à faire, délivrent clairement leurs messages de croisés obsessionnels : éradiquer l'islam et les musulmans. C'est le discours du "Pilori" ou de "Je Suis Partout", dans lequel on s'est contenté de remplacer le juif par le musulman... Martine Brunschwig Graf a donc parfaitement raison d'observer que "la burqa est un prétexte pour s'en prendre à l'islam". Pas au patriarcat, pas aux religions en général, pas à leurs dieux, leurs prophètes, leurs fous et leurs prêcheurs : à l'islam et aux musulmans, à lui et à eux seulement. S'en prendre à l'islam, pourquoi pas ? Mais pourquoi seulement à l'islam ? les autres aliénations religieuses sont-elles à ce point innocentes, féministes et égalitaires ?

Sous la burqa et le niqab se calfeutre moins le corps des femmes que la vieille volonté patriarcale de le posséder, le maîtriser, se le garder pour soi et sa famille, au prétexte de Dieu, du Prophète, du Livre ou sous quelque autre prétexte de la même barrique. Mais sous l'interdiction de la burqa et du niqab, se niche-t-il autre chose que cette même prétention de décider comment les femmes doivent se vêtir ou se dévêtir ? Et a-t-on jamais, où que ce soit,
réellement défendu les droits des femmes par des prescriptions vestimentaires ne s'appliquant qu'à elles ? Ce qui a libéré les femmes turques, ce n'est pas l'interdiction du voile, c'est l'alphabétisation, la scolarisation supérieure, l'entrée à l'Université -et il importe peu qu'elles y entrent avec ou sans voile : l'important est qu'elles y entrent.

Contraindre ou interdire procède du même rapport d'autorité. Et autant que possible, on attend de la servitude volontaire qu'elle supplée à la répression. La Boëtie n'a pas attendu Tariq Ramadan pour en décrire la pérennité, l'universalité et les méfaits.

Ce que l'initiative "contre la burqa" propose, c'est bien de punir les victimes de cet empaquetage, comme naguère on punissait (et comme encore on punit en quelques contrées) les femmes violées du crime de s'être fait violer. Si celle qui est empaquetée dans une burqa ne s'y est pas empaquetée librement mais qu'on lui a imposé cet emballage, à quoi cela rime-t-il de la punir elle ? On peut certes "interdire par principe de liberté" : c'est le "pas de liberté pour les ennemis de la liberté" de Saint-Just (qui impliquerait cependant que l'on punisse ceux qui imposent à des femmes de s'empaqueter dans une burqa, plutôt que ces femmes elles-mêmes), mais c'est parfaitement inutile : rien de ce qui est interdit n'est impossible. L'interdiction constate même la possibilité de ce qu'on interdit... et par définition, toute liberté est absolue : c'est la légalité qui est limitée...

"une liberté n'est pas une liberté si elle demeure au service de l'Etat, de la morale ou de la loi" (Max Stirner)

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