Pas d'assurance remboursant les frais dentaires à Genève : Que les sans-dents le restent ?


L'initiative pour le remboursement des soins dentaires de base, lancée par le Parti du Travail, a été repoussée par un peu moins de 55 % des votants, dimanche, à Genève (c'est un peu mieux que dans le canton de Vaud, où le taux de refus avait atteint 57.57 % l'année dernière). Comme pour l'autre initiative du PdT, celle pour une caisse publique d'assurance-maladie, ce refus a été prononcé grâce au différentiel de participation au vote entre les arrondissements de gauche et de ceux de droite : les premiers ont accepté l'initiative, qui a obtenu un soutien en Ville de Genève à Vernier et à Avully (et chez les Suisses de l'étranger), les seconds l'ont refusée. Toutes les forces qui s'y opposaient ont entonné la même antienne que celle qui a salué l'échec de l'autre initiative du même Parti du Travail : l'initiative mettait en évidence un "vrai problème" mais lui proposait une "mauvaise solution". Et quelle "bonne solution" ces bons apôtres proposent-ils à ce vrai problème (celui de l'accès des plus modestes à des soins que l'assurance-maladie de base ne rembourse pas) ? L'arrachage systématique de toutes les dents malades ? Après tout, les sans-dents n'ont plus mal aux dents...

"A la fin du mois, il fallait choisir entre se soigner ou manger"

L'assurance proposée par le Parti du Travail, et soutenue par toute la gauche, garantissait une prise en charge de "soins dentaires de base" mais ne proposait pas une liste de ces soins -c'était au parlement de le faire. On votait donc sur un principe, et c'est ce principe qui a été refusé par l'électorat actif du canton -mais accepté par celui des villes de Genève et Vernier. On ne peut que regretter au passage l’absence de droit de vote des étrangers : nombre d’entre eux appartenant aux catégories ayant le plus besoin d’un dispositif permettant un meilleur accès au dentiste, le OUI aurait sans doute eu davantage de chances de l’emporter au final si toutes et tous les adultes qui avaient besoin, pour eux ou leurs enfants, avaient pu se prononcer.

Sans surprise, la droite, le patronat, et l'association professionnelle des dentistes (qui s'est félicitée du résultat) refusaient en effet l'initiative pour une assurance dentaire financée essentiellement par un prélèvement paritaire sur les salaires, jugée trop "coûteuse"*. Trop coûteuse pour qui ? Pour les hauts revenus et les hauts salaires, c'est-à-dire ceux qui peuvent se passer d'une assurance dentaire (et même, pour les plus riches, d'une assurance-maladie), sans doute, mais certainement pas pour les autres. Et le président du patronat genevois, Yvan Slatkine, de nous sortir, innocemment, qu'une augmentation des charges sociales est tout à fait acceptable s'il s'agit de faire passer la réforme cantonale de l'imposition des entreprises (au fait, on vous a dit qu'on appellerait à voter NON ?) mais pas s'il s'agit de permettre aux possibles futurs "sans dents" d'éviter de se les faire arracher...

"A la fin du mois, il fallait choisir entre se soigner (les dents) ou manger", témoignait dans "Le Courrier" une vieille dame, usagère de la Clinique dentaire publique (universitaire). Un vieil homme, toujours dans "Le Courrier", estimait à 10 % de son revenu le coût de ses soins dentaires : "c'est beaucoup". En effet, c'est beaucoup... Un-e Genevois-e sur neuf ne peut pas se le payer, et les soins dentaires sont la deuxième cause d'endettement pour les ménages à revenus moyens... Selon les chiffres de l'Office fédéral de la santé publique, chaque Suisse-sse dépense en moyenne 43 francs par mois (516 francs par an) pour les sois dentaires. Chaque Suisse-sse ? Pas celles et ceux qui doivent y renoncer parce qu'ils ne peuvent se les payer et qu'ils n'ont pas d'assurance-maladie complémentaire, ne pouvant se la payer non plus : toujours selon l'OFS, 7 % des Suisse-sses renonceraient ainsi à des soins bucco-dentaires faute de moyens. Et cette proportion serait du double à Genève, où 46 % des élèves des écoles publiques n'ont pas des dents "saines"...

Lorsque des soins dentaires sont nécessaire, un seul mot d'ordre s'impose aujourd'hui : démerdez-vous. Les soins des personnes à l'aide sociale sont pris en charge**, celles dont les revenus sont trop faibles pour pouvoir couvrir les soins, mais pas assez faibles pour donner droit à l'aide sociale, peuvent également être ponctuellement aidées, les autres ne peuvent se faire rembourser (partiellement) que si elles disposent d'une assurance-maladie complémentaire. Enfin de nombreux Genevois vont déjà se faire soigner les dents ou les gencives de l'autre côté (français) de la frontière. Parce que ça coûte jusqu'à trois fois moins cher (même quand les dentistes frontaliers augmentent leurs tarifs pour leur clientèle genevoise), et que la qualité des soins est la même qu'à Genève. où des cabinets de dentistes tentent d'ailleurs de vendre des soins encore moins cher, à l'étranger -mais plus loin qu'en France : en Hongris, en Croatie, en Espagne... Même les assurances-maladie s'y mettent : Helsana, le Groupe Mutuel, Swica invitent leurs assurés (à des assurances complémentaires, puisque les assurances de base ne prennent pas en charge les soins bucco-dentaires) à passer une, deux, trois (ou plus) frontières pour aller se faire soigner les crocs. Et il ne s'agit pas seulement de soigner les dents ou les gencives : les affections dentaires mal soignées, ou pas soignées à temps, peuvent avoir des conséquences sur la santé en général, celle des personnes et celle de toute la population, l'inverse étant d'ailleurs vrai -mais avec ce paradoxe que des maladies rendant nécessaires des soins couverts par l'assurance de base peuvent avoir pour conséquence des affections bucco-dentaires rendant des soins tout aussi nécessaires, mais non couverts par ladite assurance.

Le Parti du Travail regrette "qu'une mesure juste, répondant à une véritable urgence sociale" n'ait pas été acceptée. Le problème de l'inaccessibilité des soins dentaires pour des raisons financières demeure donc entier. De plus en plus de gens iront se faire soigner les dents à l'étranger du fait des tarifs des soins prodigués par les dentistes genevois -qui en faisant ardemment campagne contre l'initiative. Et sont donc tiré une balle dans la fraise.


*Coûtant entre 150 et 260 millions de francs par an, elle serait en grande partie financée par un prélèvement sur les salaires (0,5 % à la charge des salariés, 0,5 % à celle des employeurs), et pour le reste (pour les non-salariés) entre 50 et 80 millions à l'Etat.

**Le canton contribue pour près de 15 millions aux frais dentaires des plus défavorisés et des enfants -il économiserait cette somme si une assurance cantonale obligatoire pour frais dentaires était instituée.



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