Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre... contre quoi, au juste ?

Le 13 juin, les Helvètes* se prononceront en votation populaire sur une loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le "terrorisme". La Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter martèle que "sans sécurité, aucune liberté ne vaut d'être garantie" ? A leur manière, les jeunes socialistes, Verts, Verts libéraux et même parfois PLR répondent que sans liberté, aucune sécurité ne vaut d'être garantie. Et que les nouveaux moyens qu'accorde la loi à la police fédérale "passent outre l'équilibre" entre liberté et sécurité qu'une "démocratie libre" doit rechercher, estime le vice-président des jeunes PLR, Nicolas Jutzet. De l'avis des jeunesses des trois partis, la loi laisse trop de marge et d'arbitraire à une action des autorités, au nom d'une lutte contre un "terrorisme" que la loi ne définit pas clairement. On est dans une sorte de version helvétique, et donc adoucie, des dispositifs "antiterroristes" adoptés ailleurs (les "Patriot Act" américains, la loi britannique sur la surveillance électronique, la loi française sur la "sécurité globale") avec le même doute qui plane sur la définition du "terrorisme" que l'on prétend vouloir combattre. N'entend-on pas donner au Conseil fédéral , voire à la police fédérale, la possibilité de conclure des accords de collaboration policière avec des Etats étrangers, permettant l'échange de renseignements, voire l'autorisation à des policiers étrangers d'opérer en Suisse, sans que le parlement ait à les ratifier... 

* Cette dénomination parfaitement anachronique étant choisie pour éviter l'assonance vipérine des "s" de la formulation épicène "les Suisses et les Suissesses"

Après nous naguère, à qui le tour demain ?

A en croire les sondages sur les votations du 13 juin, la nouvelle loi sur les mesures policières de lutte contre le "terrorisme" serait massivement approuvée, grâce au soutien de plus des trois quarts de l'électorat PLR et UDC.  Pour le Conseil fédéral, les mesures"antiterroristes"  rendues possibles par la loi sont "plutôt modérées" : visant les personnes dont on présume, sans preuve, qu'elles pourraient mener des "activités terroristes", elles sont pourtant presque toutes laissées à l'appréciation de la police fédérale (seule l'assignation à résidence et le port d'un bracelet électronique doivent être validée par le tribunal des mesures de contrainte) : obligation de participer à des entretiens, interdiction de contacter certaines personnes, de quitter la Suisse, de se rendre dans des lieux précis, assignation à résidence, détention avant expulsion... certes, leur durée est limitée, un recours peut être déposé auprès du Tribunal administratif fédéral, des mesures moins fortes doivent avoir été essayées sans succès auparavant mais aux deux exceptions mentionnées près, ces mesures (qui pourraient s'appliquer à des mineurs) peuvent être décidées par la seule police fédérale, sur la seule base de présomption, sans l'aval d'un juge, les personnes visées n'ayant pas réellement  la possibilité de les contester avant qu'elles soient entrées en vigueur... Or les polices et la justice disposent déjà de la possibilité d'ordonner des mesures comparables, mais avec un contrôle judiciaire effectif. Dès lors, on se demande pourquoi les ajouter de manière redondante à l'arsenal existant ? Pour contourner ce contrôle ? 

L'"affaire des fiches", jette une lumière prémonitoire sur des mesures que la loi soumise au peuple rend possible : la police fédérale et les polices cantonales pourraient traiter les données sensibles de personnes visées : leurs opinions "religieuses et philosophiques", leur santé, l'aide sociale dont elles bénéficieraient, les poursuites et les sanctions pénales ou administratives dont elles feraient l'objet... Par quoi se manifeste, selon la loi, le "terrorisme" contre lequel il s'agit de lutter ? par des actions "destinées à influencer ou à modifier l'ordre étatique et susceptibles d'être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte"...  mais défendre, comme nous, le droit d'asile et la liberté de circulation, n'est-ce pas "propager la crainte" d'une "immigration massive" ? Et les activistes climatiques, ne propagent-ils et elles la crainte d'un collapsus environnemental ? Le "terrorisme" serait donc défini par les moyens mis en oeuvre -inutile de dire que nous sommes assez nombreux à avoir voulu, ou vouloir encore, "modifier l'ordre étatique" sans forcément exclure pour cela de commettre des "infractions graves" au sens des lois en vigueur... et avoir pour cela été mis en fiche... Après nous naguère, donc, ce serait le tour de qui demain ? des activistes climatiques ? des zadistes ?


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