Une nouvelle couche géologique : Anthropocène de crime ?

A en croire la Geological Society de Londres, une nouvelle couche géologique est apparue : l'anthropocène, qui inscrit dans le sol même le passage de l'humanité à l'ère urbaine et industrielle, et l'inscrit de manière indélébile, irréfragable. La transformation des paysages, des sols, de l'air et des eaux par l'action de l'Homme équivaut ainsi à leur transformation par les grands cataclysmes d'avant l'histoire humaine, et dépasse celle provoquée par le cycle des glaciations et des réchauffements naturels. La transformation de la planète  est, désormais irréfutablement (mais pas incontestablement, puisqu'une évidence peut toujours être contestée) d'origine humaine : Ainsi sommes-nous devenus les égaux des dieux que nous nous étions inventés. Aussi nuisibles qu’eux. Et aussi irresponsables, puisque cultivant l’illusion de notre toute-puissance.

Quand la nature n'est plus un sujet, mais un objet

L'anthropocène ("l'âge de l'homme") désigne l' époque géologique, brève, débutant lorsque l'espèce humaine est devenue, il y a deux siècles, le principal moteur des changements qui affectent sa planète. Il fallut pour nous en arrivions là  que notre espèce s'efforçât de maîtriser la nature en la considérant comme une ressource illimitée, à sa disposition. Cette condition est idéologique, et elle remonte aux origines (juives) du christianisme : Dieu donne le monde à l'Homme, dont l'espèce doit croître et se multiplier. La nature n'est plus un sujet, comme elle l'est dans le paganisme et le panthéisme, elle est un objet : l'objet du pouvoir humain. Dès le Moyen-âge, il en use à sa guise, et modèle son environnement (polders, correction du cours de fleuves, gestion des forêts, exploitation de mines et de carrières, assèchement de marais) au-delà de ce que ses besoins nécessitent. Certes, cela faisait des dizaines de milliers d'années que les humains organisaient leur environnement pour mieux y vivre, déforestaient, maîtrisaient le feu, puis l'agriculture, puis l'élevage, modifiant ainsi des espèces végétales et animales, faisait des loups des chiens et des chats sauvages des commensaux des humains, mais l'ampleur de cette emprise de l'espèce humaine sur la nature restait limitée. Elle cessa de l'être à l'âge des grandes colonisations : on se mit alors à déplacer des espèces végétales  et animales (y compris humaines) d'une région, voire d'un continent à l'autre, et notamment à installer des plantations à grande échelle en Amérique du sud, puis du nord. La révolution industrielle, l'avènement puis la généralisation du capitalisme, accélérèrent encore le processus.

L’anthropocène est discriminatoire : les privilégiés fuient les conséquences de ce qui leur a permis d'acquérir et de transmettre leurs privilèges. Autour de leurs ghettos volontaires, ils érigent eux-mêmes les murs qui, croient-ils, les protégeront de la plèbe vindicative, et quand ils en ont les moyens, ils quittent leurs zones résidentielles sécurisées pour s'en aller plus loin encore se construire ou occuper un îlot de bien être, inaccessible à tous autres qu'eux et leurs affidés. Les Etats les plus riches font de même, se faisant forteresses contre les migrants les plus pauvres. Car l’anthropocène fonctionne à l’expulsion : le noyau du pouvoir expulse hors de son champ écologique, économique, social, politique, celles et ceux dont il n’a que faire, de telle manière qu’ils ne le voient plus tel qu’il est et ne peuvent plus l’atteindre par les moyens des révoltes et des révolutions traditionnelles. Deux espaces ainsi se créent : celui du pouvoir d’où le pouvoir s’exerce, celui de la domination, sur laquelle le pouvoir s’exerce de toutes les manières possibles. L’espace du pouvoir est beau, propre, ordonné et riche. L’espace de la domination est laid, sale, chaotique et pauvre. Le premier se protège du second par d’innombrables barrières, matérielles ou non.  Et d’abord par le mensonge sur lui-même et sur ce qui le menace, dont il a peur et dont il se préserve autant qu’il peut –et il peut beaucoup. Mais pas tout. Car les luttes sociales et les luttes environnementales peuvent se mener ensemble : l’exploitation des ressources naturelles ne va-t-elle pas de pair avec l’exploitation du travail humain, la dégradation de l’environnement avec l’aliénation des individus ?  La révolte sociale et la révolte environnementale doivent se conjuguer pour ne pas n’avoir, chacune séparée de l‘autre, que leur impuissance respective en commun.

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