Contre-réforme A VS :Le choix des lobbies

Le 14 juin 2019 fut le jour de la grande Grève Féministe en Suisse. D'entre les raisons de cette grève, il y avait le refus du report de l'âge de la retraite des femmes, et la revendication de rentes qui leur permettent de vivre dignement, principe d'ailleurs posé par la Constitution fédérale. Il n'est pire sourd (voire sourde) que celui (voire celle) qui ne veut rien entendre, ce qui évidemment permet de s'auto-excuser de n'avoir rien compris : à la revendication de la Grève Féministe, la droite, le patronat, les lobbies des gestionnaires du "troisième pilier" ont répondu, au prétexte d'économiser dix milliards, en faisant adopter par le Parlement fédéral le report de l'âge de référence du droit à la retraite de 64 à 65 ans, à raison de trois mois de report chaque année pendant quatre ans. Avant sans doute de passer à 66 ans pour tout le monde. Et plus tard encore par la suite. Hommes et femmes pourraient certes prendre une retraite anticipée dès 62 ans, mais avec des rentes réduites. La TVA, c'est-à-dire l'impôt socialement le plus injuste, serait majorée de 0,4 %, pour un "gain" d'un milliard et 400'000 francs. Et le Conseil national a refusé de faire participer la Banque Nationale au financement de l'AVS. Pour que les Chambres fassent ces choix désastreux, le lobbying des assurances, des banques et d'Economiesuisse a été intense : c'est que l'affaiblissement du Premier pilier, l'A VS, voire du deuxième, fait l'affaire du troisième, l'épargne-vieillesse individuelle, et que celui-là est entre leurs mains et leur rapporte des milliards. A ce coup porté à l'AVS s'en est ajouté un autre sur la Prévoyance professionnelle : un compromis sur la révision du Deuxième pilier avait été négocié entre syndicats et patronat, il a été coulé par la droite, et ça se comprend aisément :  le Deuxième Pilier, c'est 1500 caisses de retraite, 1000 milliards d'avoirs et 5,6 milliards de revenus pour le secteur financier... ça vaut de tenter toutes les manœuvres.

Le combat pour le droit à la retraite ne prendra pas de retraite

"Ce dont nous avons besoin est une réforme qui augmente les rentes, pas l’âge de la retraite", proclamait la Grève des Femmes 2019, qui n'oubliait pas de rappeler que "le report de l'âge de la retraite des femmes n'est, pour ses partisans les plus acharnés, que la première étape d'un report de l'âge de la retraite pour tout le monde". Un besoin de "réforme", donc, car "en matière de retraites, en Suisse pour le moins, la révolution n'a que rarement été à l'ordre du jour", observait en 2017 dans "Le Temps" le syndicaliste Aldo Ferrari... mais c'était pour ajouter que "notre régime de prévoyance vieillesse est et doit rester en réforme permanente". Tout est donc dans le contenu de cette réforme, ou plutôt de ces réformes successives. Les dernières propositions faites, acceptées ou refusées par le peuple, n'étaient que des réformes d'adaptation. Le temps est peut-être venu d'une réforme de structure -d'une réforme profonde, radicale, ce que n'est évidemment pas la contre-réforme contre laquelle la gauche a lancé un référendum.  La réforme fondamentale, il faut remonter à 1947 pour la trouver : c'est l'acceptation par le peuple de la création même de l'assurance-vieillesse et survivants, revendiquée trente ans plus tôt par une grève générale, acceptée, mais seulement en principe en 1925, mais refusée en 1931 dans une première version (un montant annuel unique de 200 francs dès 66 ans). Le vote populaire (et exclusivement masculin...) de juillet 1947 est ainsi le troisième sur l'AVS. Et onze révisions de cette première AVS seront ensuite effectuées, les unes pour l'élargir (abaissement de l'âge de la retraite des femmes de 63 à 62 ans en 1964), d'autres pour la compléter (création du Deuxième pilier en 1972, d'autres encore pour l'adapter ( en 1997, report de l'âge de la retraite des femmes à 64 ans, bonus pour les tâches éducatives). Et c'est à chaque fois le peuple qui tranche.  Le peuple a à plusieurs reprises refusé une amélioration des rentes du premier pilier : en 2016, il a refusé une hausse de 10 % des rentes, en 2017 une hausse de 70 francs... mais depuis, les rentes du 2e pilier ont baissé, et on peut admettre que le premier compense les faiblesses du second.

L'AVS est un système solide, capable de s'adapter aux évolutions démographiques, parce que c'est un système de répartition fondé sur la cotisation non plafonnée des actifs pour financer des rentes qui, elles, sont plafonnées. Le financement de l'AVS augmente en fonction de l'augmentation de la population active, de l'amélioration de la productivité du travail et de l'augmentation de la masse salariale, et les fonds obtenus servent à payer des rentes, pas à produire des espérances de profits sur les marchés financiers. Sans doute annonce-t-on qu'en 2030, les dépense s de l'AVS pourraient dépasser ses recettes de 26 milliards, mais son financement pourrait être considérablement amélioré si on réalisait l'égalité salariale entre femmes et hommes : chaque mois, en moyenne, une femme active gagne 700 francs de moins qu'un homme actif. Au total, chaque année, ce sont 650 millions de francs de cotisations qui sont ainsi perdues pour l'AVS. Par ailleurs, les placements du fonds AVS ont rapporté 1,3 milliard, auquel s'ajoute le produit de l'augmentation des cotisations : 579 millions. Et des ressources supplémentaires peuvent être trouvées par une augmentation des cotisations, une contribution de la Banque nationale  et une contribution plus importante de la Confédération grâce à une imposition des dividendes : "ce pays a les moyens de garder les mêmes prestations AVS que celles (dont bénéficiaient) de nos aînés", résume Pierre-Yves Maillard.

L'Union Syndicale et Travail Suisse ont lancé un référendum contre la contre-réforme de l'AVS, et pourraient en lancer un autre contre la révision du Deuxième Pilier. L'initiative de l'Union Syndicale pour une treizième rente AVS a abouti et le syndicat va en lancer une autre pour faire financer l'AVS par la Banque nationale.  A droite, une initiative a abouti qui veut lier l'âge de la retraite à l'espérance de vie (en attendant sans doute de la lier à l'âge moyen du décès), et une autre veut égaliser l'âge de la retraite à 66 ans pour femmes et hommes. Les années à venir vont être, comme les années passées,  celles d'un débat permanent sur le système de retraite... Et, à moins que la majorité parlementaire fédérale change d'avis (ou que l'on  change de majorité), des années d'incessantes récoltes de signatures, pour des référendums d'opposition aux contre-réformes de la droite ou des initiatives pour des réformes de gauche -des réformes de gauche qui n'ont, finalement, qu'un objectif : faire en sorte que la Constitution fédérale soit respectée.
Tout va être affaire de rapport de forces au parlement, dans les urnes, dans la rue : le combat pour le droit à la retraite ne prendra pas de retraite.

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