La Suisse, le négoce agricole et les droits humains

Petit pays, grand empire

Les plus gros négociants agricoles au monde (Cargill, Archer Daniels Midlang, Bunge et d'autres) gèrent une grande partie de leurs affaires depuis la Suisse, depuis leur siège social, une filiale, un bureau régional. La Suisse est la première place mondiale du négoce de matières premières agricoles comme le soja, le sucre, le café, le cacao, le coton, sans que ces matières premières ne passent par la Suisse : c'est l'argent qui circule, pas la matière. Public Eye, estime, dans une grande enquête (www.plantations-suisses.ch) que depuis la Suisse, les traders contrôlent au moins la moitié du négoce mondial de céréales et d'oléagineux, 40 % du sucre, un tiers du cacao et du café, 25 % du coton. Les multinationales implantées ou représentées en Suisse ont étendu leurs activités sur toute la chaîne de valeur du négoce alimentaire, de la culture de la matière première à sa transformation en produit utilisable pour le fourrage ou l'alimentation humaine. Les plantations contrôlées par des négociants suisses ou installés en Suisse couvrent 2,7 millions d'hectares (27'000 km2), plus de la moitié de la superficie totale de la Suisse, six fois ses terres assolées. La majorité de cette surface contrôlée depuis la Suisse est affectée à la production de canne à sucre, un quart à celle d'huile de palme.  561 plantations sont contrôlées dans 24 pays par des négociants agricoles suisses. Notre pays est petit, son empire est grand... et son insouciance du respect de droits humains dans les plantations et dans les usines contrôlées par des entreprises installées en Suisse, plus grande encore.


La Suisse déforeste. Pas chez elle, pas elle-même, mais au sud, et en laissant les entreprises de droit suisse le faire pour étendre leurs plantations.

Pour les négociants de matières premières, la stabilité politique, le cadre fiscal avantageux et la force du secteur financier de la Suisse font merveille : ils s'y installent et y prospèrent, sans même avoir besoin des banques suisses pour leur propre financement, et sans craindre une surveillance politique sur leurs activités dans les pays où ils contrôlent des plantations et des entreprises de transformation des matières premières alimentaires.

Quelle est la position du gouvernement suisse sur une réglementation du secteur du négoce alimentaire, notamment du point de vue la défense des droits humains ? Aucune. Ou plutôt, la confiance affichée en la bonne volonté des entreprises et la surveillance des banques suisses. Or celles-ci ne sont qu'une source de financement marginale du secteur, et n'ont qu'une influence dérisoire sur ses principales entreprises, essentiellement, voire exclusivement, financées par des investisseurs privés et institutionnels étrangers, principalement américains (mais aussi britanniques, françaises et chinoises). De plus, contrairement à ses voisins et à l'Union Européenne, qui font au moins un pas en ce sens, la Suisse n'impose pas à ses entreprises de réel devoir de diligence pour prévenir les violations des droits humains et environnementaux. Résultat : un secteur aussi opaque que le négoce des matières premières peut faire à peu près ce qu'il veut dans ses plantations du Sud.

Dans les bananeraies d'Amérique du centre et du sud, les violations du droit du travail et des droits syndicaux sont la règle, y compris dans les plantations "suisses", comme au Honduras dans la plantation Santa Rita, qui appartient à Chiquita, traversée de conflits pour des questions de salaire, d'heures supplémentaires, d'intimidations et de licenciements de militants syndicaux, jusqu'à des menaces de mort, dans un pays où au moins 39 syndicalistes ont été assassinés entre 2009 et 2019.
En Indonésie, à Bornéo, ce sont les droits des populations autochtones qui sont bafoués pour faciliter la déforestation et l'extension des plantations de palmiers à huile. Ces communautés perdent leurs terres et leurs moyens de subsistance sans y avoir consenti, et sans être indemnisées correctement.
Des populations locales sont expulsées en Ouganda, au Laos, en Tanzanie pour faire place à des plantations de café.
Au Cameroun, c'est une filiale de la société Socfin, exploitante d'une plantation de palmiers à huile, qui est en conflit avec son personnel et la population locale, victime de violences de la part d'une police privée.

La Suisse déforeste. Pas chez elle, pas elle-même, mais au sud, et en laissant les entreprises de droit suisse le faire pour étendre leurs plantations. On rappellera, à toutes fins utiles, que chaque hectare de forêt en moins réduit la capacité végétale d'absorption de CO2, et que la déforestation massive n'a d'autre objectif que ceux d'une agriculture industrielle elle même liée à l'élevage industriel et à la consommation de nourritures industrielles.Plus clairement dit : de la malbouffe, selon une règle éprouvée : le rapport entre la qualité d'un produit alimentaire et la qualité du profit qu'on peut en tirer est un rapport inverse : plus c'est dégueulasse, plus ça rapporte.

www.plantations-suisses.ch

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