Application de l'initiative genevoise "Zéro Pub" : ça dit quoi, ça touche qui ?

Dans le GHI de la semaine avant-dernière, on trouve un "point de vue" du député vert'libéral Boris Calame, contre l'"initiative Genève Zéro pub, qui vise à interdire la publicité commerciale en Ville de Genève", et une demie-page de pub de l'alliance de droite (PLR, UDC, MCG, Centre, Verts libéraux) pour signer son référendum contre le règlement d'application de l'initiative, sous ce titre "NON à l'interdiction de la publicité en ville". Et on commence à voir fleurir un peu n'importe quoi sur les réseaux (genre : si le règlement d'application entre en vigueur, Unireso ne pourra plus faire de la pub pour les abonnements de transports publics).  Alors il faut se résoudre à faire de l'alphabétisation pour expliquer que l'initiative et son règlement d'application n'interdisent pas "la publicité commerciale en Ville de Genève", mais uniquement la publicité commerciale sur le domaine public de la Ville et le domaine privé visible de son domaine public. Et pas la publicité faite par une entreprise publique autour d'une prestation payante, parce qu'elle n'est pas une publicité "pour le compte d'entités à but lucratif ou commercial" mais pour le compte d'acteurs publics monopolistiques. La publicité des TPG pour Unireso ne sera donc pas plus interdite que la publicité des SIG pour son courant "vert" : ni les TPG, ni les SIG ne font du commerce.

Elle dit quoi, l'initiative "Zéro Pub", et il dit quoi, le règlement de mise en oeuvre ?

Il faut  commencer par rappeler que le référendum de la droite municipale genevoise n'est pas lancé contre l'initiative, adoptée par le Conseil municipal, mais contre le règlement municipal l'appliquant. Quoique le refus du règlement équivaudrait à enterrer l'initiative, puisqu'elle a besoin d'un règlement pour être appliquée... Cela dit, l'initiative a été validée trois fois par la justice -deux fois par la Chambre constitutionnelle de la Cour de Justice genevoise, une fois par le Tribunal fédéral. Et elle ne serait appliquée que sur le territoire de la Ville de Genève. Et il faut sans doute aussi rappeler ce que l'initiative demande aux autorités : de "mettre en oeuvre une politique cohérente de gestion de l’affichage, dans le respect de la législation cantonale, en appliquant les principes suivants:

1. privilégier la qualité du paysage urbain genevois en libérant l’espace public de la publicité commerciale par voie d’affichage;
2. faciliter la mobilité de tou-te-s, en particulier les personnes en situation de handicap, dont les malvoyant-e-s, en supprimant les panneaux qui font obstacle aux déplacements par leur emprise physique sur les espaces piétonniers;
3. mettre à disposition des associations et institutions locales des panneaux permettant la communication par voie d’affichage de leurs informations et activités, ainsi que d’événements artistiques et culturels;
4. mettre à disposition des habitant-e-s des panneaux vierges destinés à l’expression libre, citoyenne et artistique;
5. conserver un équilibre entre expression libre et publicité associative, caritative, culturelle et événementielle sur l’espace public réservé à cet effet, en facilitant son accessibilité aux organisations à but non lucratif.»

Quant au règlement, que le Conseil administratif présente en application de la loi cantonale qui l'exige, on va vous le résumer, mais vous en trouverez le texte intégral, et expliqué, sur https://conseil-municipal.geneve.ch/conseil-municipal/objets-interventions/detail-objet/objet-cm/1498-179e/ On se contentera d'ajouter que la loi cantonale s'applique de toute façon, et que s'il devait y avoir une contradiction entre le règlement municipal et la loi cantonale, c'est celle-ci qui s'imposerait. Et que, s'agissant d'un règlement municipal, le Conseil municipal gardera la compétence de le modifier, même après qu'il ait été adopté par le peuple...

L'art. 2 du règlement définit son champ d'application, avec cette précision utile à qui croirait en une volonté de la ville d'interdire toute publicité commerciale :  "Le présent règlement s’applique à l’affichage dit «papier», tel que visé par la législation cantonale sur les procédés de réclame, que celui-ci se situe sur le domaine public ou sur le domaine privé, visible du domaine public de la ville de Genève". Rien de moins, rien de plus : on ne parle que de l'affichage "papier", et on exclut explicitement  "l’affichage par le biais de panneaux peints, au sens de l’article 15 du règlement d’application de la loi sur les procédés de réclame (RPR)". Seule la publicité "à des fins commerciales" est interdite. Le Conseil administratif reste cependant compétent, "dans les limites de la législation cantonale (...) pour réglementer, voire interdire les autres procédés de réclame à des fins commerciales exclus du champ d’application du présent règlement". A quoi on ajoutera que si le Conseil municipal considère qu'il va trop loin en ce sens, ou qu'une disposition est ambiguë, il peut lui-même modifier le règlement.

L'art. 3 du règlement confirme la prohibition de l'’affichage de publicité à des fins commerciales", mais confirme également que cette prohibition ne concerne pas "l’affichage culturel ou à portée éducative effectué pour le compte d’entités à but lucratif ou commercial", ni "la promotion et au sponsoring de manifestations culturelles, sportives, événementielles ou récréatives". La publicité faite par une entreprise publique autour d'une prestation payante ne sera par exemple pas interdite puisqu'elle n'est pas une publicité commerciale, c'est-à-dire une publicité "pour le compte d'entités à but lucratif ou commercial" mais pour le compte d'acteurs publics monopolistiques, le fait d'être une société anonyme n'est absolument pas relevant : la nature juridique de la société n'est pas un critère pour déterminer si la pub qu'elle fait est commerciale ou non.

L'art. 4 mandate le Conseil administratif pour élaborer et mettre en oeuvre un règlement d'application reprenant les bases de l'initiative et les précisant. Un règlement qu'on pourra toujours modifier : la seule chose qu'il ait à respecter, c'est le contenu de l'initiative.

L'art. 5 charge le Conseil administratif de mettre à disposition de la population, sur domaine public, "un nombre suffisant de supports d’affichage vierges de différents formats, destinés à: – la libre expression artistique et citoyenne sur support papier neutre; – la communication des associations ou institutions locales sans but lucratif" et précise que ces supports "peuvent servir temporairement à l’affichage politique ou pour les communications de la Ville de Genève".

L'art. 6 définit les prestations d’entretien dont le Conseil administratif est chargé (mais qu'il peut sous-traiter à une entreprise privée): nettoiement, entretien, pose, dépose, renouvellement et stockage "de tous les supports d’affichage propriété de la Ville de Genève situés sur le domaine public". L'impact budgétaire de l'application de l'interdiction de la pub commerciale (et d'elle seule...) dans l'espace public genevois est estimé par le Conseil administratif à un peu plus de quatre millions et demi de francs (sur un budget de 1,2 milliard...), par la perte de la redevance annuelle versée par l'actuelle société concessionnaire (3,7 millions) et le coût des prestations dont la Ville devra s'acquitter (940'000 francs).

L'art. 7 définit les prestations d’affichage que le Conseil administratif peut assurer (là encore en pouvant les sous-traiter à une entreprise privée) s'agissant de l'affichage "culturel, politique et d’intérêt public, sur les supports d’affichage propriété de la Ville de Genève situés sur le domaine public". Il autorise le Conseil administratif à louer ces supports.

Enfin, l'art. 8 précise que le règlement n'entrera en vigueur que le  1er janvier 2025, à l'échéance du contrat avec la société Neo Advertising.

Voila. Si vous trouvez dans tout cela quelque chose qui ressemble à l'amorce du début des prémices d'une éradication de toute publicité commerciale, faites-nous le savoir : on avoue humblement que le caractère révolutionnaire de l'initiative et de son règlement d'application nous avaient échappé. Peut-être ont-ils été si habilement dissimulés par leurs auteurs que seule la sagacité de la droite genevoise a permis de le révéler...



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