Mieux aider l'Europe à refouler les gueux ?
No Frontex !
A
              l'automne de l'année dernière, les Chambres fédérales ont
              voté (par 88 voix contre 80 et 28 abstentions) le presque
              triplement du financement suisse de Frontex, l'agence de
              garde-côtes et de gardes-frontières (pour ne pas écrire la
              milice antimigrants) de l'Union Européenne, qui passerait
              donc de 24 à 61 millions de francs par an. Pour aider
              Frontex à recruter 10'000 agent.e.s de plus, les armer,
              leur fournir des équipements de repérage des migrant. Pour
              mieux les refouler vers la Libye, la Turquie, le Maroc, ou
              n'importe où ailleurs que sur le territoire de
            l'Union. Car telle est, en réalité, la mission de Frontex :
            les traquer et les refouler.  Arraisonner leurs esquifs,
            mais pas pour les
              sauver et les accueillir : pour les empêcher de déposer
              une demande d'asile et les remettre aux garde-côtes des
              Etats auxquels l'Union a sous-traité l'hébergement des
              migrants. Et qui ont eux-même sous-traité avec des milices
              crapuleuses. Contre le financement de Frontex par la
              Suisse, une coalition de petites organisations, soutenue
              par la gauche, a lancé un référendum. Qui a abouti. On
              votera le 15 mai. Le 5 février, le PS suisse a décidé
              d'appeler à voter "non". On le suit, même si selon le plus
              récent sondage d'avant vote, 59 % des sympathisants
              socialistes voteraient "oui". Nous, on votera "non", parce
              que nous ne voulons pas mieux aider l'Europe à refouler
              les gueux. 
            
... une force armée de refoulement des victimes de l'ordre du monde
La guerre en Ukraine a donné des ailes (de vautours) aux partisans de l'augmentation de la contribution suisse à l'agence européenne de gardes-frontières Frontex, et à l'élargissement de ses compétences : "le centre de cet élargissement, c'est la sécurité", déclare notre ministre des Douanes, Ueli Maurer, converti au système Schengen après l'avoir dénoncé. Et sa collègue de la Justice, Karin Keller Sutter, pour qui la coopération avec Frontex est de toutes les coopérations de la Suisse avec l'Europe "celle qui fonctionne le mieux", insiste : "la guerre en Ukraine montre à quel point la collaboration et la sécurité dans l'espace Schengen sont importants". Mais qu'est-ce que Frontex a à voir avec la guerre en Ukraine ? L'"Espace Schengen" ? La libre circulation à l'intérieur de la "forteresse Europe", la barrière pour fermer cette forteresse à l'immigration. L'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), pas plus qu'Amnesty International, ne veulent quitter Schengen : il faut y rester pour en changer la politique migratoire, expliquent-elles. Tout en assurant, comme Amnesty, partager "les critiques du comité référendaire face à la militarisation des forces de Frontex, aux violations des droits humains, à l’absence de mécanisme de plainte ou de systèmes l’obligeant à rendre des comptes". Même Ueli Maurer l'admet : Frontex a des comptes à rendre sur ses pratiques et celles des pays vers lesquels l'agence renvoie les migrants. Mais c'est pour ajouter que "nous voulons rester membres de Frontex (pour) améliorer la situation". Pourtant, ce n'est pas sur Frontex en tant que telle que l'on vote le 15 mai, mais sur le financement de son renforcement...Et la Suisse est déjà membre de Frontex -à quelle "amélioration de la situation" cela a-t-il servi ?
Que risque la Suisse si les Suisses
          refusent de renforcer leur soutien à Frontex ? Les partisans
          de ce renforcement, à commencer par le Conseil fédéral,
          peignent le diable sur la muraille de la "forteresse Europe"
          en assurant que ce refus entraînerait la sortie de la Suisse
          des espaces Schengen et Dublin, c'est-à-dire de la libre
          circulation dans le premier et du renvoi des requérants
          d'asile dans le premier pays  du second où ils auront réussi à
          mettre un pied. Cette menace (qui pour l'UDC tiendrait de la
          promesse) tient de l'épouvantail : il n'y a pas de mécanisme
          automatique d'exclusion de Schengen et de Dublin qui
          s'enclencherait en cas de "non", car il faudrait l'unanimité
          des pays membres de ces deux espaces pour en exclure la
          Suisse, et on ne voit pas quel Etat y aurait intérêt -et tout
          cas pas les Etats voisins de la Suisse, tous inclus dans
          l'"espace Schengen". En outre, le développement projeté de
          Frontex reste en attente du résultat des enquêtes lancées sur
          les dérapages de l'agence dont le parlement européen a exigé
          la réforme et suspendu le budget, et même l'espace Schengen
          est l'objet de projets de réforme. 
        
Le
              comité (de droite) "oui à Frontex" diffuse un petit
              dépliant avec cet argument massue, et assez oxymorique :
              c'est pour "renforcer les droits humains" qu'il faut dire
              "oui à Frontex". Les migrants conduits dans les camps
              libyens par Frontex apprécieront. Frontex
          n'est pas une organisation d'accueil des réfugiés, mais une
          force européenne  de garde-frontière qui a, d'entre ses
          objectifs, celui du rapatriement, c'est-à-dire du refoulement
          et de l'expulsion, des migrants "irréguliers". C'est
          d'ailleurs pour cela que la droite soutient le renforcement de
          la contribution suisse à Frontex :parce qu'elle est une agence
          de refoulement des migrants. Elle arme les garde-frontières
          nationaux et coopère avec une vingtaine d'Etats non membres de
          l'Union Européenne, mais participe en même temps d'une
          politique européenne d'externalisation, vers les pays de
          départ des migrants, de la politique migratoire européenne.
          Ainsi, Frontex collabore avec la Libye dont les garde-côte
          interceptent les bateaux de migrants et les ramènent de force
          dans des camps et des lieux de détention où ils sont victimes
          de toutes les exactions possibles, du racket au viol en
          passant par le travail forcé et le proxénétisme.  
        
La "forteresse Europe" a déjà laissé au moins 22'000 personnes (en ne comptant que celles qui ont pu être répertoriées) se noyer en Méditerranée, entre 2014 et l'été 2021 en tentant de gagner l'Europe. En 2014, les Etats européens riverains ont mis fin à leurs opérations de sauvetage en mer, et empêché celles des ONG, en bloquant leurs bateaux. Depuis lors, Frontex est l'un des instruments de la défense de la "forteresse Europe", au coeur de laquelle se trouve la Suisse. Et cet instrument coûte cher : son financement, et donc son refus, est bien un moyen de pression pour un changement de politique migratoire. Un changement qui peut s'inspirer de l'accueil actuel des réfugiés d'Ukraine (surtout si on le compare avec le non-accueil d'autres réfugiés, venant de plus loin -d'Afrique ou du Moyen-Orient).
Le 15 mai, on ne votera pas en Suisse sur l'appartenance de la Suisse à l'espace Schengen ou à l'espace Dublin, ni même à Frontex, mais sur le renforcement du soutien financier à une force armée de refoulement des victimes de l'ordre du monde, de militarisation des frontières des pays les plus prospères, de criminalisation des migrants et de la migration elle-même. Les 37 millions que le Conseil fédéral, la majorité du parlement et les partis de droite veulent accorder à Frontex, c'est à l'accueil des réfugiés qu'il faut les consacrer. A leur accueil, pas à leur chasse.



Commentaires
Enregistrer un commentaire