14 juin, journée de lutte pour les droits des femmes

La fête et la colère

Hier14 juin, comme désormais chaque année. c'était le jour de la lutte pour les droits des femmes. Certes, cette lutte ne peut se contenter d'un jour -il lui faut toute l'année, et même plus, si on en juge par le temps qu'il a fallu pour que ces droits soient proclamés, à défaut encore d'être respectés, mais ce jour est celui de l'expression de toutes les revendications encore non satisfaites, des luttes toujours à mener. A Genève, la journée était placée sous le signe de la fête mais surtout de la colère, que scandaient huit mot d'ordres :
Non à AVS21, la réforme des retraites ne se fera pas sur le dos des femmes
Stop aux inégalités salariales 
Stop aux discriminations contre les personnes LGBTQIA 
Stop aux violences sexuelles et sexistes 
Non au racisme 
Oui à la solidarité avec les migrant-e-x-s et oui à l'accueil de tou-x-te-s les  réfugié-e-x-s 
Oui à l'introduction du consentement dans le code pénal 
Oui à la convergence des luttes : justice environnementale, justice sociale,  justice de genre, même combat pour un monde sans domination.


Des normes de genre qui invitent les femmes à la soumission

D'entre les mots d'ordre de la journée de mardi, il y en avait deux qui renvoient à des urgences vitales, et pas seulement sociales : "Stop aux violences sexuelles et sexistes", "Oui à l'introduction du consentement dans le code pénal". Là, c'est dans un débat parlementaire qu'il s'agit d'intervenir. Il y a quelques jours, le Conseil des Etats a refusé de considérer qu'un acte sexuel doit être consenti pour ne pas être considéré comme imposé -autrement dit, comme une agression sexuelle ou comme un viol. Le Sénat a préféré considérer qu'il fallait qu'un refus soit exprimé pour que l'acte sexuel soit considéré comme imposé (de quelque sexe ou genre que soient les protagonistes), et donc condamnable. Le choix devait se faire entre le "non c'est non" accepté par la droite et le "seul un oui est un oui" soutenu par la gauche et les milliers de femmes ayant répondu à la consultation sur le changement de la loi. Ce n'est pas une querelle de mots, c'est bel et bien un choix de société, un choix éthique : le "qui ne dit mot consent" adopté par la majorité sénatoriale fait abstraction de tout ce qui, dans un rapport sexuel, peut tenir d'un rapport de pouvoir n'impliquant pas forcément une contrainte physique, mais pouvant se manifester par un chantage affectif, par des menaces, par la suscitation de la peur, la provocation d'un état de sidération paralysante ou, plus couramment, l'attente d'une résignation... toutes situations qui sont celles de la majorité des viols. La loi actuelle ne reconnaît un viol ou une agression sexuelle que s'il y a contrainte, seules 8 % des victimes de viols portent plainte et seul un viol sur cinq dénoncés en justice est suivi de la condamnation de son auteur par un tribunal. Une condamnation qui, après des recours, peut-être révisée à la baisse, comme à Bâle au début de ce mois, où la peine infligée au violeur a été réduite au prétexte, invoqué par la juge, que la victime avait été vue en contact étroit avec un homme par ceux qui allaient ensuite la violer, ce qui leur aurait envoyé "un mauvais signal"...

Or si on veut, comme y invitait au Conseil des Etats la socialiste tessinoise Marina Carobbio, instaurer une "culture du consentement", il faut que ce consentement soit explicite, et qu'on parte donc du principe que "qui ne dit mot ne consent pas". Le Conseil des Etats s'y est refusé, mais le Conseil national ne s'est pas encore prononcé. Et puis, comme le relève la philosophe Manon Garcia, que la notion même de consentement, sous la forme claire du "seul un oui est un oui" ou la forme paradoxalement plus ambiguë du "non, c'est non", soit "au centre des débats contemporains représente une révolution : celle du changement du statut des femmes", d'une vraie rupture avec des normes sociales qui conduisaient des femmes à accepter des rapports sexuels qu'elles ne souhaitaient pas, et des hommes à ne pas leur demander si elles le souhaitent. Ces normes sociales sont des normes de genre qui, résume Manon Garcia, "invitent les femmes à la soumission", voire à une "capitulation devant le désir masculin". Comme si on s'était contenté de civiliser le droit de cuissage.

Et puis, ce 14 juin, il se criera aussi "Stop aux violences sexuelles et sexistes", parce qu'elles tuent. Toutes les deux semaines, en Suisse, une femme est tuée par son conjoint, son partenaire, son ex-conjoint ou ex-partenaire, son frère, son fils, un inconnu. A Vandoeuvres, commune résidentielle genevoise, friquée et paisible, mi-octobre, une femme est tuée par son mari à la mi-octobre. Et le 16 décembre, une autre à Chêne-Bougeries. C'était la vingt-quatrième femme assassinée en Suisse depuis le début de l'année, la troisième à Genève. Le vingt-quatrième féminicide, le vingt-quatrième meurtre d'une personne tuée parce qu'elle était femme. La plus jeune victime avait douze ans (tuée le 18 octobre à Rapperswil), la plus âgée 90 ans (tuée de 2 janvier à Breitenbach). On a en outre compté 43 tentatives de féminicides en 2020 (28 en 2019). Presque une par semaine. Le 6 février dernier, aux Roches-de-Meuron (Neuchâtel), un homme tue son fils, kidnappe son ex-épouse et tente de se tuer avec elle (les deux en réchappent) : l'homme faisait l'objet d'une mesure d'éloignement du domicile de son ex-épouse. 24 femmes ont été tuées en Suisse, parce que femmes, en 2021, 21 en 2020, 19 en 2019. Proportionnellement à la population, c'est deux fois plus qu'en France, et la Suisse est le seul pays d'Europe où la majorité des homicides sont des féminicides. Et encore ne dispose-t-on pas en Suisse de statistiques officielles des féminicides, en tant que tels. On sait cependant qu'ils sont majoritairement commis dans la sphère domestique. Et on dispose  d'études et de sondages sur les violences conjugales ou familiale, comme celui de l'institut Sorono publié en novembre 2021, selon lequel un tiers des sondées et des sondés ont subi de telles violences physique (dont sexuelle), mais aussi, désarmant les résistances à la violence physique, les violences psychologique, sociale ou économique. Toutes ces violences frappent surtout les femmes de 26 à 45 ans dont près de la moitié disent en avoir été victimes, et les jeunes de moins de 25 ans (60 % en auraient été victime, soit 66 % des filles et 51 % des garçons). En outre, un-e sondé.e sur deux admet avoir été informé qu'un-e membre de son entourage était victime d'un.e conjoint.e violent. Et on sait par ailleurs que nombre de violences ne sont pas dénoncées par leurs victimes, et que lorsqu'elles le sont, les procédures sont longues et éprouvantes pour les plaignantes. Et que c'est encore pire quand il s'agit de harcèlement sans violence physique : en Suisse, jusqu'à 60 % des femmes ont été victimes d'une forme ou d'une autre de harcèlement sexuel...

Nous parlons de féminicide, mais le féminicide n'existe pas, en tant que tel, dans le Code pénal, qui ne connaît que l'homicide, le meurtre d'un être humain par un autre être humain. Le terme même de féminicide est contesté. Mais pas les termes d'infanticide, de parricide, de matricide, d'infanticide, de fratricide. Eux aussi, pourtant, désignent des "homicides", différents des autres par l'âge des victimes, ou leur lien familial avec leur meurtrier.  Il n'y a pas de fatalité de l'homicide, pas plus de féminicide que de parricide, de fratricide, d'infanticide. Il n'y a que des passages à l'acte qu'on n'a pas su prévenir. Naguère, il n'y a pas si longtemps, on ne parlait que de "drames familiaux", comme d'une sorte de fatalité. Ou de "crimes passionnels", quand la seule passion à l'oeuvre dans ces crimes est celle de la possession. Et le seul cerveau sollicité, le reptilien.


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