Hébergement des sans-abri : les communes genevoises acceptent de payer

L'urgence, seulement ?

Réunies en assemblée générale de leur association, l'ACG, les communes genevoises  ont accepté le 6 avril de verser ensemble 6,2 millions de francs pour financer 200 places d'hébergement d'urgence pour les sans-abris, et de verser cette somme à la Ville de Genève, qui assume quasiment seule l'hébergement d'urgence pour tout le canton depuis vingt ans. Depuis novembre, la loi cantonale attribue aux communes la compétence exclusive de l'hébergement collectif d'urgence (y compris les repas et les soins élémentaires d'hygiène, l'appui social, l'orientation de premier recours). La compétence, et la charge financière, le canton n'assumant guère que le suivi sanitaire, les soins infirmiers, les consultations ambulatoires et l'accompagnement social des personnes ayant droit à des prestations sociales. La décision de l'ACG de débloquer 6,2 millions pour l'hébergement des sans-abri a suscité l'opposition des conseils municipaux de Thônex, Satigny et Hermance, qui ont fait usage de leur droit d'opposition pour protester contre la méthode utilisée par le canton et l'ACG pour débloquer des fonds et rouvrir des locaux, et contre le fait que la proposition de la Ville de Genève a été la seule à être soumise aux communes. Ces oppositions ne suffisent toutefois pas à remettre en cause la décision, même si d'autres conseils municipaux devaient eux aussi s'y opposer, puisqu'il faudrait une double majorité des 45 communes et de la part de leur population totale sur celle du canton pour que le vote de l'Assemblée générale de l'ACG soit contrecarré. Mais rien n'est résolu pour autant : la contribution des communes répond à une urgence, mais sa pérennité reste à assurer.


"Une prise de conscience générale des communes", vraiment ?

Avec un budget d'urgence sociale de 15,7 millions de francs (en 2022), dont les deux tiers sont liés à des obligations légales, la Ville de Genève finance (les autres communes ne sont pas tenues par la loi d'ouvrir des lieux d'hébergement) l'essentiel de l'hébergement des sans-abris de tout le canton, dans un mouvement qui tient du cercle vicieux : Genève est la commune-centre, c'est donc vers elles que se dirigent en fin de journée les sans-abris des autres communes, c'est donc là que se concentre le dispositif d'hébergement, ce qui accentue encore le repli de cette population, et donc les besoins d'hébergement -ad libitum. Faut-il pour autant laisser le financement du dispositif à la charge presque exclusive de la Ville ? Le fonds intercommunal avait déjà été sollicité pour un soutien ponctuel d'un million de francs en 2021 et 2022, qu'elle avait accepté -mais en l'attente d'une solution pérenne. Ce soutien, toutefois, ne permettait pas de répondre à l'accroissement considérable des besoins en 2022, et, prévisiblement, les années suivantes. Le crédit accepté par l'ACG, de 6,2 millions, est précisément destiné à développer l'offre pour répondre aux besoins. Mais ce crédit lui aussi est ponctuel, et devra être pérennisé, ce qui suppose une clef de répartition financière entre toutes les communes pour sa couverture. On rappellera, incidemment, que les financements accordés par l'ACG sont eux-mêmes couverts par les contributions de toutes les communes, Ville comprise (qui en assure entre le quart et le tiers à elle seule). Autrement dit, quand l'ACG accorde un financement à la Ville, ce financement est en partie couvert... par la Ville elle-même...

Les 6,2 millions accordés à la Ville par l'Association des communes genevoises ont permis à la Ville, en un mois, de rouvrir 200 places d'hébergement, pour permettre une offre totale de 577 places (le chiffre atteint à l'hiver 2021-22) dans son dispositif d'urgence, mais en comptant des places dans des abris PC, auxquelles la Ville aurait préférer renoncer, pour des raisons tenant à la qualité de l'hébergement qui peut y être offert, mais auxquelles elle n'a pas encore pu renoncer, puisque le centre de Frank Thomas, dans le quartier de la gare des Eaux-Vives, est condamné -et que les 125 places qu'il offrait sont perdues. Les "grands précaires" seront logés à l'hôtel, les subventions de la Ville permettront à l'Armée du Salut  de prendre en charge les femmes seules, au collectif Cause les hommes seuls et à l'association Païdos les familles. Pour la suite, la Ville, pour maintenir un socle de 500 places d'hébergement, entend construire ou acheter un immeuble pour permettre aux hébergés dans les abris souterrains de revenir à la surface. La Conseillère administrative Christina Kitsos propose en outre la création d'un "Observatoire de la précarité".

"Il y a une prise de conscience générale des communes sur la réalité du sans-abrisme" observe Christina Kitsos... mais c'est pour ajouter que "sa manifestation concrète et les capacités financières des unes et des autres varient beaucoup"... ce ne sont en effet pas des conseils municipaux de communes à faible capacité financière qui ont voté des résolutions d'opposition au financement accordé par l'association des communes*... la Conseillère administrative n'a donc pas encore lâché son bâton de pélerine pour obtenir un financement péréquatif de l'accueil d'urgence (ce que l'ACG avait refusé), chaque commune y contribuant en fonction de sa capacité financière, et avancer vers un objectif plus ambitieux que celui de seulement (et ce serait déjà bien...) répondre à l'urgence : assurer un accueil 24 heures sur 24 dans un dispositif pérenne, mettre en œuvre une stratégie globale avec le canton, les communes, les associations, qui ne soit pas seulement un dispositif d'hébergement mais aussi de prise en charge sociale de la population précarisée. Quelque chose nous dit qu'il va falloir être patients...

Il faut dire que, sauf visibilité exceptionnelle (un hiver précoce et des gens sous la neige...), ils n'intéressent pas grand monde politique, ces pauvres-là. Mais c'est bien un peu de leur faute : ils ne votent pas (ils n'ont d'ailleurs souvent même pas le droit de vote), ne rapportent rien à personne, coûtent à tout le monde, et les femmes et les hommes politiques qui s'en préoccupent n'en tirent aucun bénéfice électoral (d'autant que, le plus souvent, ce n'est même pas ce qu'elles et ils cherchent). Si au moins ils faisaient comme tout le monde, ou presque, ces pauvres-là : se revendiquer de la "classe moyenne"... après tout, dans cet agrégat statistique, on trouve déjà de tout et un peu n'importe qui... mais non, pauvres ils sont, pauvres ils se savent, pauvres ils se font voir.

Sauf évidemment quand on les héberge en sous-sol, dans des abris de protection civile. A croire que ce n'est que de les voir qu'on veut protéger la population... 

*Retenez bien cette liste : c'est celle des communes qui refusent, par une résolution de leur Conseil municipal, que le fonds intercommunal de l'Association des communes genevoises  finance l'hébergement des sans-abris :

- Avusy : 9 mai 2022
-Céligny: 10 mai 2022
- Choulex : 9 mai 2022
- Collex-Bossy : 3 mai 2022
- Collonge-Belterive : 17 mai 2022
-Corsier: 10 mai 2022
-Dardagny: 10 mai 2022
-Genthod: 10 mai 2022
-Hermance: 10 mai 2022
- Jussy : 9 mai 2022
- Pregny-Chambésy: 17 mai 2022
-Presinge: 10 mai 2022
- Puplinge : 11 mai 2022
-Satigny: 10 mai 2022
-Thônex : 10 mai 2022
- Vandouvres : 9 mai 2022

Les décisions de l'ACG sont invalidées si elles sont rejetées par les conseils municipaux de deux tiers au moins des communes, soit 30 communes (là, elles sont seize), ou par un
tiers au moins des communes, soit quinze communes, si ces communes représentent au moins la moitié de la population du canton (soit plus de 250'000 habitants). Et on est loin, avec l'addition des populations de ces baillages... Donc la décision est validée. Et on pourra continuer à clamer "vive la commune !". Mais pas n'importe laquelle.

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