Disparition d'Alain Tanner et de Jean-Luc Godard
Du Rousseau dans Tanner. Et peut-être du Voltaire dans Godard ?
Avouons-le : la disparition d'Alain Tanner,
dimanche, et celle de Jean-Luc Godard, aujourd'hui, nous ont
bien plus attristé que celle d'Elizabeth Windsor, il y quelques
jours auparavant. Parlons de Tanner, puisque la disparition de Godard a comme submergé, médiatiquement, la sienne ...
Tanner, ce fut celui qui à beaucoup d'entre a fait découvrir un cinéma
suisse (et souvent même très genevois...) dont, avouons-le
humblement, nous nous ne doutions même pas qu'il pût exister...
Charles mort ou vif, et presque en même temps Le Fou
de Goretta, La Pomme de Soutter annonçaient la discrète
naissance d'un cinéma nous parlant de nous -et en parlant à
d'autres que nous. Il y eut ainsi un cinéma suisse en français
-il y en avait certes déjà un en allemand, ou en
suisse-allemand, mais quels films en voyions nous ? Dans les
films de Tanner, c'est nous que nous retrouvions. Nous avons
marché dans les Rues Basses avec Bulle Ogier, à la pointe de la
Jonction avec Karin Viard, à Lisbonne avec Bruno Ganz, en
Irlande avec Trevor Howard. Nous avons attendu Max avec François
Marthouret. Nous avons traversé la Suisse avec Clémentine
Amouroux et Catherine Rétoré en Messidor, et la Vallée fantôme
avec Jean-Louis Trintignant, pour nous retrouver au Milieu du
Monde avec Philippe Léotard. Comme une
sorte de rêverie du cinéaste solitaire -il y avait du Rousseau
dans Tanner. Et peut-être du Voltaire dans Godard ?
Faire du cinéma : forcément, un acte politique
Alain Tanner nous a quitté. Il nous parlait de nous, dans le temps même, et par les images mêmes, qui nous parlaient de lui. Nous pouvions nous y retrouver -parce que son ton, ses déambulations, les mots qu'il mettait dans la bouche de ses personnages, avaient quelque chose de nous. Nous viennent alors des images de ses films, que nous avons tous vu en salles, là où il faut voir les films qui comptent : Marcel Robert hilare, précipitant la voiture de François Simon dans le vide... Bulle Ogier, elfe souriant marchant dans les rues basses, sur la musique de Moraz... Des images, et des décors, d'une Genève parfois disparue, et en tous cas changée : la Cité Nouvelle d'Onex, dans la Salamandre. Mais si datées que peuvent être ses images, son propos, lui, ne l'est pas. Il affirmait que faire du cinéma était, forcément, un acte politique, qu'on le sache ou non, le veuille ou non. Son cinéma était politique et poétique, dans le même temps. La Salamandre est un film libertaire, Messidor un film féministe...
Tanner avait cessé
de tourner en 2004, considérant qu'il avait tout dit de ce
qu'il voulait dire. Nous en avons entendu beaucoup. C'est
ainsi : ceux qui se refusent à donner des leçons laissent
souvent en nous des traces plus profondes que ceux qui
prétendent en donner.
Tanner n'est plus. Soutter, Goretta, étaient partis avant lui. Et Godard avait eu 25 ans bien avant l'an 2000. Mardi soir, la RTS 2 devait rendre hommage à Tanner, elle a rendu hommage à Godard. Tanner attendra. Il a le temps, désormais.
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